Le 15 juin, un peu moins de 700.000 élèves de Terminale vont découvrir les sujets de philosophie, démarrant ainsi leur semaine d’épreuves écrites du bac. Tous les élèves ne vivent pas ces derniers jours d’attente de la même façon: il y a ceux qui tentent de rattraper dans la panique tout le retard accumulé dans l’année, ceux qui tentent de réviser posément mais n’échappent pas à la fébrilité et ceux qui se sentent plutôt prêts et aimeraient bien pouvoir commencer là, tout de suite, afin d’être débarrassés plus tôt de ce qu’ils voient comme une corvée.
C’est une période rongée par le doute, le regret de ne pas avoir travaillé dur plus tôt, l’impression de devoir réaliser l’impossible. Et cet état de fébrilité et d’incertitude, le portail APB (Admission Post-Bac) se charge tout simplement de le renforcer en maintenant sous l’eau la tête de ceux qui commençaient à boire la tasse.
APB, c’est cette grosse machine abritant un algorithme impitoyable qui détermine les affectations de nos lycéens en fonction de leurs vœux d’orientation. Entre janvier et mars, les aspirants bacheliers remplissent un dossier en ligne, lequel contient notamment une liste numérotée de filières et d’établissements qu’ils souhaiteraient intégrer. Les premiers résultats sont tombés le mercredi 8 juin: d’après les chiffres donnés par le gouvernement, 48% des élèves auraient obtenu leur premier vœu et environ 80% des futurs étudiants auraient obtenu au moins une proposition d’orientation sur l’un de leurs vœux. Analyse du prof de maths: c’est à la fois beaucoup et pas tant que ça.
Curieux message d’encouragement
On ne peut évidemment que se réjouir que celles et ceux qui ont bossé d’arrache-pied durant leurs années de lycée récoltent le fruit de leur travail. À quelques jours des premières épreuves du bac, savoir de quoi l’année prochaine sera faite doit être aussi galvanisant que rassurant. Le problème, ce sont les autres. Ceux dont les bulletins ont été moins reluisants par manque de travail ou parce leur année de Terminale les a fait souffrir. En plaçant le premier tour de résultats le 8 juin, c’est un curieux message d’encouragement que le ministère de l’Éducation nationale semble leur envoyer. Il pourrait être résumé ainsi: «Vous n’êtes pas sûrs d’obtenir le bac? Pas grave, de toute façon vous ne ferez pas d’études ensuite.»
Le lycée où je travaille n’est pas exactement ce que j’appellerais une «boîte à bac». Dans les filières générales, les pourcentages de réussite au bac sont inférieurs aux moyennes nationales. Une fois leur journée de lycée terminée, beaucoup d’élèves peinent à trouver des conditions de travail décentes à la maison. J’admire beaucoup l’abnégation avec laquelle une partie d’entre eux tente malgré tout de se battre pour obtenir son examen et faire quelque chose de sa vie professionnelle. Quand des élèves que j’ai croisés hier et avant-hier m’ont appris qu’APB n’avait exaucé aucun de leurs vœux, j’ai évidemment répondu qu’il ne fallait pas se décourager, que les résultats des deuxième et troisième tour (23 juin et 14 juillet) allaient bien finir par leur donner satisfaction. La vérité, c’est que je n’en sais rien. Je ne maîtrise pas l’algorithme. Personne ne le maîtrise. En tout cas, j’étais surtout furieux de constater que ces élèves que nous avons poussés pendant une année à faire de leur mieux avaient soudain envie de baisser les bras, plombés par ce que leur avait annoncé un simple logiciel: vous n’avez pas d’avenir.
Ces élèves que nous avons poussés pendant une année à faire de leur mieux avaient soudain envie de baisser les bras, plombés par ce que leur avait annoncé un simple logiciel: vous n’avez pas d’avenir
Or, à quelques jours du bac, ce sont ces élèves-là qui ont le plus besoin de soutien. Ceux qui ont eu entre 7 et 11 de moyenne au dernier bac blanc, qui savent que l’obtention du diplôme se jouera peut-être à quelques points, qu’il n’est pas impossible que l’oral de rattrapage se présente devant eux. Et ce sont ces élèves que l’on choisit de faire douter encore un peu plus à quelques jours des épreuves alors qu’on devrait au contraire les aider à vivre dans une relative sérénité, entre révisions de dernière minute et tentatives de se décontracter. De quoi creuser encore un peu plus le fossé entre ceux qui semblent formatés pour réussir et ceux à qui tout semble indiquer encore et encore qu’ils ne sont pas nés du bon côté de la barrière.
J’imagine bien que les calendriers sont serrés, mais je refuse de croire qu’on ne puisse pas décaler légèrement les calendriers APB afin de ne pas perturber la préparation au bac des élèves les plus fragiles. En 2015, dans l’une des filières technologiques de mon établissement, un élève avait annoncé qu’il ne se présenterait pas le jour des épreuves étant donné qu’obtenir le bac ne lui servait plus à rien. APB l’avait refoulé de son premier à son dernier vœu, lui qui n’était pourtant pas un élève au niveau déplorable. On peut juger qu’il est puéril de refuser de passer l’examen après avoir cravaché toute l’année et puisqu’il reste deux tours d’affectation. Mais je ne peux pas blâmer un gamin de 17 ans qui a fait tout ce qu’il a pu et à qui on annonce froidement, quelques jours avant le bac, qu’il va probablement se retrouver dans l’impasse. Pour quelques tweets amusants (mais pleins de détresse), combien d’élèves silencieux mais tout aussi désespérés?
Finalement, l’élève en question est venu passer les écrits, a obtenu son bac de justesse et a fini par être orienté en fac à l’issue du troisième tour. Tant mieux qu’il n’ait pas eu à passer les oraux de rattrapage: le deuxième tour d’APB, placé le 23 juin, c’est-à-dire deux semaines avant les résultats du bac, n’aurait sans doute fait qu’entamer sa motivation encore un peu plus. Je conçois qu’on ne puisse attendre le 7 juillet (date de fin des oraux de rattrapage) pour commencer à indiquer aux élèves de quoi leur année 2016-2017 sera faite. Mais qu’on les épargne jusqu’à ce qu’ils aient passé les écrits me semblerait juste être une preuve d’humanité.