Culture

L'étrange disparition qui fit d'Agatha Christie une superstar

Temps de lecture : 3 min

Jusqu’où une personne acculée par le chagrin peut-elle se rendre pour apaiser sa douleur? Certains videraient les verres d’alcool. D’autres se refuseraient à l’inaction et trouveraient un exutoire dans la fureur. Quelques-uns, enfin, pourraient se réfugier dans une folie passagère. C’est peut-être bien ce qu’a connu Agatha Christie entre le 3 et le 14 décembre 1926. Quoique, il ne s’agit que d’une hypothèse. Ce qu’il s’est passé durant les onze jours de sa disparition, elle l’a emporté dans sa tombe. Retour sur ce fait divers qui a marqué l’Angleterre.

Agatha Christie jeune | via Wiki media CC License by II Agatha Christie plus âgée | via Wiki media CC License by
Agatha Christie jeune | via Wiki media CC License by II Agatha Christie plus âgée | via Wiki media CC License by

Slate.fr vous propose tout l'été des histoires mystérieuses impliquant de grands écrivains. Pour ce premier volet: Agatha Christie.

En 1926, Agatha Christie vient de publier son sixième roman, Le Meurtre de Roger Ackroyd. Elle a la cote dans les librairies britanniques, quoique sa popularité n’atteigne pas encore des sommets. Et pendant que sa carrière décolle, son cœur prend l’eau: son mari, Archibald, souhaite divorcer pour épouser sa maîtresse. Il lui reproche de préférer ses livres à leur couple et à leur fille, Rosalind. Agatha Christie vient de perdre sa mère. Il dit ne pouvoir supporter de vivre avec des gens malheureux. Le départ de son mari, dont elle est très éprise, finit de l’achever.

Le vendredi 3 décembre au soir, elle embrasse Rosalind –qui a alors 7 ans– et laisse une lettre à sa secrétaire lui demandant d’annuler ses rendez-vous. Elle prend alors le volant de sa Morris Cowley et quitte sa demeure du Berkshire en pleine nuit. Au petit matin, elle n’est toujours pas réapparue et ses draps sont froids.

Sa voiture est identifiée au bord de l’étang sombre de Silent Pool, les phares allumés, sans qu’il n’y ait vraiment de trace d’accident. À l’intérieur, la police retrouve ses affaires personnelles, son manteau en fourrure et son permis de conduire périmé. Plus loin, le poudrier de sa mère. Les journaux s’emparent de l’histoire. S’agit-il d’un suicide? d’un kidnapping? d’un meurtre commandité par Archibald Christie? Dans ce dernier cas, le crime serait parfait: malgré des aéroplanes survolant la zone (une première à l’époque), les chiens, le drainage de l’étang, une battue de 1.000 policiers, suivie d’une autre de 15.000 volontaires, son corps reste introuvable. Qu’est-il arrivé à Agatha Christie?

La presse crée divers photomontages à partir de son portrait: voici à quoi la mère d’Hercule Poirot ressemblerait avec un chapeau, avec des lunettes, les cheveux courts.

Après tout, Agatha Christie adore se déguiser. Les journaux ne vont pas jusqu’à la grimer d’une moustache, mais un témoin prétend l’avoir vue habillée en homme. Un autre pense l’avoir aperçue chez Harrods, à Londres. Deux collègues auteurs de polars participent à leur manière aux recherches: Dorothy L. Sayers visite les lieux de sa disparition, Sir Conan Doyle confie un de ses gants à un médium, qui affirme qu’elle est vivante et qu’elle ne va pas tarder à se montrer. En attendant, le pays se passionne pour l’affaire et 100 livres sterling sont promis en récompense de toute information sérieuse.

Fugue dissociative?

Le 14 décembre 1926, le monde est toujours sans nouvelle d’Agatha Christie. À Harrogate, une ville charmante du nord de l’Angleterre, un groupe de jazz entre au Swan Hydropathic Hotel pour donner un concert. Le saxophoniste (ou le batteur, selon les versions) reconnaît l’écrivaine. Quand son mari vient la chercher, Agatha Christie ne le reconnaît pas. Les enquêteurs découvrent qu’elle est enregistrée sous le nom de Theresa Neele. Le même nom que la maîtresse d’Archibald. Elle remonte dans sa chambre payée cash, essaie plusieurs robes afin d’en choisir une qui lui convienne, et redescend dans le hall. Puis, au bras de son mari, elle rentre chez elle sans adresser un mot à personne.

Jamais Agatha Christie ne parlera de sa disparition. Pas même à Rosalind.

Son histoire a inspiré, entre autres, Alfred Hitchcock (pour le film The Lady Vanishes) et Gillian Flynn (pour son best-seller Les Apparences)

Interrogée sur le sujet des années après, elle dira bien avoir enregistré, pour son autobiographie, un chapitre consacré à cette escapade sur son magnétophone. Que, malheureusement, les bandes étaient inaudibles. Et que de toute façon, eh bien, elle a des problèmes de mémoire.

Les théories sur le sujet se comptent sur les doigts de la main. Ou bien Agatha Christie voulut donner une leçon à son mari (ce que la famille a toujours démenti). Ou bien elle fut atteinte de fugue dissociative, sorte d’amnésie temporaire causée par le stress, la dépression. Les plus cyniques y virent un formidable coup de pub: car à la suite de sa disparition dans la nuit brumeuse et des gros titres des journaux, Agatha Christie atteignit son rang d’écrivaine superstar. Aujourd’hui, la reine du polar a dépassé les 350 millions d’exemplaires vendus à travers le monde.

Son histoire a inspiré, entre autres, Alfred Hitchcock (pour le film The Lady Vanishes) et Gillian Flynn (pour son best-seller Les Apparences). Dans ses romans, il est parfois question de femmes trompées et vengeresses. Cela suffit-il à donner une réponse? En 1923, dans «La Disparition de M. Davenheim», Hercule Poirot explique:

«Il existe [plusieurs] catégories de disparition. Dans la première, la plus courante, se rangent les disparitions volontaires. Dans la seconde, les cas d’amnésie dont on abuse beaucoup: peu fréquents, il arrive quand même de temps à autres qu’il y en ait d’authentiques.»

Prochain volet: le meilleur ami de John Steinbeck.

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