Angers (Maine-et-Loire)
Chaque été, c’est le rendez-vous «revendicatif» de la CGT, présente sur le Tour de France depuis 1947. A l’époque, les organisateurs avaient invité les titres de presse ayant participé à la Libération. La Vie Ouvrière, journal historique de la CGT rebaptisé La Nouvelle Vie Ouvrière, faisait partie des heureux élus. Depuis, la tradition se perpétue: le premier syndicat de France, via sa gazette officielle, échappe aux droits d’accès à la caravane publicitaire, formée cette année de 36 annonceurs.
«Le cyclisme est le dernier sport de haut niveau accessible aux familles et gratuitement, analyse Dominique Piron, responsable CGT de la caravane sur le Tour 2016. Notre centrale a toute sa place auprès de la population. Cela nous permet de rencontrer les salariés et de réaffirmer nos positions.»
Dans la roue du spécialiste de la frite congelée McCain et marqué par l’opticien Krys, le cortège cégétiste est composé de quatre véhicules, dont deux voitures chargées de distribuer des règles d’écolier estampillées CGT. «La présence de la CGT rend les employeurs du Tour plus vigilants, plus respectueux du Code du travail, assure ce retraité, qui en est à sa treizième Grande Boucle. Les salariés saisonniers viennent nous voir pour connaître leurs droits.» Et de conclure: «On voit que la majorité des Français sont opposés à la loi Travail. On sait qu’on ne fait pas l’unanimité mais on est acclamés! Des gens nous demandent de continuer le combat.»
«Imaginez des coureurs devant pratiquer le rétropédalage»
Pour cette 103e édition, un deuxième syndicat, également opposé à la loi Travail, est de la partie. Sur le Tour depuis 1980, FO est positionné en queue de caravane, devant le spécialiste de colles et d’adhésifs Bostik. Ses véhicules offrent, entre autres, un numéro spécial sur le Tour de France.
Tiré à 200.000 exemplaires, le magazine est rédigé par les journalistes de FO Hebdo. Entretiens avec le coureur français Bryan Coquard et le directeur du Tour de France Christian Prudhomme, présentation des équipes et des favoris, «de quoi rivaliser avec les journaux sportifs», s’amuse Raphaël Avrillon, responsable FO sur le Tour.
Pourtant, dès la page 3, l’éditorial du secrétaire général Jean-Claude Mailly rappelle l’objectif politique du syndicat: combattre la loi Travail et son article 2.
«Une ligne rouge a été franchie par le gouvernement qui veut […] faire primer l’accord d’entreprise sur l’accord de branche. Ce serait un vrai recul social. Imaginez des coureurs devant pratiquer le rétropédalage…»
En campagne à l’approche des élections syndicales dans les TPE, prévues fin 2016, la CGT et FO distribuent également des tracts dans les localités traversées. À la manœuvre: les unités départementales, ancrées dans les territoires. À chaque étape, ses membres installent en bord de route des stands, garnis de drapeaux aux couleurs de leur centrale, pour «sensibiliser» les 4,5 millions de salariés travaillant dans des entreprises de moins de 11 employés.
Le Medef valorise le «Beau Travail»
Au Medef, la méthode est différente. C’est derrière l’appellation «Beau Travail», lancée en 2014 par l’organisation patronale, que les idées du patronat sont diffusées depuis l’an passé aux quatre coins du pays. Objectif: valoriser «les métiers en tension», comme dans la boucherie et la plomberie.

La voiture du Medef sur le parcours du Tour (Cyril Peter).
Sélectionnés par le Medef, des apprentis exerçant dans les régions traversées sont à l’honneur. Accompagnés par leurs formateurs, ces jeunes dévoilent au public, sur le podium du village-départ, un vélo qu’ils ont élaboré selon leur savoir-faire. Un en bois conçu par des apprentis menuisiers, un autre en sucre fabriqué par deux jeunes pâtissiers…
Sur la caravane, des hôtesses offrent des porte-clés, des pots de crayon et des chapeaux aux spectateurs qui s’impatientent, deux heures avant le passage des coureurs. Sur ces goodies figure l’inscription «Beautravail.org». Le but est d’inciter le public à visiter le site internet du Medef, qui fait la promotion de l’apprentissage comme moyen de lutte contre le chômage.
«En Allemagne, il y a 1,2 million d’apprentis, contre 372.000 en France, constate Olivier Midière, conseiller en communication au Medef. En Suisse, plus de la moitié des élèves sont orientés vers l’apprentissage. Ces deux pays ont les taux de chômage les plus bas d’Europe.» Et d’enfoncer le clou: «En France, si vous travaillez mal en classe de troisième, on vous propose l’apprentissage, qui est présenté comme une punition. Il faut casser la règle des 80% de bacheliers.»
Pour ce proche de Pierre Gattaz, efficacité rime avec discrétion. «On n’a pas envie d’exhiber le logo du Medef sur nos goodies. Mais pas question de se cacher: Medef est écrit sur nos voitures de la caravane. C’est important de montrer que le Medef n’est pas que "le monstre du capital". Mais on a parfois droit à des huées… »
«Bulle Tour de France»
Conscient du climat social tendu, Olivier Midière considère que ce n’est ni le moment ni le lieu pour évoquer la loi Travail. «C’est un moment de fête, on n’est pas là pour mettre de l’huile sur le feu, mais pour faire de la pédagogie. On profite de la bulle Tour de France pour préparer l’avenir.»
Diagnostic, après trois jours de course: «Les Français sont paumés, ils ont besoin de savoir où ils vont.» Pour les guider, le Medef multiplie les initiatives avec, par exemple, le jeu des «sept défis pour faire gagner la France». Distribué à l’arrivée de la course, ce jeu de cartes met en avant des thématiques chères à l'organisation patronale: audace créatrice, épanouissement, numérique, filières d’avenir, développement durable, Europe, mondialisation.
Tel un homme de terrain décidé à rompre avec ses prédécesseurs, Pierre Gattaz a déjà fait le déplacement. Le président du Medef était au village-départ au Mont-Saint-Michel lors de la première étape, samedi 2 juillet. Il prévoit également de «prendre le pouls» à Limoges ce mercredi, lors d’une étape de montagne à déterminer et à l’arrivée finale aux Champs-Elysées. «Il faut expliquer aux Français le monde qui bouge, la vision mondialiste du Medef pour contrer le discours souverainiste, dans un contexte de défiance envers les élites et le capitalisme», précise Olivier Midière.
Comme FO et contrairement à la CGT, le Medef doit payer pour figurer sur la caravane, qui croise les 12 millions de spectateurs massés au bord des routes. Pour cet entrepreneur spécialisé dans le marketing, les 600.000 euros déboursés cette année par l’organisation patronale seront rentabilisés. «On rencontre les familles, les élus, les responsables de CFA [centres de formations d’apprentis, ndlr]. Dans un temps aussi court et dans une ambiance festive, il n’y a rien de mieux.»