À 32 ans, Andrés Iniesta se montre une fois de plus impressionnant depuis le début de l'Euro. Le milieu de terrain barcelonais a été plébiscité par 62% des lecteurs d'El Pais comme meilleur joueur du match lors de la facile victoire du onze ibérique face à la Turquie (3-0), vendredi soir à Nice, qu'il a notamment marquée d'un sublime coup du sombrero et d'une avant-dernière passe lumineuse (même si entachée d'un hors-jeu) sur le troisième but. Il a été élu joueur du match par l'UEFA, pour la deuxième fois dans cet Euro après la victoire initiale contre la République tchèque (1-0) et la neuvième fois de sa carrière dans une grande compétition.
Selon le journal AS, il fait «un Euro magnifique pour l'instant». Les supporters espagnols ne manquent pas de le lui dire, bien sûr, et ils ont accueilli sa prestation contre les Turcs aux cris de «Iniesta, Ballon d'or!». «Je les ai entendus, bien sûr que je les ai entendus», a déclaré le joueur à la presse après le match. «Cela donne des forces.»
On parle du Ballon d'or, car il s'agit bien sûr du dernier moulin à vent qu'il reste à poursuivre dans la carrière que celui que Marca surnomme «Don Andrés de la Mancha», en référence au Don Quichotte de Cervantes. Au point que le quotidien sportif espagnol préfère désormais faire semblant de mépriser la récompense: «Pourquoi Iniesta veut-il un Ballon d'or? Andrés, ce bibelot ne sert qu'à prendre la poussière sur une étagère, tu vaux mieux.» Un trophée qu'il avait frôlé en 2010, quand il n'avait terminé que cinq points (22% contre 17%) derrière son coéquipier de club Lionel Messi, qui n'en doutons pas échangerait bien aujourd'hui un de ses cinq Ballons d'or contre une victoire en Coupe du monde...
Mais avant de parler de Ballon d'or, il faut déjà parler du onze idéal de l'Euro, sujet qui a fait polémique dans la presse espagnole ces derniers jours. Malgré sa prestation contre la République tchèque, Iniesta n'avait en effet pas été retenu dans celui de la première journée, où lui avait été préféré, à la récupération, un duo formé du Français Kanté et de l'Anglais Dier. La presse espagnole n'a pas apprécié et prévient déjà l'UEFA après la victoire contre la Turquie: «Pour le onze de la journée, Iniesta et dix autres joueurs.»
Ce onze ne ressort pas du vote d'un jury, mais d'un calcul effectué par un algorithme, sur chaque poste, à partir d'une série d'indicateurs (tirs, passes, tacles, centres...). Ce qui vaut à El Pais de se livrer à ce qui est sans doute la plus belle défense du cas Iniesta en en faisant le joueur qui défie les mathématiques et la froide raison statistique, avec au passage une comparaison avec l'ailier des Golden State Warriors Draymond Green, un des joueurs essentiels de finales NBA dont il n'est que le cinquième marqueur:
«Les mathématiques sont une science exacte, sauf quand elles prétendent déchiffrer Iniesta. [...] L'algorithme ne comprend pas que donner l'avant-dernière passe, celle qui disloque l'adversaire et déchaîne le chaos sans laisser de trace, a plus de mérite que tirer mille fois de loin. Il ne comprend pas que Iniesta, qui atteint en moyenne cinq buts et douze passes décisives par saison, est aussi déstabilisant pour l'équipe adverse que des monstres qui marquent leurs cinquante buts annuels. [...] Des joueurs comme celui-là forment l'ultime frontière de l'utilisation avancée des statistiques, qui s'est convertie en pierre de Rosette de tellement de sports, notamment le football.»