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Tunisie: Ben Ali for ever

Temps de lecture : 4 min

Le président sortant n'a aucun opposant: il a choisi les autres candidats, a le soutien des Occidentaux; seuls les islamistes...

«Ben Ali a-t-il vraiment besoin des élections pour rester en place. Il aurait pu s'épargner et nous épargner cette farce de mauvais goût», explique un opposant tunisien interviewé par Kalima, site tunisien, interdit dans son pays d'origine. A Tunis non plus, à l'heure d'aller aux urnes pour élire le président, l'humeur n'est pas à l'euphorie. Il est vrai que les Tunisiens sont persuadés de connaître à l'avance le nom du vainqueur. Au pouvoir depuis 22 ans, Zine El Abidine Ben Ali va conserver le pouvoir. Seule incertitude l'ampleur de sa victoire. En 1989, il avait obtenu 99,27 % des suffrages. 99,44 % en 1999. Et 94,49% en 2004. Sera-il encore une fois élu avec plus de 90% des voix? C'est la seule incertitude. Mais ce scrutin intéresse d'autant moins les Tunisiens que les autres candidats font pâle figure. Ils reconnaissent qu'ils n'ont aucune chance de l'emporter et certains font même campagne pour... Ben Ali.

Tout a été mis en place pour que le chef de l'Etat se maintienne au «pouvoir à perpète», comme l'affirme Kalima. «Un candidat à la présidentielle a besoin du parrainage de trente élus. Hormis le président sortant, personne n'est en mesure de remplir cette condition. Sauf si le président lui donne trente élus. Les dés sont donc pipés: le président sortant choisi lui-même ses adversaires. Sinon pour se porter candidat, il faut être depuis au moins deux ans et sans interruption le numéro un d'un parti».

Mouchards et provocateurs

Ainsi de réels opposants comme Mustapha Ben Jaafar n'ont pas été autorisés à se présenter. Beaucoup de Tunisiens affirment qu'ils ne voient pas l'intérêt d'aller voter. Pourtant, ils iront malgré tout aux urnes. Dans cet Etat policier, il ne fait pas bon adopter un comportement déviant et bouder les joies simples de la «démocratie à la Tunisienne».

«Dans ce pays les mouchards et les provocateurs sont partout», affirme le journaliste et écrivain tunisien Taoufik Ben Brik. Il vient d'ailleurs d'en faire une nouvelle fois l'expérience. Ben Brik habite toujours à Tunis, malgré les tentatives d'intimidation répétées. A la veille du scrutin, alors qu'il ramenait de l'école sa fille de dix ans en voiture, une femme a, selon lui, volontairement embouti son véhicule. Elle lui a sauté dessus en hurlant. Et elle a voulu le conduire au commissariat. «Cela fait partie du harcèlement quotidien. Même les proches des opposants ne sont pas épargnés», explique-t-il. D'autres opposants affirment que des photos montages pornograhiques les placent dans des situations compromettantes.

A Tunis, règne un climat étrange. Même les internautes, rassemblés dans les «cybers» regardent par-dessus leur épaule. Le «mouchard» n'est jamais loin. Bien des sites sont d'ailleurs censurés. La moindre mention d'un article consacré à la politique tunisienne peut déclencher le zèle des censeurs.

La presse tunisienne aux ordres, la presse étrangère censurée

Dans les kiosques aussi l'ordre règne. Les Tunisiens ont droit de tout lire, sauf ce qui concerne leur pays. Les journaux français sont omniprésents. Sauf quand ils consacrent quelques lignes au régime Ben Ali. La plupart du temps, ils n'ont même pas le temps d'arriver dans les kiosques. Mais parfois, la vigilance des gardiens du temple est trompée. Ainsi, un magazine français consacré à la Coupe du monde avait franchi les frontières de la Tunisie. Mais dès que les « censeurs » ont constaté que quelques lignes avaient été consacrées à un club de football de Tunis, dirigé par un parent du Président, ils ont retiré les exemplaires des kiosques.

La presse tunisienne ne risque pas pareil traitement. Chaque jour, la photo de Ben Ali occupe la Une. Quelles que soient les activités du président, elles sont jugées dignes d'être placées au sommet de la hiérarchie journalistique. Accompagnée d'articles dont la langue de bois pourrait rendre jaloux les dirigeants nord-coréens. A côté de la Tunisie, le Maroc et l'Algérie font figure de modèle de liberté d'expression.

Le silence complice de Paris

Certes Ben Ali peut se targuer de réussites. L'économie est prospère. Un taux de croissance de 4,5 % en 2008. A peine, moins en 2009. L'émancipation des femmes est plus grande que dans les autres pays du Maghreb. Une politique initiée par Habib Bourguiba et poursuivi par Ben Ali.

Mais comment expliquer que l'Occident n'exerce pas davantage de pressions sur ce régime? Comment justifier que Washington et Paris ne lui demandent pas des comptes? De Chirac et Sarkozy, les dirigeants français ont fréquemment vanté le modèle tunisien et ses «avancées démocratiques». Dont personne ne voit la concrétisation. La France est le premier partenaire économique de la Tunisie. Bruxelles et Paris auraient donc les moyens de faire changer la politique du pays qui réalise 80% de ses échanges avec l'Union européenne.

L'opposition islamiste

Si l'Occident ne fait pas de vague, c'est d'abord parce que le régime Ben Ali se présente comme un rempart très efficace contre les islamistes. Ensuite, l'occident se méfie des élections libres dans cette partie du monde. Les élections législatives algériennes de 1991 ont laissé de mauvais souvenirs en Occident. Les Islamistes l'avaient emporté. Des scrutins libres en Tunisie pourraient aussi déboucher sur des victoires électorales islamistes. Et la France n'a aucune envie de se retrouver avec un régime hostile à ses portes.

Mais le «système Ben Ali», en empêchant l'émergence de toute opposition, pousse bien des Tunisiens dans les bras des Islamistes. Ceux ci sont de plus en plus perçus comme les seuls vrais opposants. Même des Tunisiens très éloignés de leur idéologie en viennent à éprouver de la «sympathie» pour eux. A long terme, le «remède Ben Ali» pourrait avoir des effets néfastes et jeter les Tunisiens dans les bras des Islamistes.

La démocratisation n'est pas un luxe pour les Tunisiens. Elle s'avère plus que jamais nécessaire.

Pierre Malet

Image de une: manifestation en faveur de Ben Ali, le 21 octobre. REUTERS/Zoubeir Souissi

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