Photos de jeunes garçons nus, envoi de vidéos contenant des scènes de masturbation... Dans le numéro de cette semaine, le magazine des Inrockuptibles révèle les méthodes de casting douteuses de Jean-Marc Morandini. L'un des présentateurs phares d'Europe 1 et de NRJ 12, également directeur de la boîte de production Ne zappez pas (NZPP), aurait «manipulé» de jeunes comédiens en vue de les caster pour une web-série diffusé sur le net, Les Faucons.
Ce n'est pas la première fois que des témoignages viennent dénoncer les pratiques douteuses de certains responsables de castings. C'était le cas de jeunes actrices à qui l'on avait demandé de jouer des «bouts d'essai érotiques» pour les besoins d'un film de Jean-Claude Brisseau. Celui-ci avait été accusé d'agression sexuelle par l'une des comédiennes. Un casting est-il une zone de non-droit, où l'on peut, sous prétexte de jouer la comédie, demander tout et n'importe quoi à des acteurs?
Le casting, un entretien d'embauche
«Il n'existe pas de règles à proprement parler pour les castings, explique Me Julien Abella, avocat spécialisé dans la propriété intellectuelle. Ce sont des règles plus générales qui s'appliquent.»
S'il n'existe donc pas un «Code des castings», il existe bel et bien un Code civil, qui protège la vie privée, ainsi qu'un Code du travail, qui régit les droits des salariés. Lorsqu'une personne se présente à un casting, c'est comme si elle passait un entretien d'embauche. À la clé: un job dans un film, une série, une émission de téléréalité. Cet entretien d'embauche, comme lorsque vous postulez pour entrer dans n'importe quelle boîte, va commencer par l'envoi d'une lettre de motivation.
Quand on te demande si tu préfères coucher avec la compagne de ton meilleur ami ou avec la sœur de ta copine, tu ne sais pas quoi répondre
Un candidat de téléréalité
On peut également vous demander des photos. Puis vient la phase d'entretien. «Les questions alors posées sont censées être d'ordre strictement professionnel, assure Me Abella, mais rien n'empêche de poser des questions un peu plus personnelles : la personne est-elle mariée, a-t-elle des enfants?» Sa consœur, Me Ilana Soskin, avocate en droit des médias, pose cependant des limites:
«Si l'on raisonne en droit strict, dans un entretien d'embauche, il est strictement proscrit d'écarter quelqu'un pour des raisons religieuses, de sexe, d'orientation sexuelle, de mœurs, d'origines... C'est l'article L1132-1 du Code du Travail.»
Des questions intimes
Les questions d'ordre privé sont donc, en principe, interdites. Pourtant, plusieurs témoignages attestent que les casteurs prennent souvent des libertés de ce point de vue-là, notamment dans les émissions de téléréalité. Ici, un ex-jeune candidat à «Nouvelle Star», raconte:
«Une journaliste papier m'interviewva avec maintes question indiscrète sur ma vie privé. Apparement, le suimple fait de chanter ne suffisait pas, il fallait que je montre aux caméra d'autres talents insolite (danse, imitation, etc etc...).»
Ironiquement, on trouve un témoignage similaire sur le blog de Jean-Marc Morandini où une détective privée ayant passé le casting de «Secret Story» rapporte que «[les casteurs] essaient de nous faire dire pas mal de choses sur nous-mêmes, et sur notre personnalité». Pour cette même émission, un candidat confessait dans Voici qu'on lui avait posé des «questions super intimes sur sa sexualité» et d'autres comportements:
«On te demande si tu es suicidaire, si tu es violent, si tu rêves souvent de tuer des gens. […] Quand on te demande si tu préfères coucher avec la compagne de ton meilleur ami ou avec la sœur de ta copine, tu ne sais pas quoi répondre.»
De telles questions dépassent clairement la sphère professionnelle, et, si elles étaient posées lors d'un entretien d'embauche classique, elles ne seraient pas tolérées par des juges saisis d'une telle affaire. Mais l'analogie entre casting et entretien d'embauche peut être soumise à l'interprétation du tribunal. Si aucune décision de justice ne semble avoir posé précisément cette question, «les juges ont l'habitude de contextualiser, avance Me Soskin. Il semble qu'on puisse avoir une interprétation plus large lorsqu'il s'agit d'un casting», détaille-t-elle.
Justifier un lien avec l'émission
Ainsi, même si c'est en principe interdit, peut-être va-t-on tolérer des questions sur l'orientation sexuelle pour une émission qui ne recruterait que des personnes homosexuelles –souvenez-vous des «Queers», sur TF1. Ou des questions portant sur le nombre d'enfants pour «Super Nanny». En revanche, «pas question de refuser quelqu'un à “Koh-Lanta” en raison de sa religion», insiste Me Soskin, qui résume:
«Par dérogation au strict principe applicable en droit du travail, il faudra justifier d'un lien étroit entre la question posée et l'objectif de l'émission.»
S'il ne s'agit pas d'un film pornographique, il me semble incongru et déplacé qu'on demande à des personnes de poser nus
Me Soskin
En ce qui concerne la web-série de Morandini, la directrice de casting la décrivait ainsi: «Il s'agit à chaque fois d'un programme court d'une dizaine de minutes qui raconte la vie d'une équipe de foot dans la banlieue parisienne». Rien de pornographique a priori. Mais très vite, les candidats ont été prévenus qu'ils devraient tourner des scènes de nu, rapporte Les Inrocks, qui cite de nouveau la directrice de casting: «L’ambiance de la série est celle des vestiaires de sport entre garçons, sans vulgarité, mais également sans tabou.»
Cette indication pourrait-elle justifier devant un juge les actes demandés aux jeunes comédiens lors de castings? Pas sûr: «S'il ne s'agit pas d'un film pornographique, il me semble incongru et déplacé qu'on demande à des personnes de poser nus, estime Me Soskin. Et le fait de les soumettre à des actes sexuels peut être apparenté à une agression sexuelle, s'il y a eu un rapport de contrainte, et d'autant plus si les comédiens en question étaient mineurs. Ce n'est en tout cas pas exclu, selon les circonstances», conclut-elle.
Un casting diffusé à tout-va, c'est légal?
Un autre paramètre entre en jeu lorsque l'on passe un casting, contrairement à un entretien d'embauche classique: la caméra. Le jeu de questions-réponses parfois osé qui se joue entre les candidats et les casteurs est bien souvent filmé. «Cela tient à des raisons propres du métier», conçoit Me Abella. Mais attention, les deux avocats sont formels: si les images sont ensuite divulguées, en dehors des besoins du stricts casting, il faut que le candidat l'ait accepté expressément.
«Ce n'est pas forcément par écrit, précise Me Soskin, mais c'est mieux qu'il y ait cette preuve. À part peut-être pour des émission comme “Nouvelle Star”, où il est de notoriété publique que les images sont ensuite diffusées», ajoute-t-elle. Les questions, aussi indiscrètes soient-elles, peuvent donc être ensuite mises à la vue de tous... Mais si le candidat voit sa vie privée étalée sur tous les écrans sans avoir été mis au courant, il pourra faire valoir son droit à la vie privée et son droit à l'image.
Quoi qu'il en soit, lorsqu'un candidat se présente à un casting, libre à lui de rester muet face aux questions intimes que l'on peut lui poser. S'il choisit de se dévoiler, il s'expose à ce que ses réponses jouent en sa faveur ou défaveur. Mais s'il est refusé en raison de ses réactions, il pourra faire valoir ses droits en vertu du Code du travail. Le casting est donc loin d'être une zone de non droit. Mais les abus de certains casteurs, face à des personnes vulnérables, sont eux aussi loin d'être toujours montrés au grand jour.
Si les accusations contre Jean-Marc Morandini sont avérées –le producteur a démenti et veut porter plainte contre Les Inrockuptibles–, la question de ces castings où, des personnes en quête d'un peu de notoriété, se font humilier, pourra peut-être être abordée.