Monde

Rome tend la main aux Anglicans

Temps de lecture : 3 min

Le Vatican ouvre la porte aux anglicans traditionalistes qui refusent les ordinations de femmes et d’homosexuels et les mariages gays.

Ce n'est pas du débauchage, même si cela y ressemble. Le pape a décidé de tendre une main généreuse aux fidèles anglicans dissidents qui souhaiteraient rejoindre demain l'Eglise catholique. Il signera, dans quelques jours, une «constitution apostolique» fixant les règles d'une réintégration. C'est la première fois qu'au delà de cas particuliers de conversion, une communauté chrétienne en son entier, née de la Réforme du XVIe siècle, est invitée à revenir dans le giron de l'Eglise catholique romaine.

Rome a fait cette surprenante annonce mardi 20 octobre. Selon le cardinal américain William Levada, préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi, Benoît XVI entend ainsi répondre aux «nombreuses demandes» émanant de ces rangs anglicans — clergé et fidèles — qui sont en plein désarroi depuis que se pratiquent, au sein de leur Eglise héritière d'Henry VIII (et comptant 70 millions de fidèles dans le monde), des ordinations sacerdotales et épiscopales de femmes et d'homosexuels, ainsi que des célébrations de mariages «gays». Ces transfuges de l'anglicanisme souhaitent rejoindre l'Eglise catholique, tout en préservant une part de leur patrimoine anglican. Ils seront bienvenus à Rome où, dit-on, «l'unité de l'Eglise ne requiert pas une uniformité qui ignorerait la diversité culturelle».

Deux clergés parallèles, un marié, l'autre pas

En pratique, de nouvelles «circonscriptions ecclésiastiques» seront créées demain pour accueillir et regrouper ces fidèles non pas sur une base territoriale (comme les diocèses catholiques ordinaires), mais à partir de leur identité anglicane d'origine. Ces diocèses sans territoire (comme le sont déjà les diocèses catholiques aux armées présents dans chaque pays) seront établis en accord avec les conférences épiscopales locales. Ils permettront d'«entrer en pleine communion avec l'Eglise catholique, tout en préservant des éléments propres au patrimoine spirituel et liturgique anglican». Les évêques de ces nouvelles juridictions seront nommés parmi les membres du clergé ex-anglican, à condition qu'ils soient non mariés.

Car l'une des difficultés de cette réintégration tient au statut de prêtre marié qui existe dans l'anglicanisme, à la différence du catholicisme d'Occident (il existe des prêtres catholiques mariés dans les Eglises d'Orient). Les anciens membres du clergé anglican, même mariés, pourront devenir, s'ils le désirent, prêtres catholiques, mais pas évêques. Ils resteront bien sûr mariés. Mais Rome tient à préciser que cette éventualité n'ouvre pas à des prêtres déjà catholiques la possibilité de se marier ou, s'ils se sont déjà mariés, de retrouver des fonctions dans leur Eglise. Dans le passé, des ecclésiastiques anglicans ou luthériens convertis ont bénéficié de cette même dispense d'obligation de célibat. Demain, il existera donc deux clergés parallèles dans l'Eglise d'Occident, un clergé marié et un clergé non marié. Cette anomalie risque de susciter des contestations.

Pas un «acte d'agression»

Les groupes anglicans visés par cette main tendue du Vatican relèvent principalement de la très conservatrice Traditional Anglican Communion. Ses membres reprochent à l'Eglise anglicane son ouverture. L'ordination sacerdotale de femmes et d'homosexuels et les bénédictions de mariages homosexuels y sont fermement condamnées. La Traditional Anglican Communion est la frange traditionaliste de l'anglicanisme. Présente dans une quarantaine de pays, revendiquant 400.000 fidèles dirigés par une trentaine d'évêques, elle est déjà en partie séparée de l'Eglise anglicane. Son primat est John Hepworth, un archevêque australien qui, dès octobre 2007, avait demandé à Benoît XVI le bénéfice d'un rattachement à l'Eglise catholique.

Ce ralliement sera-t-il suivi d'autres? L'Eglise anglicane vit sur un volcan. La crise y est quasi permanente depuis vingt ans. Sur la question des femmes et des homosexuels, la dernière conférence de Lambeth de 2008 (qui réunit tous les dix ans tous les primats anglicans du monde entier) avait mis à jour de graves dissensions et des menaces de schisme entre un courant conservateur «évangélique», présent notamment en Afrique et en Asie, et un courant «progressiste» aux Etats-Unis et en Occident, celui-ci étant lui-même très divisé. Mais il serait étonnant que, demain, le courant évangélique, très éloigné de la tradition catholique, se saisisse des propositions d'intégration formulées par le Vatican. Du côté anglican, il ne faut donc pas s'attendre à des défections massives.

C'est sans doute la raison pour laquelle Mgr Rowan Williams, archevêque de Canterbury et primat de l'Eglise anglicane, ne prend pas cette nouvelle situation au tragique. Il n'a pas réagi défavorablement à la dernière décision de Rome qui n'est pas, a t-il dit, «un acte d'agression». Avec l'archevêque catholique de Westminster, il a tenu, le 20 octobre à Londres, une conférence de presse commune. Les deux hommes ont déclaré: «Le travail œcuménique que nous menons de longue date forme une base solide entre nous et nous voulons continuer».

Ce modèle œcuménique d'une «unité sans absorption», aujourd'hui proposé par Benoît XVI aux anglicans, est aussi un clin d'œil adressé aux catholiques intégristes qui, pour la première fois, entreront le 26 octobre prochain en dialogue doctrinal à Rome avec des négociateurs du Vatican. Le message est clair: il est possible de revenir à la «pleine communion» avec le pape, sans renier son patrimoine et sa tradition d'origine, mais en ralliant intégralement la doctrine catholique telle qu'elle a été officiellement définie lors du dernier concile Vatican II au début des années 60. Avis aux amateurs.

Henri Tincq

Image de une: membre de la Traditional Anglican communion, lors d'une conférence à Jérusalem en septembre 2008. REUTERS/Ronen Zvulun

Newsletters

Cette opposition armée russe à Vladimir Poutine qui rêve de «libérer la Russie»

Cette opposition armée russe à Vladimir Poutine qui rêve de «libérer la Russie»

Malgré des oppositions idéologiques, les deux organisations paramilitaires ayant attaqué Belgorod le 22 mai sont unies dans une même volonté de faire tomber le maître du Kremlin et de mettre fin à la guerre en Ukraine.

L'attaque de drones sur Moscou, fracassante entrée de la guerre dans le quotidien des Russes

L'attaque de drones sur Moscou, fracassante entrée de la guerre dans le quotidien des Russes

Les drones lancés sur la capitale russe ce mardi 30 mai ont fait peu de dégâts matériels. En revanche, c'est une victoire en matière de guerre psychologique.

Voyage de l'émissaire Li Hui en Europe: la Chine se rêve médiatrice de la paix en Ukraine

Voyage de l'émissaire Li Hui en Europe: la Chine se rêve médiatrice de la paix en Ukraine

En envoyant le haut diplomate rencontrer des officiels ukrainiens, russes et européens pendant dix jours, Pékin se place comme un partenaire œuvrant pour la paix malgré sa proximité avec Moscou.

Podcasts Grands Formats Séries
Slate Studio