On a le nom du prochain Premier ministre britannique ou plutôt de la prochaine: il s'agira de Theresa May, jusqu'ici secrétaire d’État à l’Intérieur. Sa nomination par la reine devrait venir dans les jours à suivre après le désistement de son opposante Andrea Leadsom, ministre de l’Énergie. Ailleurs en Grande-Bretagne, le Parti national écossais (SNP), le Parti vert, Plaid Cymru (le Parti nationaliste gallois), le Parti unioniste démocrate irlandais ainsi que le Labour et les conservateurs écossais ont tous des femmes à leur tête. À gauche, les Travaillistes n’ont jamais été dirigés par une femme, mais Angela Eagle pourrait bien remplacer Jeremy Corbyn si jamais ce dernier enlèvait les doigts de ses oreilles et arrêtait de répéter: «Je ne démissionne pas, je ne démissionne pas!»
On remarquera sans peine que cette floraison de pouvoir politique féminin survient à un moment où la politique britannique est dans les choux. Avec le résultat du référendum du 23 juin, le prochain Premier ministre devra passer la moitié de son temps à négocier avec les Européens qui veulent bouter sans ménagement les ingrats Britanniques hors de leur union, et l’autre moitié à calmer les Britanniques impatients de voir déguerpir les Européens de leur royaume pas si uni que ça. En d’autres termes, la fonction a tout du cadeau empoisonné.
Et cette liste de partis politiques dirigés par des femmes devient tout de suite moins impressionnante lorsque que vous saisissez qu’à la notable exception du SNP avec Nicola Sturgeon (et peut-être les Verts, qui n’en sont pas à leur première présidente) ces femmes se sont installées au premier rang lorsque leur parti était en crise.
Dans le monde de l’entreprise, on parle de «falaise de verre» pour qualifier ce phénomène, un concept que la journaliste Bryce Covert détaille comme suit sur Slate.com: «[L]es femmes ont plus de chances d’être promues en tête durant des temps particulièrement durs et quand les caisses se vident, les hommes qui ont contribué au marasme se carapatent et les femmes restent la poignée dans la main.» Soit, l’un dans l’autre, une assez bonne description de la politique britannique de ces dernières semaines.
De fait, quand on examine la liste atrocement courte des femmes ayant été à la tête de gouvernements, beaucoup semblent s’être retrouvées dans cette prestigieuse posture après avoir bondi au sommet d’une falaise de verre. Il y a des exceptions, bien évidemment: les liens familiaux sont globalement responsables de l’arrivée de femmes au pouvoir au Sri Lanka, Pakistan, en Inde et au Bangladesh; des femmes technocrates ont dirigé plusieurs pays caribéens; et à de très rares occasions –oui, je regarde tes couettes, Ioulia Tymochenko d’Ukraine– les femmes sont tout simplement plus charismatiques et populaires que de ternes mâles (en outre, très souvent corrompus) en costume cravate. Quoi qu’il en soit, partout ailleurs, une tendance émerge.
Adultes en chef
Non seulement les femmes prennent le volant quand leur parti –ou l’ensemble de leur pays– part en roue libre, mais elles succèdent alors bien souvent à des hommes impopulaires. Prenez la Dame de Fer historique. Quand Margaret Thatcher mit le pied dans l’arène pour devenir chef du Parti conservateur en 1975, elle était, pour reprendre les mots d’Hugo Young, son biographe le plus talentueux, «une simple curiosité issue des marges». Reste qu’elle allait réussir à tirer profit de l’aigreur suscitée depuis des années par son prédécesseur. Edward Heath avait perdu trois des quatre élections auxquelles il s’était présenté, tout en ayant toujours refusé la démission. (S’il n’y a aucune règle officielle obligeant les perdants aux urnes à quitter leurs fonctions au gouvernement, il en va d’une vieille tradition.)
Qu’elles nettoient derrière des hommes, sifflent la récré de gamins turbulents, jouent les infirmières ou ramassent les miettes d’un crétin impopulaire, il y a autre chose qui rassemble ces femmes politiques: on leur assigne souvent un caractère de marâtre
Comme l’écrit Young, «le facteur déterminant de sa victoire fut, sans conteste, Edward Heath. Sans son entêtement, son indécrottable orgueil, son refus de libérer le moindre de ses lieutenants du joug de sa loyauté personnelle, on peut réellement se demander si Thatcher serait un jour entrée dans la course». Avec l’aide d’un fin stratège, qui s’était rallié à Thatcher après avoir offert ses services à de potentiels challengeurs, elle allait réussir à se montrer plus maligne que les autres candidats et à emporter la présidence du parti –qu’elle conservera pendant quinze ans, dont onze au poste de Premier ministre.
De même, quand Angela Merkel, chancelière allemande depuis 2005, prit les rênes de son parti, la CDU, elle se plaçait en nette rupture d’avec l’establishment masculin et ses vilaines habitudes. Après le scandale de financement occulte qui avait entaché Helmut Kohl et son successeur, Wolfgang Schäuble, Merkel fut considérée comme une «femme sur son cheval blanc» capable de remettre les pendules à l’heure. Selon Der Spiegel, elle allait rompre avec les caciques du parti en écrivant une lettre à un journal allemand dans laquelle elle se montrait «très critique envers Kohl et disait que la nouvelle génération de membres de la CDU devait prendre ses distances avec lui, comme des adolescents doivent un jour s’éloigner de leurs parents s’ils veulent devenir adultes». Elle aura été l’adulte en chef de l’Allemagne depuis.
Compétentes
Au Canada, Kim Campbell est arrivée au pouvoir dans des circonstances similaires, mais avec des résultats bien moins glorieux. Campbell avait occupé des postes d’importance dans le gouvernement progressiste-conservateur de Brian Mulroney, notamment celui de ministre de la Justice et de ministre de la Défense nationale. Mais plus Mulroney –Premier ministre de 1984 à 1993– restait en place, plus il perdait en popularité. Lorsqu’il annonça sa démission à la veille d’une élection, Campbell représentait une option populaire parce qu’elle était à mille lieux de l’honni Mulroney. En fin de compte, son mandat de Premier ministre n’allait durer que 131 jours, vu que son parti perdit l’élection organisée quelques temps après sa prise de fonction. Si sa campagne fut médiocre, le principal problème allait venir des Canadiens, massivement dégoûtés par son parti. Comme le résume Will Ferguson, «en prenant les rênes du parti des mains de Brian [Mulroney], c’est un peu comme si elle s’était assise aux commandes d’un 747 en train de s’écraser dans les Rocheuses». Lors des élections législatives, Campbell allait perdre son siège –et le Parti progressiste-conservateur dévisser, passant de neuf ans de majorité et de pouvoir à deux petits sièges à la Chambre des communes du Canada.
Le fait est que ni May ou Leadsom ne sont considérées comme particulièrement charismatiques. May est la favorite, car elle est compétente et flegmatique. Des arguments comparables ont mené Golda Meir à la tête du parti travailliste israélien en 1969. Si elle avait une belle carrière politique derrière elle, elle avait pris sa retraite lorsque Levi Eshkol mourut d’une crise cardiaque. À l’époque, la BBC avait commenté: «À cause de son âge et de son état de santé, beaucoup voient dans sa nomination une rustine vivant à maintenir bon an mal an l’unité nationale.» Le Premier ministre par intérim, Yigal Allon, et le ministre de la Défense Moshe Dayan, considérés tous les deux comme favoris, avaient refusé la candidature afin d’éviter des querelles intestines avant les élections législatives. Meir allait gouverner jusqu’en 1974. En Norvège, Gro Harlem Bruntland –trois mandats de Premier ministre à son actif – est elle aussi arrivée à la tête de son parti avec la maladie de son prédécesseur et le refus des généraux de se présenter à une élection qu’ils n’étaient pas sûrs de remporter.
Qu’elles nettoient derrière des hommes, sifflent la récré de gamins turbulents, jouent les infirmières ou ramassent les miettes d’un crétin impopulaire, il y a autre chose qui rassemble ces femmes politiques: on leur assigne souvent un caractère de marâtre. Lorsque, le 5 juillet, le vieux singe conservateur Ken Clarke dégoisait sur les candidats à la présidence de son parti, il allait qualifier May de «femme foutrement coriace» –une insulte que May a depuis tourné à son avantage en déclarant: «Ken Clarke pense peut-être que je suis une “femme foutrement coriace”, sauf que le prochain à le comprendre sera Jean-Claude Juncker [le président de l’Union européenne].» Ou pour citer Lady Jenning of Kennington, membre du Parti conservateur et siégeant à la Chambre des Lords, quand on lui a demandé ce qu’elle pensait d’une femme à la tête du gouvernement: «À mon avis, tout le pays se sent plutôt soulagé. […] Beaucoup se disent: “Oh oui, maîtresse, venez s’il vous plaît et dites-nous ce qu’il faut faire.”»