L'Education nationale, c'est le premier poste du budget de l'Etat, le premier employeur de France. Et surtout la première des priorités pour l'avenir de millions d'enfants et pour leurs parents. Et pourtant, à part lors de polémiques ponctuelles, comme celle déclenchée il y a quelques jours au sujet de la lutte contre l'absentéisme dans les lycées professionnels, on parle très rarement de l'école dans les débats politiques. Pourquoi? Parce que le sujet est souvent monopolisé par des spécialistes qui s'étonnent que les Français aient leur mot à dire sur ce thème.
Je suis sûr qu'à l'Assemblée nationale, la création d'une Commission des affaires culturelles et de l'éducation, présidée par Michelle Tabarot, va nous permettre d'aborder plus régulièrement les enjeux de l'école dans le débat parlementaire, notamment grâce à une meilleure évaluation sur le terrain des réformes qui sont lancées depuis Paris. Pour ma part, avec GénérationFrance.fr, je veux faire de l'école un sujet central du débat politique dans les prochaines années.
Je ne crois pas au «grand soir» de l'Education nationale, à la réforme qui changera tout du jour au lendemain. L'école, c'est le lieu de la transmission: par définition, il ne peut pas y avoir une rupture brutale, dans toutes les classes de toutes les établissements de France! C'est progressivement, établissement par établissement, que doit évoluer l'école. Il y a déjà eu la réforme du primaire, pour mettre l'accent sur les savoirs fondamentaux : lire, écrire, compter. Luc Chatel vient de lancer la réforme des lycées. Il faut poursuivre cette avancée progressive, qui ne dépendra pas de moyens supplémentaires, mais de la confiance qu'on accordera aux équipes enseignantes, aux responsables d'établissements, aux recteurs... et bien sûr aux élèves.
A mon sens, une des priorités est de faire de l'école un lieu d'apprentissage de la confiance en soi. Aujourd'hui, l'école est surtout faite pour les bons élèves, par des anciens bons élèves. A l'école, on parle beaucoup de diplômes et de sanctions. C'est nécessaire. Mais on ne parle pas assez de métiers et de passions. Quand un enfant décroche dans les matières académiques, il est tout de suite pris dans une spirale négative et se sent alors déconsidéré. Or, chaque enfant a des qualités que l'école peut valoriser, sans baisser les exigences sur le socle fondamental des apprentissages.
Il n'y a pas qu'un seul modèle de réussite! Aux Etats-Unis, le niveau n'est pas meilleur qu'en France mais, au moins, les élèves apprennent à avoir confiance en eux: c'est un atout qui sert ensuite toute la vie et dans toutes les situations! Il faut progressivement faire évoluer les méthodes pédagogiques pour créer des dynamiques qui mettent les élèves en confiance. En donnant plus de place au travail en équipe, à l'expression orale, à la prise d'initiatives sur des projets!
Je crois qu'en «dédramatisant» l'école, on changera la perception du travail dans notre pays, afin qu'il soit davantage perçu comme un moyen d'accomplissement. Il faut aussi continuer les aménagements pour mettre fin au dogme du collègue unique. Aujourd'hui, il y a déjà des sections «sports-études» pour ceux qui ont une passion pour un sport. Il y a aussi des aménagements possibles pour ceux qui ont une fibre artistique, danse ou musique. Quid de ceux qui ont une passion pour une profession ou un métier. Pourquoi ne pas créer des sections «professions-études»?
Autre priorité: il faut une école plus ouverte sur l'international, sur l'économie et le monde professionnel, sur le numérique. On entend souvent crier au crime contre la langue française dès qu'on parle de faire de l'anglais une priorité. Mais dans notre monde globalisé, parler anglais couramment, ce n'est plus une option, c'est une nécessité. Au-delà de l'indispensable maîtrise de l'anglais, l'école doit aussi s'ouvrir à l'apprentissage d'autres langues d'avenir, le chinois ou l'arabe, comme je l'avais déjà proposé sur Slate.
L'école doit aussi mieux préparer l'avenir professionnel de nos enfants. Par forcément en leur apprenant un métier dès le plus jeune âge mais en leur donnant des perspectives sur le monde qui les attend après l'école... A cet égard, une refonte complète de l'enseignement de l'économie est indispensable, pour que les jeunes Français en acquièrent une vision réaliste et qu'ils ne soient pas systématiquement dans une attitude de méfiance à l'égard de l'entreprise.
L'école doit enfin s'ouvrir davantage sur le numérique. L'école de demain, c'est un poste d'ordinateur par élève, au collège et au lycée, pour profiter des possibilités offertes par le numérique: e-learning, cartables électroniques, simulations pour les cours de géographie ou de sciences..., mise en place d'échanges via Internet entre e-correspondants, lycéens français et étrangers.
Je considère également qu'il faut renforcer «la culture d'établissement», pour que les élèves soient fiers de leur école, et pour qu'elle soit pour eux un véritable lieu d'apprentissage de la vie en communauté. Sans céder aux facilités d'un discours vaporeux sur les valeurs, qui est souvent prétexte à l'inaction ou à l'idéologie, il est nécessaire d'être ferme sur le respect de l'autre et de l'autorité, la ponctualité, la politesse, indispensables pour la vie en société. Mais il faut aussi des logiques positives qui permettent aux élèves d'être valorisés : remises de prix d'excellence (dans tous les domaines, pas seulement en mathématiques, en histoire ou en français, mais aussi en engagement associatif, en sport!), fêtes de l'établissement, financements de projets collectifs... mais pourquoi pas aussi création de produits siglés voire d'uniformes aux couleurs de l'école? Un jeune qui fait du foot est fier de son club, pourquoi est-ce qu'un élève ne serait pas aussi fier de son collège ?
Certains vont dire que de toute façon, depuis des années, toutes les velléités de réformes de l'école ont été broyées par l'inertie de l'Education nationale. Je ne crois en cette vision résignée. D'ailleurs, dans les faits, l'école n'a de cesse de se transformer! En revanche, il est vrai qu'en repensant l'organisation de l'Education nationale, on peut lui donner les moyens de s'adapter de façon plus souple, en continu. Tant que l'Education nationale sera un gros paquebot géré depuis Paris, on risque la sclérose.
Tout en gardant un cadre national très clair — c'est le ministère qui fixe les programmes, évalue les résultats et délivre les diplômes, nous devons progressivement donner davantage d'autonomie aux responsables d'établissement. Cela permettra d'une part de mieux s'adapter à la diversité des élèves : entre un collège dans le Cantal ou à Meaux, les situations sont tellement différentes! D'autre part, cela offrira aux enseignants une vie professionnelle plus épanouissante.
Jusqu'à maintenant, la gestion des ressources humaines à l'Education nationale, c'est la rencontre d'un ordinateur et des syndicats, sans tenir compte des situations individuelles, des parcours de carrière. En déconcentrant encore la gestion des ressources humaines au niveau des rectorats et en donnant la possibilité aux chefs d'établissements de constituer leurs équipes pédagogiques, de les soutenir, de les motiver notamment financièrement, on peut offrir un univers de travail beaucoup plus « humain » aux enseignants ! En leur offrant des entretiens réguliers, une formation continue, en leur proposant des possibilités de changement de métier, définitif ou ponctuel, via des passerelles vers la fonction publique.
J'ai la conviction qu'en matière d'éducation, il faut sortir du «jardin à la française» et faire davantage confiance aux acteurs de terrain, en développant le droit à l'expérimentation prévu par la loi. Par exemple, pour renforcer la mixité sociale à l'école, pourquoi ne pas expérimenter dans certaines agglomérations, des établissements scolaires par classe plutôt que par quartier ? A Meaux, par exemple, nous pourrions faire un collège avec tous les enfants de 6e et de 5e, un autre collège avec tous ceux de 4e et de 3e. Ce système de regroupement des élèves par tranche d'âge permettait d'ailleurs une plus grande sécurité pour les élèves les plus jeunes et faciliterait le travail de surveillance.
Lors du débat sur l'école de Génération France.fr que j'organisais le jeudi 22 octobre, à une personne qui lui demandait ce qu'elle attendait de l'Education nationale, une lycéenne du lycée Jean Vilar de Meaux a répondu : «qu'elle m'aide à aller le plus haut possible!» En l'entendant, tous les invités — du ministre de l'Education au secrétaire général du Sgen, des proviseurs aux enseignants, des parents d'élèves aux parlementaires — tous, nous avons dû penser la même chose: c'est une attente que nous n'avons pas le droit de décevoir. Voilà un combat qui vaut la peine d'être mené!
Jean-François Copé
Image de une: REUTERS