L'information a été révélée mercredi 21 octobre par Libération: la Haute autorité de santé (HAS), organisme en charge de conseiller les autorités gouvernementales françaises, suggère que le dépistage de l'infection par le virus du sida soit proposé à l'ensemble de la population, dans une tranche d'âge allant «de 15 à 70 ans».
Une vieille rengaine ressurgit
Et voici aussitôt que reviennent les ombres des années 1980. Nous étions alors peu après la découverte du VIH et la mise au point des premiers tests permettant, à partir d'une simple prise de sang, d'identifier les personnes contaminées. Certains prédisaient alors que sans actions volontaristes une large fraction de la population succomberait à ce nouveau fléau. Corollaire: des voix s'élevaient alors de manière récurrente pour réclamer l'organisation de campagnes de dépistage systématique de l'infection; des campagnes pratiquées, s'il le fallait, sans le consentement des personnes ainsi dépistées. Le leader du Front national chercha notamment à faire feu de tout bois.
On se souvient qu'en haut lieu la tentation, par moment, fut forte. Il est vrai que les arguments sanitaires ne manquaient pas. Les tests existaient; on savait la maladie contagieuse, transmissible par voie sanguine et sexuelle et on apprenait à comprendre qu'il pouvait exister un long délai entre la contamination et les premiers symptômes du syndrome d'immunodéficience acquise que l'on écrivait encore SIDA ou Sida avant que, force de l'habitude, les majuscules se dissolvent.
Dépister de manière systématique et, au besoin, sous la contrainte dans l'intérêt de la santé publique bien sûr, pour réduire autant que possible la circulation du virus au sein de la population. Dépister de manière systématique pour que les personnes découvrant leur infection puissent prendre leurs responsabilités vis-à-vis de leur(s) partenaire(s) sexuel(s). Dépister de manière systématique et à échéance régulières pour que les chirurgiens puissent mieux se protéger dès lors qu'ils étaient amenés à opérer des personnes contaminées.
Le contexte médical a évolué
Cette volonté de dépistage se heurtait toutefois à un obstacle de taille: on ne disposait d'aucune thérapeutique médicamenteuse efficace contre cette nouvelle infection virale, la prise en charge des malades se limitant au traitement des différentes infections (dites «opportunistes») qui caractérisaient le syndrome. Ceci n'empêcha nullement certains pays d'imposer le dépistage de l'infection par le VIH dans les procédures d'obtention des visas pour ne pas importer le mal sur leur territoire; toujours ce mythe des frontières imperméables aux virus, bactéries et autres parasites. Ce fut notamment le cas des Etats-Unis et ce alors même, formidable paradoxe, qu'ils étaient sans aucun doute alors le pays comptant en valeur absolue le plus grand nombre de cas.
En France fort heureusement le bon sens, l'éthique et le respect des personnes l'emportèrent. On se souvient notamment de l'action courageuse de Michèle Barzach, alors ministre de la Santé dans un gouvernement de cohabitation, et de sa politique de réduction des risques auprès des toxicomanes. Pas de dépistage systématique sous la contrainte. Les seuls dépistages systématiques concernèrent (avec leur plein accord) les donneurs de sang et on mit progressivement en place une série d'incitation régulière au dépistage (dans des centres anonymes et gratuits) doublées de campagnes régulières incitant à avoir recours aux préservatifs masculins en cas de situations potentiellement à risque.
Durant tout ce temps le Vatican prêchait pour l'abstinence avant le mariage (hétérosexuel) suivie de la fidélité réciproque ensuite.
La donne commença à changer au milieu des années 1990 avec la découverte des premiers médicaments antirétroviraux efficaces contre le VIH et plus encore avec les remarquables progrès obtenus à partir de leurs associations (multithérapies). Le dépistage pratiqué de manière régulière (dès lors que l'on se savait plus ou moins exposé) au risque devenait d'autant plus important qu'il permettait une prise en charge précoce de la personne, prise en charge qui augmente considérablement l'espérance de vie. Pour autant, aucune voix ne s'éleva alors pour réclamer des dépistages systématiquement imposés.
Le diagnostic de la HAS répond à une situation peu satisfaisante
C'est dans ce paysage que s'inscrit aujourd'hui l'initiative de la HAS. Là encore les arguments ne manquent pas, en 2009, pour justifier de nouvelles incitations à la recherche précoce de l'infection par la VIH. Différents modèles statistiques ont, ces dernières années, établi que l'on pouvait estimer à 40.000 (sur un total d'environ 160.000) le nombre des personnes qui, en France, sont séropositives sans le savoir. Et selon la HAS près d'une personne sur deux (47%) des personnes chez lesquels un diagnostic de sida est porté n'ont pas bénéficié d'un dépistage précoce. Cette situation concernerait plus particulièrement les personnes âgées de plus de 40 ans, chez celles d'origine étrangère et celles contaminées par voie hétérosexuelle. On recense chaque année entre 6000 à 7000 nouvelles contaminations.
La situation qui prévaut est d'autant moins compréhensible que la France est un des pays qui pratique, généralement en routine (don de sang, grossesse, certaines interventions chirurgicales), le plus grand nombre de tests de dépistage: environ chaque année 5 millions. C'est donc un euphémisme de dire que le dispositif actuellement en vigueur souffre d'un certains nombre d'insuffisances. Pour le dire simplement, on dépiste énormément et on ne dépiste souvent pas là où il le faudrait. Comment dès lors améliorer la situation? La HAS prend bien soin elle aussi de dissocier la nécessité d'une systématisation du dépistage de son caractère obligatoire. Là encore il faut inciter à «mobiliser fortement les acteurs de santé sur une période de temps déterminée».
Plusieurs voies existent pour un dépistage mieux organisé
Mieux dépister? Pourquoi ne pas solliciter - on pense toujours à eux dans ces moments là - les médecins généralistes qui, avec tact et mesure, pourraient le proposer à leurs patients? Pourquoi ne pas aller plus loin et innover en permettant à chacun d'entre nous de pouvoir aller se faire tester directement dans un laboratoire d'analyse médicale et ce - ce serait une première - sans prescription médicale. Dans ce cas, la HAS précise que ce serait au biologiste qui a fait le test d'informer lui-même la personne de son état. Par courrier? Par mail? Par téléphone? Par SMS? Le rôle du biologiste s'arrêterait là, les personnes dépistées positives devant alors pouvoir bénéficier d'une prise en charge médicale adaptée.
Améliorer le dépistage en le banalisant en quelque sorte. Pourquoi pas? Mais serait-ce si simple? En quoi serait-il plus facile d'aller de son propre chef dans un laboratoire d'analyse biologique que de choisir le centre de dépistage anonyme et gratuit? Peut-on raisonnablement postuler que dans leur très grande majorité les médecins généralistes n'ont pas perçu qui, dans leur clientèle, pouvait bénéficier d'un conseil et d'une incitation dans ce domaine? Quant au fait de placer à 70 ans la barre à l'incitation systématique au dépistage, on aimerait en connaître le rationnel et savoir comment généralistes et spécialistes trouveront les moyens, sans froisser leur susceptibilité, de convaincre les plus âgés de leurs patients. Et pour finir: quelle est la «rentabilité» des cinq millions de tests pratiqués chaque année en France?
Comme pour celles concernant les vaccinations, les politiques de dépistage fondées sur l'incitation et le volontariat ont immanquablement leurs limites. Et ces limites ne peuvent être dépassées que lorsque, comme à la grande époque hygiéniste post-pastorienne, le pouvoir avait recours à l'obligation. L'aura de la science médicale était alors en expansion infinie tandis que les maladies contagieuses étaient encore bien présentes, bien visibles au sein de populations. Comment, dès lors, ne pas pleinement adhérer aux progrès? Qui, par exemple, s'indigna de la recherche systématique et généralisée, durant des décennies et sans jamais demander le consentement des intéressé(e)s des stigmates biologiques de l'infection syphilitique (le tristement fameux «BW», pour Bordet-Wassermann, ses deux concepteurs)?
Il semble bien que, de ce point de vue, l'époque ait changé.
Jean-Yves Nau
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Image de une: Eduardo Munoz/REUTERS