Économie

Le fret ferroviaire ne va pas dans le sens du Grenelle

Temps de lecture : 5 min

Entre l'abandon du trafic diffus par la SNCF et l'allègement de taxes destinées à renchérir le transport routier, les principes du Grenelle de l'environnement sont détournés.

Quand on parle de la SNCF, on a le droit de perdre le nord. Les cheminots ont lancé un mouvement de grève pour défendre, entre autres, le transport de fret par la SNCF. Pourtant, l'Etat s'est engagé en septembre à investir 7 milliards d'euros d'ici à 2020 dans des infrastructures ferroviaires, notamment pour développer les autoroutes ferroviaires (pour transporter des camions sur les trains). Pour faire bonne mesure, la direction de la SNCF a annoncé un programme d'investissement d'un milliard d'euros d'ici à 2015 (notamment pour lancer des TGV fret entre les grands aéroports européens).

Voilà qui devrait annoncer des jours meilleurs dans le fret ferroviaire, comme le prévoit le Grenelle de l'Environnement (objectif: un transfert de 25% des trafics de la route vers le rail d'ici à 2020). Mais si la SNCF espère ainsi sortir de la spirale des déficits dans les marchandises, il n'est pas certain que le fret ferroviaire y trouve son compte, quelle que soit la vitalité des opérateurs concurrents qui, en France, revendiquent ensemble environ 9% de part de marché face à l'entreprise nationale.

Sept petits milliards sur dix ans


D'abord, les 7 milliards d'euros (pour des projets déjà connus) ne constituent même pas un rattrapage tant le déséquilibre a été important. Le sénat pointe un rapport de 1 à 5 depuis 2000 entre les investissements réalisés sur le réseau ferré (2 milliards par an) et le réseau routier (11 milliards par an, autoroutes comprises). Selon les chiffres du gouvernement indiqués par le secrétaire d'Etat aux Transports Dominique Bussereau, l'investissement total en infrastructures à envisager d'ici à 2020 devrait atteindre 97 milliards d'euros, dont 50 milliards pour le ferroviaire, 40 milliards pour la route et 7 milliards pour les autres modes. Soit une petite dizaine de milliards par an, dont la moitié pour le chemin de fer.

Dans ces conditions, au regard des besoins, la manne de 7 milliards sur dix ans n'apparaît pas aussi volontariste qu'il y paraît. Toutefois, elle va venir s'ajouter aux dispositions déjà prises. Ainsi, l'Etat et Réseau Ferré de France (RFF), le gestionnaire du réseau de chemin de fer, ont signé un contrat de performance. Celui-ci prévoit que RFF aura investi 7,3 milliards d'euros d'ici à 2012 (et 13 milliards d'ici à 2015) sur le réseau (il s'agit là d'entretien de voies et de modernisation d'équipements, pas de création de nouvelles infrastructures).

Que devient le Grenelle de l'environnement?


Ensuite, le plan de redressement du fret présenté par la direction de la SNCF reste sujet à de nombreuses interrogations. Au premier semestre 2009, le transport de marchandises a représenté 6% du chiffre d'affaires de l'entreprise mais 65% de ses pertes (323 millions d'euros sur un total de 496 millions); le déficit de la branche devrait atteindre la somme astronomique de 600 millions d'euros sur l'année. La direction a décidé de trancher dans le vif... et de se désengager de la «messagerie ferroviaire» - c'est-à-dire l'acheminement par wagons isolés - qui représente la moitié des facturations mais les trois quarts des pertes du fret. Priorité aux trains complets sur les voies royales du réseau !

Dans ces conditions, que deviennent les objectifs du Grenelle de l'environnement, repris par le ministre Jean-Louis Borloo au niveau européen à la fin 2008 dans le paquet énergie-climat, et même à la conférence des Nations-Unies de Poznan? Si la SNCF n'utilise plus le trafic diffus des petites lignes régionales pour alimenter les transports de masse sur les lignes principales, elle va carrément tourner le dos au Grenelle. Ce n'est pas en incitant les industriels à utiliser le transport routier que le transfert de la route vers le rail va pouvoir s'opérer!

Patate chaude pour les PME du rail


La remise à plat du système de transport de fret ferroviaire prévoit, pour combler le vide laissé par la SNCF, la création d'opérateurs ferroviaires de proximité (OFP), sorte de «PME du rail» qui récupéreront la «patate chaude», à savoir l'acheminement des wagons isolés. Des petites entreprises indépendantes peuvent elles remplir une mission où une grande compagnie a échoué? Aux Etats-Unis, les compagnies «short liners» en ont fait, dit-on, la démonstration. En France, ces PME du troisième type pourraient profiter d'un statut particulier, et bénéficier du soutien de la SNCF qui s'inviterait à leur capital. On peut s'attendre, dans ces conditions, à d'autres grèves de cheminots pour s'opposer à une stratégie de filialisation qui ne dirait pas son nom !

Reste que dans la région Centre, l'expérience d'OFP menée aujourd'hui avec Proxirail n'est pas concluante. Car, outre des contraintes techniques qui lui sont propres, le rail pâtit dans le fret de tarifs non compétitifs face à la route. La perte du statut de cheminot des salariés des OFP suffira-t-elle à renverser la vapeur? La route, plus souple, entend bien ne céder aucun pouce du terrain déserté par la SNCF.

Allègements sur l'éco-redevance et taxe carbone


Le renchérissement des coûts du transport routier, avec l'introduction officiellement en 2011 de l'éco-redevance pour tous les camions de 3,5 tonnes sur le réseau routier non concédé, devrait contribuer à réduire le différentiel. Le prélèvement de 12 centimes par kilomètre devrait générer une recette de quelque 1,2 milliard d'euros par an, destinée à financer des infrastructures de transport alternatives. Mais techniquement, la mise en place du système de télépéage (par repérage satellite ou bornes électroniques) est extrêmement complexe.

En outre, pour ne pas pénaliser l'activité des régions de l'Hexagone les plus excentrées, le principe d'aménagements à la baisse de cette redevance a été admis. De sorte que, après la Bretagne, d'autres régions réclament des allègements. L'augmentation des prix du transport routier pour les industriels n'en sera que plus modérée, et la concurrence faite au chemin de fer toujours aussi vive.

Reste, bien sûr, la taxe carbone, que les transporteurs routiers devront acquitter. Mais après les dérogations promises aux agriculteurs (réduction de la moitié de la fameuse taxe) et aux pêcheurs (réduction des trois quarts), les professionnels de la route ne comprendraient pas d'être laissés pour compte. Ils pourraient, en fait, bénéficier d'un abaissement de charges sociales. Ainsi, le transport routier devrait rester bon marché... trop bon marché, de l'aveu même de certains professionnels, au regard de son coût environnemental.

Quand la compétitivité prime sur l'environnement...


La martingale qui doit relancer le fret ferroviaire n'est pas encore en place. Autrefois, la SNCF assurait l'ensemble de ses missions sans se poser trop de questions de rentabilité. Le transport de voyageurs assumait les coûts d'exploitation du réseau à la place du transport de marchandises, structurellement déficitaire. Mais depuis la déréglementation du transport de fret en 2006, une certaine transparence est de rigueur. De toute façon, la déréglementation prochaine du transport de voyageurs (progressivement à partir de décembre) interdit à la SNCF de surcharger l'exploitation de ses TGV pour soutenir son fret. Et en plus, l'entreprise doit au moins viser l'équilibre. Confrontée à une obligation de compétitivité, elle se sépare de ses activités déficitaires. Dans le cadre des contraintes qui lui sont imposées par sa tutelle, c'est logique. Tant pis pour les objectifs du Grenelle de l'environnement.

Gilles Bridier

SI VOUS AVEZ AIMÉ CET ARTICLE, VOUS APPRÉCIEREZ PEUT-ÊTRE:

"L'impossible réforme du fret SNCF"

Image de une: Trains de marchandise à Hambourg REUTERS/Christian Charisius

Newsletters

Boomers avantagés, jeunesse délaissée: la réforme des retraites va exacerber les tensions entre générations

Boomers avantagés, jeunesse délaissée: la réforme des retraites va exacerber les tensions entre générations

L'adoption du texte par le recours au 49.3 fait peser un nouvel effort sur les actifs au profit de leurs aînés.

L'inflation alimentaire va-t-elle entraîner une hausse de l'obésité?

L'inflation alimentaire va-t-elle entraîner une hausse de l'obésité?

Cela peut sembler contre-intuitif, mais une augmentation des prix des produits ne rime pas avec une diminution des apports caloriques, surtout chez les moins aisés.

Silicon Valley Bank: chronique d'une faillite bancaire aussi soudaine qu'inattendue

Silicon Valley Bank: chronique d'une faillite bancaire aussi soudaine qu'inattendue

Fin 2022, la banque emblématique du secteur high-tech semblait pourtant solide avec 209 milliards de dollars d'actifs, pour environ 175,4 milliards de dépôts.

Podcasts Grands Formats Séries
Slate Studio