Un des trois Afghans qui a été expulsé à bord d'un charter franco-britannique en début de semaine a fait le récit de son parcours, de son départ de son pays natal à sa reconduite à la frontière, à des journalistes de l'Express. Il y affirme avoir reçu à son arrivée à Kaboul 2.000 euros à l'ambassade de France avant d'avoir été relâché dans la nature. Cet article revient sur la difficile estimation du coût des expulsions d'immigrés illégaux en France.
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La France a expulsé dans la nuit de mardi à mercredi trois ressortissants afghans en situation irrégulière vers Kaboul. Les trois hommes ont embarqué dans «un vol conjoint groupé avec les Britanniques». Les militants des droits de l'Homme sont rapidement montés au créneau pour protester, au nom de la dignité humaine. Ceux qui dénoncent un coup de communication mettent en avant le coût disproportionné des reconduites à la frontière.
Officiellement, le coût total des reconduites forcées est estimé à 415,2 millions d'euros pour l'année 2009, soit 20.970 euros par personne en se basant sur l'estimation de 19.800 reconduites forcées cette année. Ces données sont celles d'un rapport du Sénat rédigé par la commission des Finances à l'occasion de l'examen du budget 2009 du ministère de l'Immigration. Ils ne prennent pas en compte les services des préfectures compétents dans ce domaine, l'aide juridictionnelle attribuée aux personnes retenues, ainsi que le coût du contentieux devant les tribunaux liés à la rétention administrative et à la reconduite à la frontière. On peut imaginer qu'avec ces coûts supplémentaires, la somme totale dépasse les 500 millions d'euros. Pour comparaison, c'est le montant du plan d'aide à la jeunesse présenté par Sarkozy en septembre.
Le document du Sénat détaille les différentes composantes de l'estimation: 28,8 millions d'euros pour le fonctionnement des centres de rétention administrative (CRA), 42 millions d'euros pour les frais d'éloignement (billets d'avion, de train ou de bateau), 10 millions d'euros pour la prise en charge sanitaire et sociale dans les centres de rétention administratives (CRA) et 5 millions en crédits de paiement au titre de l'exercice des droits des personnes placées en CRA. Vient s'ajouter à ces sommes le coût de la garde et de l'escorte en CRA par la police et la gendarmerie, qui s'élève à 334,4 millions d'euros.
Un autre décompte
Migreurop, un réseau constitué d'associations européennes et africaines et de chercheurs spécialistes des politiques migratoires propose une autre lecture* des chiffres officiels. Les frais engendrés par l'expulsion de clandestins y sont détaillés, de la garde à vue au retour au pays d'origine, en passant par les séjours en centre de rétention.
Le calcul de ces montant peut varier considérablement selon que l'on considère les seuls «frais de billetterie» (le coût des billets d'avion pour le migrant et son escorte policière) ou l'ensemble des corps de métier qui aboutissent à l'expulsion: police aux frontières, juges des libertés et de la détention ou encore les fonctionnaires qui accueillent les expulsés dans leur pays.
On passe ainsi, par personne, de 1.800 euros pour le seul calcul des «frais de billetterie» à 26.000 pour l'estimation du coût total. L'écart avec les estimations du rapport du Sénat (20.970 euros) s'explique par la prise en charge des coûts de la justice. «On peut comprendre alors que les retours volontaires, qui sont des procédures beaucoup moins coûteuses, soient de plus en plus encouragés», conclut Olivier Clochard, chercheur au CNRS et membre de Migreurop.
Retour volontaire
Le rapport du Sénat pour le budget 2009 plaidait en effet pour le développement de cette procédure, dont le coût budgétaire est «sans commune mesure avec celui de la rétention administrative.» Reste que le coût total et réel des moyens mis en place pour les départs volontaires ne fait l'objet d'aucune évaluation publique.
On sait simplement qu'un candidat «volontaire» se voit remettre une somme de 2.000 euros (3.500 euros pour un couple), dont 30% est remis au départ, 50% à l'arrivée et théoriquement 20% au bout d'un an, ce qui permet de vérifier que le migrant vit toujours dans son pays d'origine. Un autre système d'aide, «l'aide au retour humanitaire», qui concerne les ressortissants communautaires (principalement roumains et bulgares) et représente 80% des départs volontaires, est de 300 euros par adulte et 150 euros par enfant.
En 2008, le total des aides au retour humanitaire a atteint «seulement» 3 millions d'euros. Il faut ajouter à ce chiffre les 8 millions d'euros dépensés par l'OFII pour les frais de transport des départs volontaires (affrètement d'avions et mise en service de cars). Ces chiffres ne prennent pas en compte la mobilisation de la Ddass, de la police et de la police des frontières, qui interviennent également dans ces retours. Mais au total, les retours volontaires coûtent beaucoup moins cher que les 415,2 millions d'euros des retours forcés.
Pourtant, la proportion de départs volontaires a baissé. Sur les sept premiers mois de 2009, on compte 12.526 retours forcés contre 4.824 retours volontaires. La proportion est ainsi passée de 33% en 2008 à 27% cette année.
Le sénateur Pierre Bernard Reymond, qui a rapporté le projet de loi pour le budget 2009 sur la question, rappelle que «l'immigration est un ministère de mission, et que ses actions dépendent en grande partie d'autres ministères, notamment celui des Affaires sociales, de l'Intérieur ou encore de l'Education. Les crédits du ministère représentent seulement 15% de la totalité des sommes dépensées pour les étrangers en France.» Connaître le coût réel des reconduites est donc difficile.
Mais un rapport de l'inspection générale de l'administration sur le sujet, qui devrait permettre de travailler sur des chiffres autrement plus précis que ceux disponibles actuellement, paraîtra cet automne. En attendant, le sénateur n'est pas en mesure de donner des chiffres plus récents, mais précise que «les prix de billetterie pour les avions ont été renégociés à la baisse» depuis son rapport.
Solène Cordier (Youphil) et Grégoire Fleurot
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Image de Une: Manifestation contre la déportation d'immigrés illégaux à Lille, REUTERS/Pascal Rossignol.