Sports

L'abus de pouvoir des clubs de supporters

Temps de lecture : 5 min

Les fauteurs de trouble, pourtant identifiés, restent étonnament épargnés.

Olympique de Marseille-Paris Saint-Germain. Dans le monde du football, on appelle ça un clasico. Dans les préfectures de police, un match à hauts risques. Dimanche 25 octobre, à 21h, marseillais et parisiens s'affronteront donc à Marseille à l'occasion de la 10e journée de Ligue 1. Et même si les deux équipes n'occupent actuellement que les 5e et 9e places du classement, ce duel sera, comme à chaque fois, un sommet du championnat qui accouchera peut-être, comme c'est souvent le cas, d'une souris morte d'ennui après 90 minutes largement oubliables.

Mais si le spectacle n'est pas toujours au rendez-vous sur les pelouses du Stade Vélodrome et du Parc des Princes, il l'est, en revanche, souvent dans les tribunes ou sur le chemin qui y mène les supporters des deux camps sous l'escorte de dizaines de CRS armés jusqu'aux dents compte tenu de la tension extrême. Car on connaît la chanson: slogans et refrains mêlent injures et provocations jetées parfois avec des boulons à la face du camp d'en face. Comme disait Gérard Holtz en son temps à la télévision, vive le sport !

La rivalité footballistique entre les deux clubs est relativement récente. Il a fallu attendre, en effet, les années de Bernard Tapie à la tête de l'OM pour que le fossé se creuse et que les rapports s'enveniment. C'est en 1989, alors que Bernard Tapie et Francis Borelli, le président du PSG, s'échauffent par presse interposée que s'opère une vraie fracture que les malheurs de l'OM, après son succès en Ligue des Champions contre le Milan AC en 1993, vont faire grandir. Bernard Tapie est reconnu coupable de tentative de corruption dans l'affaire du match truqué entre Marseille et Valenciennes et le torchon se met alors à brûler pour de bon entre l'OM et le PSG. Christian Bromberger, sociologue, a exposé cette théorie dans les colonnes de L'Equipe en 2002 : «Paris n'a jamais goûté les filouteries des Marseillais et a toujours stigmatisé son côté "bandit", cette histoire a donc renforcé les supporters parisiens dans leurs convictions. L'affaire aurait pu calmer la fierté des supporters marseillais, mais elle n'a fait que doper leur sentiment anti-parisien. Car Marseille n'a jamais supporté les jugements venus du pouvoir institutionnel concentré dans la capitale. Les supporters marseillais n'ont pas accepté que les procédures judiciaires soient parties de Paris.»

Incidents graves

Depuis 1993, les incidents, parfois très graves, se sont donc multipliés. En 1999, plusieurs centaines de supporters marseillais ont ainsi saccagé sept bus de la RATP et un TGV. Deux employés furent blessés et les dégâts s'élevèrent à  450 000 euros. En 2000, un supporter marseillais eut une fracture du crâne après avoir reçu sur la tête un siège lancé des tribunes par un Parisien. En 2002, 22 personnes furent interpellées et 11 déférées devant la justice après des jets d'appareils de robinetterie sur le terrain. Et ainsi de suite même si une certaine sérénité a semblé gagner les rangs au cours de la période récente. Mais les clubs de supporters des deux clubs, terriblement influents, continuent de souffler régulièrement sur les braises. Si bien qu'avant un OM-PSG ou un PSG-OM, on n'est jamais plus à l'abri d'un dérapage.

Ces puissants clubs de supporters sont, en définitive, la force et la faiblesse de l'OM et du PSG qu'ils « tiennent », d'une certaine manière, par un drôle de pouvoir devant lequel se « couchent », la plupart du temps, les instances dirigeantes de ces deux formations. Force parce qu'ils sont toujours là, ou presque, pour l'équipe quand ils ne font pas éventuellement la grève de leurs encouragements pour signifier un ras-le-bol. Faiblesse parce qu'ils peuvent vraiment plomber l'ambiance et précipiter le club dans de lourdes polémiques.

Huit groupes de supporters se partagent ainsi les virages du Stade Vélodrome : les Yankees, les Dodgers, MTP (Marseille Trop Puissant), les Fanatics, les Ultras, les Winners, les Amis de l'OM et le Club central des supporters. Des groupes à qui Bernard Tapie avait généreusement tendu une partie des cordons de la bourse pour acheter la paix sociale, et leur soutien, en leur permettant de vendre des abonnements dans les virages qu'ils occupaient, de se constituer ainsi un trésor de guerre et de créer un état dans l'état. «Je ne crois pas que nous les supporters fassions la pluie et le beau temps à l'OM, disait benoîtement l'un de ces Omistes, il y a peu, à l'hebdomadaire France-Football. Disons simplement qu'il est impossible pour un entraîneur ou un président de rester en place lorsqu'il n'a pas le soutien des supporters.»

Santos Mirasierra

L'un de ces Ultras de la Canebière, Santos Mirasierra, condamné à trois ans et demi de prison par la justice ibérique après des incidents en 2008 lors d'un match de Ligue des Champions entre l'OM et l'Atlético de Madrid, est même drôlement passé à la postérité. Jusqu'à endosser les habits du martyr accueilli en héros à son retour d'Espagne, avant d'être à nouveau interpellé en gare de Lille après une rixe avec un autre supporter, parisien cela va de soi.

Depuis 20 ans, les groupes de supporters du PSG ont eu également l'occasion de faire étalage de leur pouvoir, de nuisance plus que de raison. Eux aussi, comme à Marseille, ont eu quelques présidents dans leur collimateur et sont venus dire leur fait, parfois brutalement, aux joueurs au Camp des Loges, leur base d'entraînement, en cas de mauvais rendement. Mais s'ils défraient surtout la chronique, c'est, hélas, à cause du hooliganisme qui les empoisonne. Racisme et xénophobie sont régulièrement au menu d'une fraction d'entre eux qui a plongé le club dans le scandale à diverses reprises. L'affaire de la banderole déployée lors de la finale de la finale de la Coupe de la Ligue entre le PSG et Lens en 2008, «Pédophiles, chômeurs, consanguins :bienvenue chez les Ch'tis», est restée tristement célèbre. L'enquête a déterminé que ce tifo avait été confectionné, la veille, près du local des Boulogne Boys, au Parc des Princes. Ce qui a entraîné la dissolution de cette association de supporters. Le 23 novembre 2006, ce fut carrément le drame lorsqu'aux abords du Parc des Princes, à l'issue de la rencontre de Coupe de l'UEFA entre le PSG et l'Hapoël Tel-Aviv, un supporter parisien de 25 ans, Julien Quemener, fut tué accidentellement par balle par un policier en civil venu porter secours à un spectateur de confession juive pris en chasse par des hooligans.

Les récents incidents, qui ont émaillé le match de Ligue 1 entre Grenoble et Nice, ont montré que Paris et Marseille n'avaient pas le monopole de la bêtise en la matière. A l'évidence, le Ministère Public, la Fédération Française de Football, la Ligue Professionnelle et les clubs n'arrivent pas à parler à ces Ultras qui ont le sentiment de ne plus être entendus dans un environnement économique où le public, donc eux, ne pèse plus très lourd. En 30 ans, les recettes au guichet sont passées, en effet, de 80 à moins de 20% dans la part des revenus des clubs qui se financent essentiellement par les droits télé. . «Les supporters se sentent dépossédés et ils ont l'impression que le club n'a plus besoin d'eux, expliquait Andy Smith, directeur de recherche à l'Université de Bordeaux, à L'Equipe en 2007. Leur colère, quand elle s'exprime, est autant un aveu de passion que d'impuissance.» Reste à savoir pourquoi le club est devenu un enjeu de pouvoir en France alors qu'il n'est que célébration en Angleterre. Et à comprendre pourquoi les autorités publiques, et les clubs, ne font pas preuve de plus de conviction en interdisant de stade les fauteurs de trouble dont la plupart, pourtant identifiés, restent étonnamment épargnés. Entre fermeté et souplesse, la juste mesure n'a jamais été trouvée.

Un club, cependant, fait exception dans l'hexagone, le paisible RC Lens, actuellement dans les profondeurs de la Ligue 1 et dont les médiocres résultats agitent la blogosphère locale dans laquelle débattent vivement les membres du 12 lensois, association qui regroupe les 76 sections de supporters recensées par le club. Et il s'en trouve une large majorité pacifique pour monter au créneau, en dépit des avatars de cette saison, afin de soutenir mordicus Jean-Guy Walemme, l'entraîneur lensois, qui, il le sait certainement, a la chance de n'être ni parisien, ni marseillais...

Yannick Cochennec

Image de Une: Supporters du PSG, REUTERS/Gonzalo Fuentes

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