Santé / Culture

Les plus grands artistes français du XIXe siècle se réunissaient dans un club mystérieux pour fumer du shit

Temps de lecture : 4 min

D’Alexandre Dumas à Eugène Delacroix, les plus grands artistes français du XIXe siècle firent tous partie du mystérieux Club des Haschischins.


Dans une scène centrale du Comte de Monte-Cristo d'Alexandre Dumas, le jeune aventurier Franz d'Épinay visite, au cours d'une partie de chasse, l'île apparemment déserte de Monte-Cristo. Il croise alors le chemin d'un groupe de contrebandiers qui le conduit, les yeux bandés, jusqu'à une grotte secrète où vit leur chef entouré de splendeurs orientales, sous le nom de guerre de Simbad le marin. Simbad –derrière lequel on devine déjà le Comte de Monte-Cristo déguisé– lui sert un somptueux festin, suivi d'un petit bol d'une pâte verdâtre et âcre. «Vous ne pouvez pas deviner, lui dit celui-ci, quelle espèce de comestible contient ce petit vase, et cela vous intrigue, n’est-ce pas?», s'enquiert Simbad. Franz acquiesce. Simbad lui raconte alors l'histoire d'Hasan-i Sabbâh, dit le «Vieux de la Montagne». Chef de la secte des Assassins pendant les Croisades, il recrutait ses adeptes en leur faisant consommer une drogue qui «les transportait dans le paradis», et qui les faisait obéir à ses ordres «comme à ceux d'un dieu».

Son hôte reconnaît l'histoire. «Alors, c'est du haschisch!», s'écrie Franz.

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C'est bien cela, confirme Simbad, «tout ce qui se fait de meilleur et de plus pur en haschisch à Alexandrie». «Il y a une lutte de la nature contre cette divine substance, de la nature qui n’est pas faite pour la joie et qui se cramponne à la douleur», poursuit-il. «Il faut que la nature vaincue succombe dans le combat, il faut que la réalité succède au rêve ; et alors le rêve règne en maître, alors c’est le rêve qui devient la vie et la vie qui devient le rêve. [...] Goûtez du hachisch, mon hôte! Goûtez-en!»

Cette scène de l'oeuvre de Dumas reflète son enfance passée absorbé dans la lecture des Mille et une nuits, livre dans lesquelles les mendiants mangeurs de haschisch sont prompts à imaginer leurs taudis se transformer en palais; mais il provient également d'une source plus directe. En février 1846, alors que Le Comte de Monte-Cristo, publié en feuilleton, est à l'apogée de sa gloire, la revue littéraire La Revue des Deux Mondes publie un article de Théophile Gautier intitulé «Le Club des Haschischins». Bien qu'archi-romancé et écrit dans le style gothique typique de l'époque, le texte décrit un salon littéraire bien réel. En 1845, le peintre Fernand Broissard adressa une mystérieuse lettre à Gautier, l'invitant à participer à un rassemblement privé dans les étages supérieurs richement décorés de l'hôtel Pimodan sur l'île Saint-Louis, où il vivait. «Mon cher Théophile, il se prend du haschich lundi prochain 3 novembre sous les auspices de Moreau de Tours et d’Aubert-Roche, veux-tu en être?», annonçait-il. «Dans ce cas, arrive entre 5 et 6 heures au plus tard. Tu prendras ta part d’un modeste dîner, et tu attendras l’hallucination.»

Gautier narre cet épisode en adoptant le point de vue d'un néophyte tremblant, faisant route par une nuit d'hiver brumeuse jusqu'à «l'ancien hôtel, lieu de réunion des adeptes». En arrivant à la porte, il actionne le heurtoir sculpté, l'ancien pêne rouillé s'ouvre et un vieux portier lui indique le chemin d'un doigt décharné. La première personne qu'il rencontre est un maître de cérémonie mystérieux, le «docteur X», qui dépose une cuillerée de pâte verdâtre dans une élégante soucoupe de porcelaine du Japon avant de la présenter au novice accompagnée d'une bénédiction: «Ceci vous sera défalqué sur votre portion de paradis.»

Making-of

«Les plus grands artistes français du XIXe siècle se réunissaient dans un club mystérieux pour fumer du shit» a été traduit de l’anglais par Sophie Lapraz, Nicolas Prouillac et Arthur Scheuer, d'après l'article «The Green Jam of "Doctor X"», extrait du livre Emperors of Dreams. Découvrez également sur Ulyces quel rôle a joué l'opium dans l'écriture de la Symphonie fantastique de Berlioz.

La «confiture» –une préparation égyptienne connue sous le nom de dawamesk, du haschisch mélangé à des fruits secs et des noix caramélisées pour atténuer son amertume– est avalée avec du café turc avant le début du festin: un banquet servi dans de grands verres de Venise, des cruches flamandes, de la porcelaine et des pièces de faïence anglaise à fleurs dépareillées. Les autres convives forment un groupe flamboyant et bohème portant la barbe broussailleuse, des poignards médiévaux et ces dagues orientales recourbées qu'on appelle des kriss. Gautier note que l'effet de la drogue a commencé par altérer son goût: «L'eau que je buvais me semblait avoir la saveur du vin le plus exquis, la viande se changeait dans ma bouche en framboise, et réciproquement.» Ses compagnons prennent la forme de créatures difformes aux «grandes prunelles de chat-huant» dont le nez «s'allongeait en proboscide» –en trompes. Une fois le dîner terminé, quelqu'un crie: «Au salon!»

Le salon est «une énorme pièce aux lambris sculptés et dorés, au plafond peint, aux frises ornées de satyres poursuivant des nymphes dans les roseaux, la vaste cheminée de marbre de couleur, aux rideaux de brocatelle, où respire le luxe des temps écoulés» –les appartements des étages de l'hôtel Pimodan sont restés en l'état. Il se remplit progressivement de figures fantastiques «comme on n’en trouve que dans les eaux-fortes de Callot et dans les aquatintes de Goya», un mélange étrange qui plonge Gautier dans une série de visions hilarantes et grotesques, interrompues par un récital de piano qui l'emporte vers les cimes de l'extase, d'abord profondément émouvantes puis cauchemardesques, avec l'apparition de formes démoniaques se moquant de lui alors qu'il tente de s'échapper, ralenti par une force invisible. Son récit atteint le summum de son intensité dramatique lorsqu'il entre dans une série de cours gigantesques, pleines de monstres qui l'accompagnent aux obsèques du Temps. Bientôt, l'horloge dont l'aiguille était restée immobile s'anime à nouveau et indique onze heures. Le temps ordinaire est ressuscité et Gautier revient à lui. Le nouvel initié retrouve sa calèche qui l'attend dans la rue.

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