A la veille de l'ouverture, en France, des Etats généraux de la bioéthique le Vatican vient de condamner sans appel une série de pratiques médicales aujourd'hui en plein développement. Benoît XVI a ainsi dénoncé — de manière solennelle et avec la plus grande virulence — l'usage actuel des techniques génétiques dans le cadre du dépistage prénatal de certaines affections héréditaires. Il s'agit ici selon lui d'un véritable «attentat contre l'humanité». Le pape a tenu ces propose au terme d'un congrès international organisé les 20 et 21 février par l'Académie pontificale pour la vie; un congrès intitulé «les nouvelles frontières de la génétique et le risque de l'eugénisme». A cette occasion, Benoît XVI a mis en garde contre «les discriminations exercées sur la base de différences dues à des facteurs génétiques réels ou présumés.»
Devant les trois cents participants réunis dans la salle du Consistoire, le souverain pontife a notamment déclaré que «toute discrimination exercée par n'importe quel pouvoir contre des personnes, peuples ou ethnies sur la base de différences dues à des facteurs génétiques, réels ou présumés, est un attentat contre l'humanité toute entière.» Il a rappelé que «tous les êtres humains ont la même dignité du fait même qu'ils sont nés» et que «le développement biologique, psychique, culturel, ou l'état de santé ne peuvent en aucun cas devenir des facteurs discriminants».
Le pape contre «l'eugénisme»
«Si l'homme est ramené au rang d'objet de manipulations expérimentales dès les premières phases de son développement, a ajouté Benoît XVI, cela veut dire que les biotechnologies médicales se soumettent à la loi du plus fort». Et il a explicitement fait le parallèle avec l'eugénisme. «L'eugénisme n'est sûrement pas une pratique nouvelle», a rappelé l'ancien cardinal Ratzinger évoquant «la mise en œuvre de formes inouïes de véritable discrimination et de violence dans le passé par des idéologies eugénistes et racistes qui (...) ont humilié l'homme et provoqué d'horribles souffrances».
Pour le pape, aujourd'hui, «une nouvelle mentalité s'insinue»; une «mentalité» qui tend «à privilégier les capacités opérationnelles, l'efficacité, la perfection et la beauté physique, au détriment d'autres dimensions de la vie qui ne sont pas jugées dignes d'intérêt». Il condamne enfin clairement la pratique du diagnostic prénatal en général et celui du diagnostic pré-implantatoire en particulier. Proposée à des couples connus pour être exposés à un risque particulier de transmission d'une maladie d'origine génétique, cette technique consiste, après fécondation in vitro, à sélectionner les embryons indemnes de l'anomalie caractéristique de l'affection. «Des enfants dont la vie n'est pas jugée digne d'être vécue sont pénalisés dès leur conception», observe Benoît XVI.
Au delà de la simple condamnation de cette forme de sélection génétique, il apparaît que le Vatican conteste désormais ouvertement le rôle et le poids de la communauté médicale et scientifique auprès des législateurs nationaux. C'est ainsi que lors du congrés organisé à Rome, Mgr Rino Fisichella, président de l'Académie pontificale pour la vie, a soutenu que les chercheurs «ne pouvaient être les seuls responsables de l'établissement des critères permettant de juger de la licéité des objectifs de l'expérimentation génétique.»
Sans partager les mêmes convictions religieuses, certains médecins rejoignent aujourd'hui les inquiétudes des responsables de l'Eglise catholique quant aux conséquences à venir de l'usage croissant qui pourrait être fait des techniques de dépistage génétique. C'est notamment le cas, emblématique, du professeur Didier Sicard, ancien président du Comité consultatif national français d'éthique, qui observe que l'activité de dépistage prénatal à partir des techniques génétiques est aux antipodes de la thérapeutique et renvoie à la perspective de l'éradication.
«Dans une société idéale, on pourrait imaginer que des parents informés puissent décider qu'ils ne peuvent pas accepter la naissance d'un enfant atteint de telle ou telle affection grave, déclarait le professeur Sicard au Monde en 2007. Je ne suis pas certain que ce soit à la société d'intervenir dans le choix de ces parents. Et il me paraît hautement préoccupant que l'on passe d'un dépistage généralisé à une forme d'éradication sociale. Le cas des trisomies 21 et 18 en est un exemple paradigmatique. Tout s'est passé comme si, à un moment donné, la science avait cédé à la société le droit d'établir que la venue au monde de certains enfants était devenue collectivement non souhaitée, non souhaitable.»
Hasard ou fatalité, les propos de Benoît XVI concernant l'usage de la génétique font suite à la publication, fin 2008, par le Vatican de l'Instruction «Dignitas Personae sur certaines questions éthiques» consacrée aux derniers développements des techniques de procréation médicalement assistée et de la biologie de la reproduction. Là encore, la haute hiérarchie de l'Eglise catholique romaine ne fait pas mystère de sa volonté de peser sur les processus législatifs concernant ce domaine d'activité. Et, au grand désespoir de nombreux gynécologues-obstétriciens catholiques, cette Instruction condamne, en trente sept articles et avec la plus grande force, la quasi-totalité des méthodes de traitement de la stérilité humaine.
FIV et recherches sur cellules souches dans le collimateur
«Le fruit de la génération humaine, dès le premier instant de son existence, c'est-à-dire à partir de la constitution du zygote, exige le respect inconditionnel moralement dû à l'être humain dans sa totalité corporelle et spirituelle, rappelle le Vatican. L'être humain doit être respecté et traité comme une personne dès sa conception, et donc dès ce moment, on doit lui reconnaître les droits de la personne, parmi lesquels, en premier lieu, le droit inviolable de tout être humain innocent à la vie».
En pratique, ce postulat a pour conséquence de qualifier d'illicite toute conception qui ne serait pas — au sein du mariage — le fruit d'une relation sexuelle fécondante. Condamnées donc, la fécondation in vitro, la congélation des embryons, les recherches sur les cellules souches embryonnaires. Et l'opprobre va jusqu'à l'insémination artificielle, que celle-ci soit effectuée avec le sperme d'un donneur ou celui de l'époux. Cette position n'est sans doute pas nouvelle. Elle est exprimée vingt et un ans après la publication de l'Instruction «Donum Vitæ sur le respect de la vie humaine naissante». Mais il faut désormais compter avec le développement considérable des techniques d'assistance médicale à la procréation durant cette période.
Depuis la naissance en 1978 de la Britannique Louise Brown, premier « bébé-éprouvette » (aujourd'hui devenue mère sans assistance médicale), près de cinq millions d'enfants ont vu le jour après avoir été conçus par fécondation in vitro à travers le monde. Cette situation fait que les condamnations du Vatican apparaissent de moins en moins audibles tout comme auparavant l'avaient été celles concernant la contraception féminine hormonale.
Dans un contexte à ce point conflictuel, il sera du plus grand intérêt d'analyser l'attitude qu'adopteront, ces prochains mois, les évêques français en charge de ces questions dans le cadre de Etats généraux de la bioéthique, initiative gouvernementale et citoyenne organisée en prélude à la révision de la loi de bioéthique de 2004. Le contenu de l'ouvrage que ces évêques viennent de publier (1) semble, d'ores et déjà, prendre quelques distances vis à vis de la radicalité vaticane.
Kléber Ducé
(1) « Bioéthique. Propos pour un dialogue », ouvrage collectif des évêques français du groupe de travail sur la bioéthique Editions Lethielleux/ Desclée de Brouwer.
Image de une biotechadvancetechnology.com.