Économie

La croissance des trente glorieuses fait rêver

Temps de lecture : 3 min

Notre système social est meilleur aujourd'hui qu'il y a 40 ans, mais nous avons troqué le dynamisme pour la sécurité.

Pourra-t-on un jour renouer avec les niveaux de croissance des trente glorieuses? Heureux qui comme nos sexagénaires ont connu cette période faste où les emplois coulaient à flots, où le chômage ne concernait quasiment personne, où l'on parlait de plein emploi et où tous les indicateurs, que ce soit la consommation, l'investissement et les finances publiques étaient au vert. Cet enchevêtrement de facteurs positifs dans l'économie est devenu aujourd'hui totalement irréalisable en France. Plus personne n'ose évoquer des taux de croissance supérieurs à 2%. Renouer avec un tel «dynamisme d'activité» est devenu impensable. Mais qui s'en préoccupe? Notre statut de pays à croissance invariablement molle ou négative a été apparemment accepté dans l'inconscient collectif.

A entendre en effet les réclamations, ce qui compte ce n'est pas tant de voir le gâteau grossir que de récupérer pour son compte la plus grosse part quitte à bloquer encore plus le système. On entend les salariés réclamer plus pour leur sécurité de l'emploi, en dénonçant la précarité, la fracture économique, les baisses de pouvoir d'achat. Les entreprises ne sont pas en reste, elles évoquent un système trop rigide qui les empêche de croître sur le territoire français. Et au milieu l'État qui pour calmer le jeu alloue successivement, à l'un ou à l'autre, quelques avantages et privilèges. Ainsi est fait notre modèle. Personne n'est coupable à priori ou bien on l'est tous et cela revient finalement au même.

Mais est-il normal de baigner au milieu de zones de croissance sans jamais pouvoir être à leur niveau? Les taux de progression du PIB (Produit intérieur brut) hors crise qu'ont connus les Américains et les pays émergents depuis la bulle Internet ont tout de même de quoi faire des envieux. Même chose plus proche de nous: l'Angleterre, l'Espagne, l'Irlande ont été capables d'afficher un niveau d'activité bien supérieur au nôtre. Les arguments pour relativiser ces disparités entre taux de croissance sont maintenant connus de tous: nous savons que notre système social est bien meilleur qu'ailleurs. La preuve, notre croissance démographique fait figure d'exception. Avec 2,02 enfants par femme, nous sommes devenus les champions d'Europe en matière de fécondité... L'ensemble de la classe politique ne cesse de le mentionner, difficile donc de ne pas mesurer notre chance... D'après la commission Stiglitz nommé par Nicolas Sarkozy il ne suffit plus pour évaluer notre bien-être de se focaliser sur la performance économique, le progrès social doit faire partie intégrante des paramètres du bonheur.

Et dans ce domaine, il est vrai, nous sommes assez forts. D'après nos experts, les acquis sociaux en France nous permettent apparemment de mieux vivre que les autres - qui de leur côté n'ont que leur croissance pour vivre... Les malheureux. Cela dit, intuitivement on a tout de même l'impression que la croissance peut faire beaucoup pour le niveau de vie et l'ascenseur social... Allez demander à la génération qui a connu les années fastes si elle regrette cette période. Alors oui, la sécurité sociale était peut-être moins active qu'aujourd'hui mais cela devait être quand même agréable d'obtenir ou de changer un job à tout moment et de voir ses revenus progresser. Nous avons aujourd'hui, certes des avantages avec l'assurance chômage, les emplois aidés, les services d'aide au retour à l'emploi. Nous avons à disposition tout un panel de soutien qui ne cesse de s'améliorer. Pour autant, on ne connaîtra jamais cet extraordinaire dynamisme qu'ont connu nos parents ou grands-parents (selon l'âge du lecteur).

La génération des trente glorieuses est aussi celle qui s'est battue pour obtenir notre système de sécurité sociale. On doit sûrement leur en être reconnaissants. Rien ne sert de toute façon d'exprimer une quelconque rancœur intergénérationnelle. Ce qui est fait est fait. Mais tout de même, s'il est quasi certain que ces derniers peuvent et pourront bénéficier de toutes les avantages sociaux qu'ils se sont octroyées avec la retraite, la santé, l'éducation de leurs enfants (nous), l'avenir de ces acquis, lui, est loin d'être assuré. Au final, les générations actives ou en phase de l'être ne pourront jamais vivre des phases de croissance dignes des trente glorieuses et sûrement pas pouvoir bénéficier des mêmes compensations sociales de leurs aînés.

Alors avec un déficit budgétaire qui devrait atteindre cette année 140 milliards d'euros soit 8% du PIB et une dette publique près de 80% du PIB, les actifs d'aujourd'hui n'ont peut-être que cette solution pour éviter le pire, faire des enfants pour empêcher que le poids de l'endettement de leurs parents ne repose entièrement sur leurs frêles épaules. Le dynamisme de notre fécondité n'est peut-être que l'expression d'une nouvelle version de la solidarité intergénérationnelle...

Oriane Claire

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