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En 1984, la France n’instrumentalisait pas le football... mais allait aussi mal

Temps de lecture : 6 min

Alors que débutait un championnat d'Europe qui allait la sacrer, elle était chômeuse, divisée, malade, abstentionniste, comme aujourd'hui. Mais ne voyait pas dans le football un objet de débat ou de récupération.

L'équipe de France avant le premier match de l'Euro 84 contre le Danemark. STRINGER / AFP.
L'équipe de France avant le premier match de l'Euro 84 contre le Danemark. STRINGER / AFP.

C’était il y a trente-deux ans et c’était (presque) hier, du moins pour les contemporains du deuxième Euro organisé en France après celui de 1960. Du mardi 12 juin au mercredi 27 juin 1984, le pays avait organisé une compétition dont la responsabilité lui avait échu, aux dépens de l’Allemagne, le 10 décembre 1981, soit moins de trois ans avant la première rencontre, contre six désormais. Autre temps, autre dimension, il est vrai, avec seulement huit équipes engagées pour quinze jours d’un tournoi circonscrit à sept stades. Depuis, le bloc communiste a éclaté en décuplant les nationalités, comme le football s’est radicalement transformé sur le plan économique, débouchant sur cet Euro 2016 d’une durée d’un mois, obèse avec ses 24 qualifiés et ses dix enceintes dédiées.

Mais alors que la France déroule le tapis rouge à la plupart des meilleurs footballeurs de la planète et à leurs sponsors dans un contexte sécuritaire, économique et social plus que troublé et tendu, il n’est pas inutile de rappeler comment elle avait abordé l’Euro 1984. Cet Euro pour lequel elle était la favorite de tous, y compris des observateurs étrangers, deux ans après le Mondial 1982 et le drame éternel de la demi-finale perdue contre la RFA à Séville. Championne du monde en titre, l’Italie avait, il est vrai, trébuché lors des matches qualificatifs face à la Roumanie.

En résumé, la France allait à peu près aussi mal qu'aujourd'hui, sauf qu’elle n’était pas si folle de football à l’époque, ou qu’elle ne feignait pas de l’être. En dépit de la magie opérée par Platini, Giresse ou Tigana, il n’y avait notamment pas matière pour le pouvoir en place à faire de la com’ sur le sujet matin, midi et soir. Le tournant de la Coupe du monde 1998 n’était pas passé par là et même si la France allait finir par triompher lors de cet Euro 1984, cet épilogue n’avait été l’objet d’une quelconque récupération. La France, qui n’a jamais eu une grande culture sportive jusqu’en 1998 et ne s’est pas beaucoup améliorée depuis dans ce domaine, s’était contentée, en 1984, d’une forme de minimum dans ce registre.

«Il se pourrait que le Président assiste à la finale»

Le 12 juin, quand la France avait donné le coup d’envoi de cet Euro 1984 face au Danemark au Parc des Princes, François Mitterrand n’était d’ailleurs pas là, contrairement à François Hollande vendredi contre la Roumanie. Au matin de cette rencontre, Fernand Sastre, le président de la Fédération française de football, s’était confié de la sorte dans les colonnes de L’Equipe: «En principe, le Premier ministre Pierre Mauroy devrait assister, ce soir, à France-Danemark. Je dis en principe car il se peut qu’au dernier moment, il soit empêché. Il se pourrait d’ailleurs également que le président de la République assiste à la finale de l’Euro le 27 juin, surtout si –on ne sait jamais– la France participait à cette finale.» Loin de François Hollande ou de ses ministres à la manœuvre presque permanente pour vanter les vertus supposément thérapeutiques d’un Euro qui serait là pour rappeler la grandeur de la France, pour fouetter son optimisme ou pour lui faire oublier le poids de toutes ses difficultés, il n’y avait visiblement aucun bénéfice à en tirer.

«Balle de match aux Internationaux de France de tennis de Roland-Garros, coup d’envoi du championnat d’Europe au Parc des Princes, de la garden-party, on est passé à la foire du trône», résumait Le Monde dans un billet presque méprisant, qui voulait refléter la tonalité d’un moment jugé finalement de peu d’importance au regard des affaires intérieures, complètement déconnectées de cet Euro. A la Une du quotidien dit de référence daté du 13 juin 1984 figuraient quatre titres principaux «La crise s’aggrave dans l’armée indienne», «Beyrouth a vécu une journée sanglante», «L’Europe à la recherche d’une voix », «Les rencontres franco-québécoises de la culture» et un petit entrefilet en haut à droite sur le «championnat d’Europe de football».

Comme en 2016, la France était pourtant en piteux état puisque Pierre Mauroy, Premier ministre depuis mai 1981, n’allait d’ailleurs pas tarder à être limogé de Matignon et remplacé par Laurent Fabius, le 17 juillet 1984, soit vingt jours après la victoire de la bande à Platini. Mais l’Euro de football ne faisait pas diversion.

À l’époque, le défi sécuritaire n’existait pas et c’est la seule grosse différence entre 1984 et 2016. À peine était-il noté que deux policiers chargés de la sécurité de chacune des huit équipes étaient désormais habillés aux couleurs des formations qu’ils protégeaient. Un contrôle aux accès, sans véritable fouille, devait permettre, par ailleurs, «de délester les spectateurs de pétards et même des bouteilles qu’ils seraient tentés de faire pleuvoir sur les pelouses». En l’absence de l’Angleterre, pas qualifiée, et de ses hooligans, seul le match Espagne-Portugal, au regard du contexte historique entre les deux pays, était jugé comme à risques très éventuels de débordements. Il n’empêche, il y avait tout de même eu une alerte à la bombe à la mi-temps de la finale France-Espagne: une standardiste du Parc des Princes avait reçu un appel se revendiquant d’Action directe et annonçant une explosion dans les 15 minutes. «Les services de sécurité ont été alertés, mais la seconde période a commencé sans retard», avait sobrement commenté L’Equipe.

Rélégué en fin de JT

En revanche, le contexte politique et économique de la France était au moins aussi délétère ou sombre que celui d’aujourd’hui. De la même manière, le pays avait les nerfs à fleur de peau ou carrément à vif. Entre le 12 juin et le 27 juin, en marge du football, l’actualité avait été, il est vrai, particulièrement brûlante entre des élections européennes organisées le 17 juin et largement défavorables aux socialistes avec une première percée historique d'un Front national (10,95%) au coude à coude avec le Parti communiste (11,20%), et la gigantesque manifestation du 24 juin pour l’école libre et contre la loi Savary, qui avait jeté plus d’un million de personnes dans les rues de Paris. Sans compter le conseil européen de Fontainebleau des 25 et 26 juin où la Grande-Bretagne, emmenée par Margaret Thatcher, avait obtenu le fameux mais controversé rabais sur la contribution britannique au budget de l’Union européenne, encore évoqué trente-deux ans plus tard à l’heure du possible Brexit.

En juin 1984, la France était une France chômeuse, divisée, malade, abstentionniste (43% aux européennes), rejetant sa classe politique à travers le Front national et avec, au matin de la finale France-Espagne, un cinquième conseil des ministres consacré à l’emploi. Le chômage explosait avec 2,3 millions de demandeurs inscrits, dont une hausse de 160.000 pour les seuls trois derniers mois, alors que Creusot-Loire, comme la sidérurgie toute entière, était au bord de la chute. Dans un sondage publié par le Figaro, 69% des Français se déclaraient hostiles à la politique conduite par François Mitterrand qui disait, lui, ne pas comprendre ce mécontentement au moment où tous les commentateurs prédisaient de leur côté une alternance inévitable lors des législatives de mars 1986.

Le JT d'Antenne 2 au lendemain de la victoire de la France, le 28 juin 1984.

Le soir de la finale France-Espagne, le héros du 10 mai 1981 était tout de même là. «M. Mitterrand s’est même hasardé à la mi-temps à des commentaires sportifs pertinents», persifla Le Monde en référence à une intervention du président à la télévision. «La France exulte et pavoise sans vergogne, continuait le quotidien du soir avant de se moquer au passage du Parti communiste en pleine réunion de crise. M. Mitterrand était au Parc des Princes avant d’aller vendredi à Madrid consoler les Espagnols en leur annonçant que leur entrée dans le Marché commun se ferait dans les délais prévus. Comme celle des Portugais, qui n’ont pas eu plus de réussite que l’Espagne face à l’équipe de France. Le comité central du PC français, qui avait interrompu ses débats pour suivre la rencontre du siècle, n’aura pas fait l’école buissonnière en vain.» Le lendemain de ce succès, Le Figaro consacra seulement deux-tiers de page à l’événement, préférant réserver une grande partie de sa Une à la déconfiture d'un PC au bord du départ du gouvernement.

Vingt-quatre heures après le triomphe, le 20h d’Antenne 2 avait déjà relégué le sacre tricolore à la fin de son journal, après le dépôt de bilan de Creusot-Loire, les déboires de la loi Savary et le conflit entre Israéliens et Palestiniens. La «folie et déraison» du football, pour reprendre un titre du célèbre livre de Michel Foucault, mort le 25 juin 1984 en plein Euro, n’avait pas encore touché la France et les politiques…

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