Le Pentagone s'est vanté la semaine dernière d'avoir dépassé les objectifs annuels de recrutement des forces armées américaines. Certains officiels ont attribué ce succès au taux de chômage élevé sur le marché du travail civil, d'autres à une poussée de civisme.
Quelles qu'en soient les raisons, de nombreux analystes font état d'un nombre croissant de jeunes hommes et de jeunes femmes s'engageant dans l'armée de terre.
En fait, moins de gens ont rejoint l'armée de terre cette année que l'année dernière. Elle a dépassé ses objectifs de recrutement non pas parce que les recrues ont augmenté mais parce que les objectifs ont baissé.
Difficultés à recruter
L'armée de terre est le service militaire qui a rencontré les plus grandes difficultés à trouver de nouvelles recrues ces dernières années, en partie parce qu'elle a été celle qui a payé le plus lourd tribut — et a compté de loin le plus grand nombre de victimes, dans les guerres d'Irak et d'Afghanistan.
Selon le compte-rendu du Pentagone, le but de l'armée de terre pour l'année fiscale 2009 était d'enrôler 65.000 nouvelles recrues. Elle en a embrigadé 70.045, soit 8% de plus que l'objectif.
Mais la situation est moins brillante qu'il n'y paraît. Même si le rapport du Pentagone ne le mentionne pas, ces deux dernières années, l'objectif de recrutement de l'Armée de terre était de 80.000, beaucoup plus que cette année. Si l'armée de terre répondait à ces objectifs, c'était seulement en revoyant drastiquement ses prétentions à la baisse - en acceptant plus de candidats qui avaient abandonné l'école secondaire ou avaient été recalés au test d'aptitude.
Cette année, l'embauche est revenue à ses critères d'antan — une très bonne chose pour le moral des troupes et l'efficacité militaire — mais 10.000 nouveaux soldats manquent à l'appel.
Objectif de recrutement
En d'autres termes, si de plus en plus de jeunes gens et de jeunes femmes rejoignent l'armée de terre, ce n'est pas à cause d'un taux de chômage ou d'un nouvel esprit civique. Car il n'y a pas plus de jeunes hommes et de jeunes femmes qui rejoignent l'armée de terre, tout simplement.
Il y a deux scénarios selon lesquels il serait logique pour l'armée de terre d'abaisser son objectif de recrutement. (L'Air Force, la Navy et les Marines ont conservé des objectifs à peu près similaires et n'ont même pas eu, ces dernières années, trop de problèmes pour maintenir leurs rangs pleins). Tout d'abord, le Congrès ou le secrétaire à la Défense aurait pu donner son accord pour une moindre «force finale» - soit un effectif moins important. Si moins de troupes étaient nécessaires, alors il aurait été normal de recruter moins de soldats. Mais dans les faits, le secrétaire à la Défense, Robert Gates, a ordonné une augmentation de la taille de l'armée, et le Congrès a suivi son avis.
Ensuite, l'Armée de terre aurait pu améliorer la fidélisation de ses troupes. Si plus de soldats actifs s'enrôlaient une seconde fois à la fin de leur mission, alors l'Armée de terre aurait pu recruter moins de nouveaux conscrits. Quand j'ai demandé à quelques officiers militaires pourquoi les objectifs de recrutement avaient été revus à la baisse, ils ont fait valoir une meilleure fidélisation des troupes. Pour l'exercice 2009, m'ont-ils dit, l'objectif de maintien en poste était de 55.000 - et le nombre total de soldats réengagés s'est élevé à 68.000.
Fidélisation
A première vue, cela semble tout expliquer. L'armée de terre a réussi à conserver 13.000 soldats de plus qu'elle ne l'avait prévu. Il était donc logique qu'elle diminue de 15 000 l'objectif de recrutement.
Au deuxième coup d'œil, cette logique s'effondre. Si l'on regarde les anciens rapports sur l'exercice de l'Armée de 2008, l'objectif de maintien en poste était de 65 000, pour 72 000 soldats effectivement ré-enrôlés. L'année précédente, l'objectif était de 62 000, et 69 000 ont rempilé.
En d'autres termes, l'armée de terre a cette année, non seulement abaissé son objectif de recrutement, mais aussi son objectif de maintien en poste, de 65 000 en 2008 à 55 000 en 2009. Et elle a effectivement conservé moins de soldats que ces deux dernières années (68 000 en 2009, contre 72.000 en 2008 et 69.000 en 2007).
Voici donc la situation. Le Secrétaire de la Défense a ordonné un accroissement de l'effectif de l'armée de terre, et le Congrès l'a autorisé. Mais l'armée de terre a réduit son objectif de recrutement - et a réduit son objectif de maintien en poste. La taille de l'armée est en fait en train de diminuer. Elle semble grossir - le rapport du Pentagone donne l'impression qu'elle grossit, mais cette croissance n'existe qu'en comparaison avec les objectifs donnés officiellement. Ce que le rapport ne dit pas, c'est que ces objectifs ont été diminués, dans certains cas de façon drastique. Est-ce que l'armée de terre voudrait nous tromper délibérément? Est-ce que quelqu'un a diminué les objectifs pour qu'elle donne l'impression de mieux se porter, alors que dans les faits elle va un peu plus mal?
Un porte-parole de l'armée de terre a affirmé ce matin dans un e-mail que l'objectif de maintien en poste avait été abaissé en raison de contraintes budgétaires.
Dans les années 1980, alors que j'étais spécialiste des questions de Défense pour le Boston Globe, le Secrétaire à la Défense de Ronald Reagan, Caspar Weinberger, avait déjà fait cela. Une année, les militaires n'avaient pas atteint les objectifs de recrutement, et Weinberger (ou peut-être était-ce son assistant) avait donc simplement baissé l'objectif et crié au succès. (Un ancien officiel, responsable du recrutement de l'armée de terre, toujours en poste au Département de la Défense, m'a confirmé se souvenir de l'affaire dans ces termes.)
Je ne dis pas que quelqu'un dans l'armée refait aujourd'hui ce tour de passe-passe. Mais quelque chose de bizarre est en train de se passer, et le pouvoir siégeant au Pentagone et au Congrès va peut-être avoir envie de poser quelques questions.
Fred Kaplan
Image de Une: Une cérémonie de réengagement de l'armée américaine à Bagdad, REUTERS/Erik de Castro