Les associations de lutte contre le cancer avaient crié au scandale: la France allait autoriser à partir du printemps prochain la vente de tabac sur Internet en appliquant une directive européenne. Une fausse alerte puisque le gouvernement démentait fermement, aussitôt suivi par les autorités de Bruxelles. Officiellement, pas question donc de légaliser la vente de cigarettes sur le Web. L'ennui, c'est qu'acheter ses clopes sur la toile est déjà possible. Tapez «cigarettes en ligne» ou «cigarettes sur internet» sur Google et vous êtes confronté d'un clic à une multitude de sites marchands spécialisés. Selon le très sérieux Office français de prévention du tabagisme (OFT), il y en aurait environ 400 accessibles depuis la France. Souvent, ces business sont basés dans des pays où la contrebande de cigarettes est devenue un sport national, comme la Moldavie ou l'Ukraine, mais pas seulement. D'après la Direction générale des douanes, «une trentaine de pays dans le monde accueillent ces sites, particulièrement mobiles. Régulièrement, ils se volatilisent pour réapparaître ailleurs sous une autre forme».
En théorie, un internaute français a tout à fait le droit d'aller se fournir sur la toile. En théorie seulement. Car s'il veut rester dans la légalité, de nombreuses obligations techniques, sanitaires et fiscales, sont à remplir. Par exemple, les cigarettes qu'on importe doivent recevoir un certificat de conformité, relatif aux teneurs en goudron ou en nicotine, délivré par le LNE (Laboratoire national d'essai). Les paquets doivent en outre mentionner les avertissements sanitaires de rigueur (Fumer provoque le cancer...). Enfin, le consommateur doit déclarer la marchandise à la douane et s'acquitter des taxes et de la TVA. Autant dire que ces obligations ne sont jamais respectées. S'y plier, ce serait perdre beaucoup de temps en formalités et surtout faire une croix sur l'avantage financier que l'on est censé obtenir en ligne. Non soumis aux taxes françaises qui représentent 80% du paquet, les vendeurs sur Internet peuvent se permettre de pratiquer des prix de 30, 40, voire 50% inférieurs à ceux affichés par les buralistes.
Contourner la loi pour profiter de ces tarifs alléchants, c'est participer à une opération de contrebande. Si votre colis est intercepté par les douanes, vous risquez une sanction lourde, soit «la saisie de la commande, une amende égale à deux à trois fois la valeur de la marchandise et jusqu'à deux à trois ans d'emprisonnement», d'après la Direction générale des douanes, dotée depuis février dernier d'un service spécialement chargé de lutter contre les trafics sur Internet. Outre le risque de se faire pincer à la frontière, on peut aussi ne jamais voir la couleur de ses cartouches. Sur les forums du Web circulent de nombreuses histoires d'internautes grugés qui ont payé leur marchandise par carte bancaire mais ne l'ont jamais reçu. Les propriétaires des sites savent très bien que ces clients floués ne porteront jamais plainte.
Autre risque majeur couru par l'internaute: consommer des cigarettes de très mauvaise qualité. «Fumer nuit à la santé» mais là ce serait bien pire. Très souvent, les paquets vendus à distance proviennent de la contrefaçon chinoise (voir sur slate.fr « En chine, la contrebande chinoise fait un tabac »). Or on sait que ce tabac explose les normes européennes en taux de goudron et contient parfois des ingrédients dangereux, comme du ciment ou des résidus de pneus.
Pour le moment, moins de 1% des fumeurs français se risqueraient sur Internet, selon l'OFT. Les buralistes peuvent-ils pour autant dormir tranquille? Pas sur. En 2008, «21,52 tonnes de cigarettes circulant par la poste ou en fret express ont été saisies contre seulement 8 tonnes en 2007», selon l'administration des douanes. Même s'il représente à peine 10% de la contrebande de tabac en France, le phénomène est donc en pleine expansion. Inquiète, la Confédération des buralistes a même demandé l'interdiction officielle de la vente sur Internet avec l'obligation pour les fournisseurs d'accès de déconnecter les sites contrevenants.
Bruno Askenazi
Image de Une: Des douaniers détruisent des cigarettes de contrebande, REUTERS/Philippe Wojazer