Culture

Comment le striptease est devenu féministe

Temps de lecture : 6 min

Porté par la mode du burlesque, il renouvelle et détourne les codes érotiques

Dita Von Teese lors de son spectacle au Crazy Horse, à Paris en 2006. REUTERS/Benoit Tessier
Dita Von Teese lors de son spectacle au Crazy Horse, à Paris en 2006. REUTERS/Benoit Tessier

Succès populaire des revues de Dita Von Teese, annonce par les sites people d'une prochaine comédie musicale avec Kristen Bell et Christina Aguilera intitulée Burlesque, festivals organisés un peu partout dans le monde (et pour la première fois à Paris du 22 au 25 octobre)... le burlesque fait son grand retour dans la mode et le spectacle. Aujourd'hui on parle volontiers de new- ou de neo-burlesque, et des débats enflammés naissent sur les blogs et les forums dans d'improbables tentatives de spécifier ce qui est burlesque et ce qui ne l'est pas...

Qu'on évoque les premières stripteaseuses de Pigalle à la fin du XIXème, la tradition du cabaret ou les pin-up de l'après-guerre, l'esprit burlesque est très étroitement lié aux spectacles mettant en scène des femmes à la fois glamour, provocantes et indépendantes.

Se développant souvent dans des lieux interlopes et remplissant la double fonction d'affrioler et d'amuser le public, le burlesque se rapproche des spectacles de variété et de music-hall. On remarque dans cette histoire de l'effeuillage de constants va-et-vient entre l'Europe et les Etats-Unis. Les Américains utilisent volontiers l'adjectif «burlesque» pour désigner tout spectacle de comédie chargé d'érotisme et se réapproprient les clichés associés au glamour français: «Champagne», «Coco», «Mademoiselle», se retrouvent croisés à toutes les sauces dans les noms de scène hauts en couleur des effeuilleuses burlesques.

Renouveau

Alors qu'une plus grande liberté sexuelle contribuera dans les années 60 à ringardiser les numéros légers du burlesque au profit de spectacles plus directs, le renouveau du mouvement viendra des Etats-Unis. Dans les années 90, Michelle Carr créé le troupe du Velvet Hammer, dans une salle de concert de sa propriété à Los Angeles où se retrouvent les groupes underground et des figures de la contre-culture. Dans un souci constant du détail esthétique retro, elle ranime l'esprit de cabaret et choisit des numéros qui mêlent effeuillages sexy et arts du cirque, incarnés par des femmes de toutes tailles et de toutes corpulences... Des stars comme Dirty Martini ou Kitten de Ville sont passées par cette troupe mythique qui a influencé tout le mouvement burlesque contemporain.

Depuis 2001, des événements comme le festival Tease-O-Rama ou le concours annuel Miss Exotic World en Californie propagent le style burlesque en faisant découvrir chaque année de nouvelles artistes vénérées par les amateurs du genre. Dans les numéros actuels le burlesque a aussi absorbé les influences du rock n' roll et des icônes fétichistes comme Bettie Page.

Dita Von Teese a magistralement intégré ces sources d'inspiration diverses pour raviver cet amour de la pin-up. Avant, son mariage (désormais rompu) avec le chanteur Marilyn Manson l'avait révélée à un public plus large tout en l'associant au mouvement gothique.

En France, le phénomène n'a jamais vraiment disparu mais ce n'est que tout récemment qu'il s'est trouvé dans le label « neo-burlesque » un début de conscience collective. Les soirées estampillées «burlesque» sont l'occasion pour le public de rencontrer ses idoles et de retrouver cet esprit de glamour un peu suranné qu'il apprécie tant (revues de la Gentry de Paris, soirées Glitter Fever).

A côté de cette tendance plus esthétique, des artistes utilisent ce style faussement innocent pour explorer les questions d'identité sexuelle et la place du corps dans la société avec des performances plus trash (Juliette Dragon, Wendy Delorme, Miss Marion).

Face à l'engouement que suscite cette forme de spectacle retro, les spécialistes ont mis en place de véritables formations... La Gentry de Paris, temple de la revue burlesque, anime ainsi une Ecole supérieure de striptease burlesque. Des cours sont aussi assurés par le Cabaret des Filles de Joie de Juliette Dragon ou par le duo Miss Glitter Painkiller et Cerise Diva Champomy.

Effeuillage Vs Pole dance

Le profil des pratiquantes, qu'elles soient « pro » ou simples amatrices se produisant occasionnellement, n'a pas grand-chose à voir avec celui des danseuses du Pink Paradise. Le striptease classique permet aux professionnelles de gagner de l'argent et n'a jamais été une vocation. L'approche burlesque est, à l'inverse, plutôt un loisir, voire un engagement. Alors que certaines filles prennent des cours payants pour apprendre à « stripteaser », la plupart des artistes exercent un métier en parallèle de leur implication dans le milieu car il est difficile de vivre de cette pratique marginale.

Les artistes burlesques ont trouvé le moyen de se distinguer clairement de leurs collègues stripteaseuses par une astuce langagière: elles parlent d'effeuillage, un mot élégant et joliment désuet pour rappeler qu'il y a dans leur démarche une exploration de la vieille tradition du spectacle grivois, quand le striptease moderne a plutôt une simple fonction d'excitation du public. Il faut aussi rappeler que contrairement aux stripteases de club qui peuvent aller très loin, l'effeuillage proscrit la nudité totale et n'a rien à voir avec la danse contact ou le pole dance.

Plus sensuel que sexuel, moins agressif et volontiers parodique, le burlesque s'est ainsi attiré un public plutôt féminin. D'ailleurs la plupart des magazines et des sites qui se sont penchés sur le mouvement sont liés au féminisme (à l'exception notable du site Be Burlesque qui rassemble plutôt des amateurs de l'esthétique burlesque comme art de vivre).

Et les hommes qui se retrouvent dans les lieux où se produisent les danseuses y viennent dans un état d'esprit différent de ceux qui fréquentaient les bars de striptease. En fait ce n'est plus vraiment le parfum de scandale qui attire dans le burlesque: mais plutôt la mise à distance d'une manière jugée trop directe de mettre en scène le corps...

La nouvelle vague burlesque se réapproprie certains codes de l'histoire de l'effeuillage: porte-jarretelles, talons vertigineux, plumes, corsets et pastilles constituent toujours des ornements très en vogue. Mais l'intention s'écarte de plus en plus de ce que l'on connaît du striptease.

Les numéros sont en général basés sur un décalage, une pointe d'humour ou de loufoquerie qui fait passer l'héroïne du show pour une femme fatale un peu ridicule, exagérément prétentieuse et sûre d'elle. Les propos des artistes burlesques témoignent bien de cette volonté de sortir définitivement de la catégorie « striptease » aux yeux du grand public ou des médias.

Dans le même temps, la volonté de séduire ce public est encore bien présente. « Le féminisme ne veut pas non plus dire que la femme n'a pas le droit de jouer de sa séduction et qu'elle doit s'habiller comme une patate! », explique Miss Glitter Painkiller. « Elle est alors maîtresse de son corps et libre d'en faire ce qu'elle veut, que ça plaise ou non! Il y a un côté paradoxal, mais je pense que c'est un trait de caractère particulièrement féminin! »

Ce paradoxe va parfois très loin: dans A wink and a Smile, un documentaire sur une classe de burlesque à Seattle, l'assistante de la prof joue le rôle de la poupée asiatique hyper sexualisée, répondant au doux nom de « The Shanghai Pearl ». Le retournement des stéréotypes est ainsi brandi comme une arme contre ces mêmes stéréotypes.

Détournement des codes

Dans les cours de burlesque, les filles apprennent à danser et à s'effeuiller bien sûr, mais aussi à développer leur personnalité de scène. Elles doivent trouver un pseudo et se construire un personnage, qui est un prolongement et une exagération de leur propre caractère. Beaucoup y voient la possibilité de mieux accepter un corps qui s'écarte du modèle que renvoient justement les stripteaseuses professionnelles...

C'est un point sur lequel s'accordent les différentes sensibilités du neo-burlesque : la diversité physique est revendiquée comme une spécificité. La surmédiatisation de vraies pin-up à la plastique parfaite comme Dita Von Teese étant ainsi régulièrement critiquée, même si c'est paradoxalement grâce à elle que le grand public a redécouvert l'effeuillage.

Jouer à la pin-up est considéré par les profs de burlesque comme un loisir mais aussi comme une arme, une manière de s'approprier ses atouts et de prendre confiance en soi. Le cours devient alors une sorte de coaching...

Pour Juliette Dragon, emblématique de la scène burlesque engagée, c'est d'ailleurs ce jeu libre avec les codes de la séduction, cette manière d'être sexy sans ressentir de culpabilité qui est le propre du féminisme contemporain. Là où les grandes sœurs des années 70 voyaient l'ordre patriarcal pointer derrière le moindre soutien-gorge, la nouvelle vague s'accommode bien de la mise en valeur du corps, y compris dans un spectacle d'effeuillage! Montrer son corps et déclarer son indépendance est une constante de l'histoire du féminisme, comme le rappelle Juliette Dragon qui renvoie aux garçonnes des années folles qui jouaient de l'ambiguïté de leur apparence.

Chez les féministes traditionnelles le sujet est jugé un peu anecdotique, et provoque en général rejet ou mépris. Rejet parce que la thématique du corps reste problématique chez les féministes françaises. Il suffit d'évoquer les «Chiennes de garde» pour ressentir l'ampleur du décalage culturel avec les artistes burlesques. Mépris encore, parce qu'il y a des sujets plus sérieux, plus politiques, que ceux liés au corps et à l'image qu'il renvoie... Mais certaines ont compris que, le personnel étant toujours politique, la redécouverte du corps et son utilisation consciente peuvent être un acte d'émancipation. Et à défaut une occasion de s'amuser un peu en oubliant la crise, le burlesque ayant toujours prospéré dans les périodes troublées de l'histoire...

Jean-Laurent Cassely

Merci à Juliette Dragon, Miss Glitter Painkiller et Chris Do Carmo de Be Burlesque

Image de Une: Dita Von Teese lors de son spectacle au Crazy Horse, à Paris en 2006. REUTERS/Benoit Tessier

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