En la cathédrale Sainte-Réparate de Nice, trois hommes nous parlent politique. Nicolas Sarkozy, tout droit venu de ses vacances, assiste à la messe flanqué de Christian Estrosi et Eric Ciotti, ses guerriers sudistes. Nous sommes le vendredi 15 juillet. Il y a quelques heures, un camion broyait des vies sur la promenade des Anglais. Ce sont ces âmes que des chants d’amour doivent bercer. Le Figaro conte la scène avec une intensité sobre, sous la plume d’une journaliste que l’on devine croyante, qui nous décrit «quatre évêques et pas moins de vingt prêtres dans la couleur violette qui sied aux défunts», et nous révèle que sainte Réparate mourut en martyre.
Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’une France chrétienne se redresse et se dit, et sa culture masquée par la République laïque imprègne le grand quotidien des droites. Une France est de retour, dans toute son évidence. Le saisissement d’un attentat le révèle. Nicolas Sarkozy, paroissien d’un jour, atteste le nouveau temps.
Reconquête de l’État par le catholicisme
Nicolas Sarkozy n’est pas seulement un ancien président libéré de la laïcité de sa fonction, et après tout, c’est son droit. Il n’est pas seulement cet homme en besoin de prière quand la mort nous frappe –peut-être l’est-il, après tout? Il est surtout cet homme en reconquête d’un État, qui a fait du catholicisme une de ses raisons. «Je suis chrétien», lançait-il, le 9 juin à Lille, dans son «discours fondateur» sur l’identité, célébrant la France, «pays d’empreinte et de tradition chrétiennes, un pays qui est né du baptême de Clovis il y a plus de 1.500 ans, un pays d’églises, de cathédrales, d’abbayes, de calvaires», et ce pays serait menacé, on sait bien comment. Nicolas Sarkozy, qui fut en une autre vie ce «fils d’immigré» au grand-père juif salonicien, qui se voyait avec les «Beurs» une parentèle d’outsiders défiant une société fermée, est devenu l’homme des églises –pas tant les églises où l’on nourrirait les pauvres et les migrants que ces clochers qui bornent notre héritage et notre vérité. À la fin mai 2015, Christian Estrosi, son rude féal, dédiait sa ville de Nice à la protection de la Vierge Marie. Eric Ciotti, faux jumeau d’Estrosi, pétitionnait pour défendre les jours fériés chrétiens que le socialisme sans dieu menaçait outre-mer. À la sortie, Nicolas Sarkozy offre son rictus conquérant et sa colère aux caméras. La messe ne n’a pas apaisé. S’en étonne-t-on?
Pourquoi tout cela? Dans la cathédrale, à quelques mètres des trois hommes, une jeune femme blonde les menaçait par sa simple présence. Marion Maréchal-Le Pen prie –je suppose qu’elle prie, cette ancienne élève des institutions catholiques qui ne fait pas mystère de sa foi? Elle est flanquée d’un solide gaillard, Philippe Vardon, son allié et leader des identitaires niçois. Marion Maréchal-Le Pen est cette extrême droite qui impose son risque et veut voler à la droite sa fonction historique: celle d’être dépositaire de la tradition. Elle est, plus que la néo-communiste Marine Le Pen, un danger existentiel. Régulièrement, les frontistes de Marion Maréchal-Le Pen et Philippe Vardon accusent Estrosi d’être mou avec les islamistes. Quelle idée? Sainte-Réparate est une preuve! Avec Nicolas Sarkozy, Estrosi prie comme on se bat.
Voilà nos droites. Voilà la droite. Elle se montre dans l’après-massacre dans sa vérité toute simple, et cherche une protection et une raison d’être. Elle s’abrite sous la croix. Nous irons à l’Eglise et nous dirons qui nous sommes. Nous n’irons pas aux mosquées, et nous saurons ainsi ce que nous ne voulons pas devenir. Ce même vendredi, dans les grandes prières, les mosquées niçoises ont prêché pour les morts et récité une «Prière de l’absent». Ce geste ne valait pas qu’on s’y attarde. Seule Sainte-Réparate pouvait incarner notre douleur. La droite sait où elle est. Elle est chez elle.
Prière du socialisme
Elle l’est d’autant plus, en la cathédrale, que la gauche lui a cédé la place. Le leader historique des socialistes niçois, Patrick Allemand, était à Sainte-Réparate, et a fini par le dire sur sa page Facebook personnelle, deux jours plus tard, puisqu’on ne l’avait pas vu! S’était-il montré? Sa présence ne faisait pas sens. Prier dans une ville endeuillée ne fait pas partie des cultures de la gauche. C’est sa limite. La gauche est étriquée, si la droite est Tartuffe. Elle n’est pas allée non plus à la mosquée, la gauche. Que Dieu fasse partie des consolations des hommes n’est pas dans son ressort, et ce Dieu qu’on prie en arabe, décidément, n’est pas le bienvenu, quand bien même il était aussi celui de quelques victimes.
Plus tôt dans la journée, pourtant, François Hollande, Manuel Valls et Bernard Cazeneuve étaient à Nice, pour honorer le même martyre, mais en dans d’autres lieux, d’une autre sainteté politique. Honorer les forces de police et de sécurité, l’hôpital Pasteur, les personnels hospitaliers, les soldats de la République… C’est la prière du socialisme. Au terme de ses visites, François Hollande citerait ses héros dans une longue homélie, d’un ton presque religieux, jouant du registre de la complainte comme Sarkozy joue du rictus enfiévré, et les mots comptent moins que le son des hommes.
Qu’on ne s’illusionne pas. La gauche n’est pas différente des droites dans son principe, seuls ses chemins sont autres. Elle aussi atteste son identité politique dans les brumes de la douleur, mais son affirmation ne passe pas par l’église. Elle pélerine sur les lieux de l’Etat, puisqu’elle n’est que cela, quand la droite s’invente l’idée saugrenue d’être la France. Droite et gauche ignorent à l’unisson les mélopées des musulmans, et puis se répartissent les fonctions et les gestes. Je suis la France de toujours, nous dit Nicolas Sarkozy, et voilà ma force. Je suis la République dans l’éternité de ses serviteurs, rétorquent Valls et Hollande, et voilà notre forteresse. Ne nous contestez pas, ne nous mettez pas en doute: les sacrés nous protègent.
Ils nous ont parlé
Ce n’est que la vérité d’une après-midi trop chaude, mais quelle après-midi, quand on ne devrait pas tricher un instant. Ils ne trichent pas. Ils construisent. L’hommage rendu aux victimes s’inscrit dans leurs narrations. J’aime cette idée que François Hollande et Nicolas Sarkozy nous ont parlé. Ecoutons-les bien. Nous sommes deux incarnations de ce pays. Nous ne nous ressemblons que par le détour que nous faisons, quand une mosquée est de trop dans une douleur nationale. Nous choisissons nos lieux. Nous ne savons pas prier ensemble, ni communier, nous ne partageons plus rien, et ce que nous faisons de la mort est un instant de nos comédies. Les communions ne nous sont que des prétextes. La messe est un moment du sarkozysme en parodie maurrassienne, cette idéologie poussiéreuse qui agrège le Christ au nationalisme de rancoeur. Le deuil national est la cérémonie du hollandisme, sans cesse répétée, puisqu’il convient de figer la douleur qui nous rendra la grâce, et un jour ressuscitera l’esprit du 11 janvier, ce moment où la camarde donnait des couleurs à ce régime.
On peut disserter à loisir sur l’indécence des politiques dans l’après-attentat, qui polémiquent et se déchirent quand les cadavres ne sont pas tièdes. Juppé croit au risque zéro, Valls fustige ceux qui ne font pas bloc, nous nous pinçons le nez et nous nous en moquons, au fond, quand les noms des morts nous saisissent, et c’est la seule réalité. L’indécence que nous décrivons ici est la pire de toutes.
Nous ne savons pas encore la vérité des êtres disparus, mais ces hommes, François Hollande, Nicolas Sarkozy, qui pensent mériter nos suffrages suprêmes, n’oublient jamais l’affirmation d’eux-mêmes: leur vérité. Ils ont pitié de nous autres, sans doute, et des innocents de Nice, mais rien chez eux ne surpasse leur destin.
Mise à jour du 18 juillet 2016 à 9h50: cet article a été mis à jour pour faire part de la présence à la messe célébrée en l’église Sainte-Réparate de Nice du conseiller municipal socialiste Patrick Allemand.