L’attaque du nightclub le Pulse à Orlando, qui a causé la mort de plus de 50 personnes, n’est pas seulement l’attentat terroriste le plus meurtrier aux États-Unis depuis le 11-Septembre, il est aussi plus meurtrier que tous les autres attentats djihadistes sur le sol américain réunis depuis cette date. Toutefois, même si le tireur, Omar Mateen, a prêté allégeance à l’État islamique lors d'un appel de dernière minute au numéro d’urgence de la police (911), cette attaque est loin de s'apparenter à une frappe classique de l’État islamique et il convient de ne pas amalgamer deux types d’événements tout à fait différents.
Les premiers rapports indiquent que Mateen est un loup solitaire, inspiré par l’idéologie d’un groupe terroriste mais sans être sous son contrôle opérationnel. Il est vital de faire la différence entre «inspiré par l’État islamique» et «dirigé par l’État islamique». Les attentats inspirés par l’EI sont plus susceptibles d’être perpétrés en amateur et, en effet, le nombre de victimes d'attaques djihadistes aux États-Unis depuis le 11 Septembre était jusqu'ici heureusement assez bas. L’atroce attaque perpétrée dans la boîte de nuit montre ce dont est capable un loup solitaire muni des bonnes armes, mais lorsque l’EI dirige un attentat, comme il l'a fait à Paris en 2015, les conséquences sont susceptibles d’être encore plus sanglantes.
À Orlando, comme lors de la fusillade de San Bernardino en décembre dernier, l’attentat semble mêler des motifs personnels et une marque de fabrique de l’EI. Les loups solitaires opérant seuls, leurs intentions personnelles se mélangent souvent avec celles du groupe terroriste qu’ils prétendent servir. À San Bernardino, les tueurs ont visé une fête de fin d’année du département de la Santé du comté où travaillait l’un d’entre eux, donc pas franchement un centre névralgique des croisés qui viseraient à dominer le Moyen-Orient.
L'islam prétexte
Les premiers rapports laissent entendre que Mateen était homophobe: son père a confié qu’il avait piqué une colère en voyant deux hommes en train de s’embrasser. Si l’EI hait les homosexuels et que ses supporters sur Twitter se réjouissent déjà de leur mort, en réalité le groupe déteste à peu près tout le monde—les chrétiens, les juifs, les Occidentaux en général, les chiites et les autres minorités musulmanes, ainsi que les sunnites qui ne sont pas d’accord avec lui. Les homosexuels ne sont pas spécialement haut placés sur la liste, et d’ailleurs la propagande de l’EI en Occident ne les vise pas particulièrement.
Orlando pourrait donc être une nouvelle variante de ce que le spécialiste français de l’islam Olivier Roy appelle «l’islamisation de la radicalité». L’islam est utilisé par un individu déjà au bord de la violence pour justifier ses actes et lui donner un statut aux yeux d’au moins une sorte de public, comme ce qui est d’ailleurs déjà en train d’arriver à Mateen. Les détails sur sa vie sont dévoilés au compte-goutte, mais son ex-femme a déjà déclaré qu’il était violent et pas particulièrement dévot.
Compte tenu de la permissivité des lois sur le port d’armes, même quelqu’un comme Mateen, soupçonné d’avoir frappé son épouse et qui a fait plusieurs fois l'objet d'enquêtes par le FBI, a pu s’acheter en toute légalité une arme automatique
Lors des attentats de Paris dirigés par l’EI, nous avons vu des attaquants multiples travaillant en équipe: les terroristes ont frappé des cibles gardées comme le Stade de France où le président français regardait un match de football, et des cibles «simples» comme des cafés et des restaurants. Le nombre final de victimes, 130 morts, illustre leur efficacité. Certains des conspirateurs ont même réussi à rester dans l’ombre et ont été liés aux attentats de Bruxelles plusieurs mois plus tard. À San Bernardino comme à Orlando, en revanche, le tireur présumé est mort lors de la réaction à l’attaque, ce qui diminue l’effet psychologique qui se produit lorsqu’un tireur actif est en cavale en train de comploter.
Tentative tordue
Ces attaques, qui ne sont qu’inspirées par l’EI, sèment la terreur mais elles sont moins impressionnantes, dans leurs ambitions, non seulement que les attentats dans le style de ceux de Paris mais aussi que ceux perpétrés par des sympathisants d’al-Qaida aux États-Unis. La fusillade de 2009 à Fort Hood a tué des soldats dans une base militaire, symbole de la puissance américaine. En 2010, Faisal Shahzad, formé au Pakistan et qui revendiquait être inspiré par un religieux lié à al-Qaida, a tenté de commettre un attentat à la bombe à Times Square et de frapper ainsi une cible internationalement reconnue au cœur de New York, déjà victime de la pire attaque terroriste de l’histoire en 2001.
Ce genre de cibles représente la puissance et la culture américaines, et il est notoire que les frapper est un défi lancé directement à la face de la puissance des États-Unis. Elles sont aussi plus difficiles à atteindre car leur importance symbolique ou militaire les rend mieux défendues. Les attaques les plus récentes inspirées par l’EI ne montrent aucune logique de ce genre, liée aux objectifs de l’organisation, mais ressemblent davantage à une tentative tordue d’un tireur de faire passer ses agissements pour des actes héroïques.
Pourtant, la prévalence des terroristes «dirigés» et «inspirés» par l’EI est directement liée. Quand l’EI gagne du terrain à l’étranger –comme il semblait que c’était le cas à son apogée en 2014, lorsque le territoire sous son contrôle s’élargissait et que ses ennemis en déroute perdaient courage– alors la stature de l’organisation prend de l’ampleur et elle est davantage apte à attirer et à inspirer recrues et supporters. De façon plus concrète, si elle est capable de gérer de grands camps d’entraînement sans trop d’interférences, comme c’était le cas avant l’intervention dirigée par les États-Unis en Syrie, alors elle peut produire de grands nombres de tireurs habiles et de terroristes entraînés. L’EI ayant perdu des territoires à la fois en Irak et en Syrie, le nombre de combattants étrangers affluant pour se battre sous son drapeau aurait dégringolé.
Loin des écrans radars
Mais il y a un mauvais côté à cette bonne nouvelle. Pendant des années, le groupe a pressé des volontaires étrangers de venir en Syrie pour défendre son État islamique autoproclamé. Sa propagande soulignait cependant que si ses partisans ne pouvaient pas venir défendre le groupe en Syrie, ils devaient agir dans leur propre pays et tuer les non-croyants quand ils le pouvaient. L’EI exécute aussi régulièrement des étrangers qu'il soupçonne pouvoir être des espions et en Occident pousse ceux dont il doute de la loyauté à frapper pour la justifier.
La meilleure chose que puissent faire les dirigeants américains est de promouvoir un sentiment de résilience et d’éviter de diaboliser les Américains musulmans
Arrêter les attaques de loups solitaires est particulièrement difficile. Quand un individu part se battre en Syrie ou entretient des contacts avec des responsables de l’EI, les renseignements américains peuvent intercepter ses communications et ses interactions. Et toute personne qui se rend à l’étranger pour se battre pour un groupe djihadiste commet un crime et peut être arrêté. Les loups solitaires, par définition, n’ont pas ce genre de liens. Les attaquants de San Bernardino n’étaient pas sur les écrans radars de la police avant de frapper. Et compte tenu de la permissivité des lois sur le port d’armes aux États-Unis, même quelqu’un comme Mateen, soupçonné d’avoir frappé son épouse et qui a fait plusieurs fois l'objet d'enquêtes par le FBI, a pu s’acheter en toute légalité une arme automatique parce qu’il n’avait pas encore soutenu ouvertement un groupe terroriste. Le FBI est déjà si offensif dans sa lutte contre les terroristes potentiels que des groupes de défense des libertés civiles critiquent ses stratégies pousse-au-crime et ses coups montés trop agressifs.
Parce que même un EI en difficulté conserve son attrait et qu’au moins certains de ses partisans vont rester sous les écrans radars, il y aura sans doute d’autres attaques par des loups solitaires. En plus de poursuivre leurs démarches de mise en application offensive de la loi, la meilleure chose que puissent faire les dirigeants américains est de promouvoir un sentiment de résilience et d’éviter de diaboliser les Américains musulmans, et de reconnaître que tout en pleurant la mort tragique de tant de nos compatriotes nous devons nous assurer que quelqu’un comme Mateen est dépeint comme une personne haineuse et pathétique, et pas comme le représentant d’une plus vaste menace parmi les musulmans américains ou comme un élément d’un quelconque spectaculaire complot de l’État islamique.