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La correction 2.0 est-elle l’avenir du bac?

Temps de lecture : 6 min

Les professeurs des lycées français à l'étranger expérimentent un nouveau système en ligne. Plus économique et plus pratique.

Lycéens débutant l’épreuve de philosophie du baccalauréat dans un lycée de la Réunion le 15 juin 2016 | RICHARD BOUHET/AFP
Lycéens débutant l’épreuve de philosophie du baccalauréat dans un lycée de la Réunion le 15 juin 2016 | RICHARD BOUHET/AFP

Le réseau des lycées français de l’étranger (Aefe) promeut une nouvelle manière d’organiser la correction des copies du bac… En faisant travailler les enseignants en ligne. Le grand «rituel républicain», dont les épreuves écrites débutent ce mercredi 15 juin, serait-il lui aussi numérisable? C’est en tout cas le prémisse d’une grande transformation de l’examen bicentenaire (on acte sa naissance à 1808).

Pourquoi transporter physiquement des milliers de feuilles de papier, les copies, pourquoi demander à des enseignants de se déplacer pour aller les chercher, les remettre ou se réunir physiquement quand la technologie permet de faire circuler n’importe quel document de manière quasi instantanée et de se parler collectivement à distance? C’est la question sur laquelle les responsables des lycées français de l’étranger se sont penchés depuis 2011.

L’idée a du sens et représente une belle économie pour ce réseau scolaire, celui des écoles françaises à l’étranger, qui dépendent du ministère des Affaires étrangères via son réseau Aefe (494 établissements dans 136 pays, 60% d’élèves français, 40% d’étrangers) et dont les élèves passent le bac dans des conditions similaires à celles de tous ceux de métropole. L’économie se chiffre de moins 20% à moins 80%. En effet, auparavant, un correcteur ne pouvant corriger les copies des élèves de son établissement, il fallait parfois les acheminer sur de longues distances…. La zone Asie-Pacifique, par exemple, va de la Corée à l’Australie.

Toute une organisation

L’Aefe est tellement fière de son idée que ses services nous ont invités, moi-même et d’autres journalistes, à venir observer sur place, en l’occurrence relativement près de chez nous, au lycée Chateaubriand, à Rome, à voir comment se déroulait ce bac 2.0.

Faire passer le bac pour ces élèves disséminés dans le monde représentait une organisation complexe. Déjà parce que mettre en place en tel examen où que ce soit est déjà compliqué en soi: il faut relever les copies, les étiqueter, les rendre anonymes en massicotant la partie avec les noms, les dispatcher entre les correcteurs, les regrouper après correction et procéder manuellement, élève après élève, au report des notes. Dans le cadre de l’Aefe, en plus, il fallait demander aux enseignants de se déplacer dans une autre ville pour les corriger.

Pour y parvenir, les écoles étaient regroupées en zones. Rome fait, par exemple, partie de la zone Europe sud (Grèce, Turquie, Jérusalem, Roumanie, Bulgarie et Italie). Avant, les profs prenaient l’avion, allant de centre en centre –comme nous le confirme des enseignants français du lycée Chateaubriand: Michel Bédouin, professeur d’anglais pouvait se rendre jusqu’en Égypte; Evelyne Oléon, professeur de philosophie à Istanbul.

Ça vous fait rêver? Pas de regret pour l’enseignante de philo :

«Je préfère corriger mes copies chez moi, à la campagne que dans une chambre d’hôtel à Istanbul. Et je préfère aller en Turquie pour le plaisir.»

Un long mouvement de dématérialisation

Cette idée de numériser les copies n’a donc pas rencontré beaucoup de résistance et les enseignants rencontrés sont séduits par l’ergonomie du procédé. Un seul bémol: la fatigue oculaire causée par l’exposition à un écran. Il faut faire des pauses régulières et donc veiller à organiser son travail de manière adéquate.

Mais comment fonctionne cette correction en ligne? D’abord, la personne chargée de l’organisation de l’examen, Lorenza Coronas à Rome, scanne les copie avec une machine semblable à une imprimante. Des copies sont à peu près les mêmes que celles que nous avons connu quand nous passions l’examen (d’ailleurs, pour les élèves, rien ne change).

La correction en ligne se fait grâce à un logiciel Viatique, développé par la société Neoptec qui appartient au groupe Euro concours et travaille dans le domaine de l’évaluation depuis 1994:

«La société a été fondée par un ancien professeur d’université français à Montpellier, Jean-Pierre Moussette, dont le but était d’améliorer l’évaluation dans les contextes d’apprentissage, confie Peter Burk, en charge du projet Viatique. Neoptec s’est ensuite rapidement intéressée aux concours et a développé sa technologie pour répondre au problème d’anonymisation et de sécurisation et donc de proposer des programmes de correction d’examen.»

Ce travail de «dématérialisation» s’est engagé à la fin des années 1990 et la première mise en place sur certaines épreuves du baccalauréat sur un mode expérimental date de 2006 au sein de l’Aefe pour prendre une ampleur plus large en 2011 avec les lycées français jusqu’à être généralisée aujourd’hui dans ce réseau.

Mais est-ce généralisable en France?

«De mon point de vue, c’est parfaitement faisable. Notre systèmes robuste et facile d’ultilisation pour des acteurs qui peuvent tout faire eux même sans compétences techniques particulières, mais cela dépend des marchés publics», avance prudemment Peter Burk.

Du coté du ministère de l’Éducation nationale, les collaborateurs de Najat Vallaud Belkacem nous indiquent que le projet… n’est pas du tout à l’étude. Il semble que le bac soit un examen dont l’organisation est tellement complexe qu’il semble paradoxalement trop complexe de s’y attaquer!

Une révolution?

Mais revenons à nos copies. Comment se déroule la correction? L’aspect le plus étonnant, c’est d’abord la manière dont les enseignants sont amenés à corriger sur écran. Il est possible de souligner, surligner, annoter les copies. D’une part, on le comprend aisément, car il est plus facile de corriger ainsi. D’autre part, parce qu’il faut «laisser des traces qui permettent de comprendre comment la note se justifie, car le correction peut être consultée par le candidat en cas de contestation».

Les enseignants du lycée Chateaubriand confirment de manière unanime qu’ils se sont facilement acclimatés à la correction en lignes. Il faut dire que les concepteurs de Neoptec estiment bien connaître leur sujet car ils ont enseigné eux-mêmes, indique Peter Burke, qui explique comment les fonctionnalités ont été pensées:

«Nous travaillons avec des enseignants depuis plus de vingt ans et j’ai moi même enseigné et corrigé des copies par le passé. Nous ne sommes pas des techniciens extérieurs. Le métier nous intéresse pour ses finalités (mettre une note qui ait du sens pour le candidat et qui cadre avec l’idée d’exan). L’idée, c’est que ce soit non seulement ergonomique, correct du point de vue réglementaire et que cela puisse se dérouler dans les règles de l’art.»

L’art de la correction donc. Mais avec d’autres changements. Si les copies ne sont pas téléchargées et qu’il est impossible des les imprimer c’est qu’elles sont corrigées sur la plateforme, en ligne. Et éventuellement consultables par d’autres correcteurs. Par exemple, sur cette même plateforme, les enseignants discutent de la manière dont ils vont noter.

«Pour le bac traditionnel, les correcteurs se réunissent –il y a une commission d’entente au début dans laquelle on examine une ou des copies test. Puis une commission d’harmonisation à la fin des correction afin de bien s’entendre et de d’atteindre une correction équitable», explique Evelyne Oléon.

Ensuite, les enseignants peuvent converser en ligne, s’envoyer des messages, se consulter quand une copie pose problème, se la monter. La correction devient (peut devenir) un exercice collectif. Une correction 2.0 avec une logique d’interactivité. Et si pour l’instant les enseignants conservent leurs habitudes «papier», rien ne nous empêche d’imaginer que cela puisse changer.

La nécessité d’une vraie sécurité

Cet exercice plutôt solitaire jusqu’à présent pourrait très facilement évoluer. À quand des corrections collégiales? Verrons-nous un jour des corrections automatisées dans certaines matières? À quoi ressemblera le bac en 2030? Mais avant de généraliser le dispositif de correction numérisé, il faudra convaincre tous les correcteurs du bac en France qui n’ont pas exactement le même profil que leurs collègues de l’étranger qui ont demandé à travailler dans leur établissement et bénéficient de conditions globalement plus douces (peu d’élèves difficiles, établissements bien équipés, cadre de travail agréable, plaisir de l’expatriation).

Mais revenons à nos copies! Car un point important demeure: la sécurité. Les copies sont gardées dans un «coffre fort numérique» et même plusieurs, des serveurs en fair répartis en France métropolitaine afin d’avoir un secours en cas de panne grave ou de catastrophe naturelle par exemple. Et comment se protéger d’actes de malveillance?

«Nous sommes en conformité avec les RGG [recommandations concernant la sécurité] et même davantage: sécurisation des accès non autorisés et contre les cyber attaque évidemment.»

Par ailleurs, concernant la sécurité, les différentes étapes de la vie de la copie physiques (étiquetage, l’anonymisation, transport et report des notes ligne à ligne) étaient également «accidentogènes». Elles sont automatisées et effectuées par une machine perçue comme fiable. Enfin, les copies numériques sont disponibles sur la plateforme jusqu’à l’installation de la session suivante du bac, ensuite c’est le rectorat de rattachement, Lyon pour l’Europe du Sud, qui les conserve.

Ah, que fait-on des copies papiers, alors? Elles sont également conservées, dans une bonne vieille armoire en métal, comme ici à Rome. Une armoire fermée par un code dont seuls le proviseur, Joël Lust, et le Premier ministre italien, rigole-t-il, connaissent le code d’ouverture.

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