Batman v Superman, c’est fait, Captain America: Civil War, c’est fait, X-Men: Apocalypse, c’est fait, Ninja Turtles 2, pareil, et maintenant, Suicide Squad est passé... Plus qu'un film (Doctor Strange) et la saison des super-héros sera terminée pour cette année. Cela doit soulager les allergiques au Spandex, qui ne sont pas gâtés depuis que le genre superhéroïque est à la mode. Les surhommes et surfemmes en lycra sont partout sur nos écrans, c’est à en frôler l’overdose. On en viendrait presque à espérer que la prophétie de Steven Spielberg se réalise.
En 2015, le réalisateur faisait la promotion de son Pont des espions et prédisait un bien triste futur aux encapés: tôt ou tard, ils allaient finir tout aussi ringards que les cow-boys des westerns d’antan. «Nous étions là quand le western est mort, professait un Spielberg approchant les 70 ans, mine de rien. Il y aura un temps où les films de super-héros prendront le même chemin que les westerns. Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura pas d’autres occasions de voir le western ou les super-héros faire un retour. Bien entendu, en ce moment, les films de super-héros sont vivants et prospères. Je dis juste que ces cycles ont une durée de vie limitée dans la culture populaire.» Cette comparaison de maître Spielberg est d’autant plus pertinente, que les deux genres sont liés.
Deux genres venus d’une même littérature
Avant Bruce Wayne dans Detective Comics, avant John Wayne à Hollywood, l’embryon des super-héros et des aventures de western est apparu au même endroit, dans les «romans à deux sous» du XIXe siècle. «Aux États-Unis, il y avait ce qu’on appelait le roman de prairie, raconte Xavier Fournier, qui s’est intéressé à cette genèse pour écrire Super-héros, une histoire française. C’était plus pêchu que ce que connaissaient les littéraires français qui, eux, étaient plus dans le mythe de la vengeance, avec Monte Cristo.»
Quand Le dernier des Mohicans a franchi l’Atlantique et que les Américains ont découvert Dumas, «on a greffé l’identité multiple et la vengeance de Monte Cristo sur le roman de prairie, et on est arrivé à quelque chose qui est le prototype du super-héros». Zorro, le Lone Ranger, Batman... ils viennent tous de là, de ces «romans à deux sous», les «dime novels» qui inspireront plus tard les «pulp magazines».
On a greffé l’identité multiple et la vengeance de Monte Cristo sur le roman de prairie, et on est arrivé à quelque chose qui est le prototype du super-héros
Xavier Fournier, auteur de Super-héros, une histoire française
Ces publications imprimées sur du papier de mauvaise qualité étaient bourrées de feuilletons narrant les aventures incroyables des justiciers solitaires de l’Ouest ou les sombres enquêtes des détectives costumés et autres «mystery men». Des histoires populaires qui, en cas de succès éditorial, étaient republiées dans un format plus prestigieux avant d’être adaptées au théâtre, sous forme de «serial» à la radio et, après l’invention du cinéma, sous forme de films muets. Un phénomène pas tellement différent ce qui se fait aujourd’hui avec Fifty Shades of Grey, sauf que, dans les films de l’époque, les cravaches ne servaient qu’à faire avancer le bétail.
Légendes de l’Ouest et surhommes bedonnants
Popularisés par le Français Jean Durand avant la Première Guerre mondiale, le film de western sera le premier à connaître un véritable essor après le conflit. Les studios américains se sont alors réemparés de leurs légendes de l’Ouest et le genre a gagné en légitimité jusqu’en 1939. Cette année-là, l’industrie du cinéma produit les deux canons du western. «On a coup sur coup La chevauchée fantastique, qui brille surtout par le nom de son réalisateur qui a eu plein d’Oscars, John Ford, raconte le spécialiste Christophe Champclaux, et le film qui légitime le western, Le brigand bien-aimé (Jesse James), d’Henry King, qui est présenté comme un film historique.»
Pendant ce temps-là, les surhommes évoluent dans l’ombre des cow-boys. Dans la famille des héros populaires, ils sont vus comme des cousins peu fréquentables par l’élite culturelle, qui leur reproche leur monde de bulles et d’onomatopées. Si les «dime novels» étaient méprisées, les comic books le sont encore plus. Cela n’empêche pourtant pas quelques bonnes adaptations cinématographiques comme les séries de Flash Gordon et du Frelon Vert. Le dessin animé Superman, de Max Fleischer, reçoit même l’Oscar du meilleur cartoon. Mais, à côté de ça, «il y a aussi beaucoup de choses vraiment médiocres, admet Christophe Champclaux. Quand on voit le Batman fait par Columbia en 1943, il a les oreilles qui tombent, le bide qui passe par-dessus la ceinture... C’est juste épouvantable.»
Là où les shérifs n’ont besoin que d’un colt qui tire à blanc et d’une étoile en ferraille pour paraître crédibles, les surhumains ont besoin de quelques artifices en plus pour faire rêver le public
À en croire Xavier Fournier, les films de super-héros de l’époque ont deux défauts majeurs: ils frôlent la pantomime car ils sont cantonnés au registre de films pour enfants –«c’est un truc qu’on va trouver pendant très, très longtemps, jusque dans les Batman de Joel Schumacher»– et les studios n’ont pas les moyens de leurs ambitions. Là où les shérifs n’ont besoin que d’un colt qui tire à blanc et d’une étoile en ferraille pour paraître crédibles, les surhumains ont besoin de quelques artifices en plus pour faire rêver le public. «Prenez les vieux films comme Superman contre les hommes-taupes, en 1951: les hommes-taupes en question sont des Martiens joués par des nains, Superman vole, mais c’est une poupée accrochée à un fil. Ça a super mal vieilli, donc ça a eu une durée de vie limitée dans le temps et il n’y a pas eu de transmission.» Il faudra attendre le premier Superman avec Christopher Reeve en 1978 pour commencer à «croire qu’un homme peut voler», comme le promettait la tagline du film.
7.000 films et un fiasco commercial plus tard...
Étonnement, les westerns se sont éteints lorsque les super-héros ont commencé à acquérir une certaine légitimité. Il faut dire que la production avait atteint l’overdose. Comme l’écrivait David Hamilton Murdoch, dans The American West. The Invention of a Myth, en 2001, «les estimations varient, mais peut-être que 7.000 westerns ont été réalisés au total depuis The Great Train Robbery en 1903». De quoi donner envie au public de voir autre chose que des santiags et des chapeaux de cow-boy. Surtout qu’après 1968 le souvenir du génocide des Indiens d’Amérique était revenu hanter les États-Unis. «Tous les Américains d’origine irlandaise se disaient: “Mon grand-père a aidé à massacrer les indiens et je n’en suis pas fier.” Même John Ford, résume Christophe Champclaux. On ne pouvait plus faire l’histoire du cow-boy vertueux et sans reproche, parce qu’il y avait cette tache.»
Tout cela a contribué à un désir de changement, qui s’est manifesté à la sortie de la dernière super-production du genre, La Porte du paradis, en 1980. «C’est un film qui a coûté énormément cher», rappelle l’historien du cinéma. Et même si aujourd’hui «tout le monde est d’accord pour dire que c’était réellement un chef-d’œuvre», il a marqué un coup d’arrêt dans la réalisation de westerns. Tout comme Cléopâtre pour le péplum, La Porte du paradis a refroidi les majors, qui ont vu un investissement de près de 40 millions de dollars n’en rapporter que 3. «Maintenant, les westerns, il y en a tous les ans un ou deux, mais ce sont souvent des tout petits budgets, même si ce sont d’excellents films.»
Depuis, les super-héros, bien aidés par la démocratisation des effets spéciaux numériques, ont pris le relais de leurs cousins du Far West dans la production de films de genre populaires. Des Sept mercenaires aux Avengers, du Bravados au Punisher, les décors changent mais la valeur morale des justiciers plongés dans une société en crise parle toujours au public.
Il était une fois dans l’Est
Blade, le chasseur de vampires de Marvel, a été le premier à véritablement marquer l’entrée des surhumains dans une version cinématographique de «l’âge d’argent des comics». Le premier X-Men de Bryan Singer en 2000 et les Spider-Man de Sam Raimi, à partir de 2002, ont continué de tracer la voie, jusqu’à ce qu’on arrive en 2016, année la plus faste en nombre de films super-héroïques.
Il a fallu beaucoup, beaucoup de films de cow-boys avant que le public se lasse et que les studios abandonnent le filon
Avec sept réalisations cette année, on pourrait se dire: «Ça y est, on a entamé la phase de surproduction, le cycle des surhumains en costume va prendre fin.» À en croire le seul calendrier des sorties chez Marvel et Warner, on en est loin. Si le parallèle de Steven Spielberg avec le western tient vraiment la route, les cinéphiles pourraient connaître encore de nombreuses années avant de voir disparaître les capes de leurs écrans. Il a fallu beaucoup, beaucoup de films de cow-boys avant que le public se lasse et que les studios abandonnent le filon. En 1980, l’année qui a marqué le déclin du genre, onze westerns sont sortis, dont La Porte du paradis. À la grande époque de John Wayne, en 1950, il y en avait eu plus de 120.
«Tout lasse et tout casse», prévient Xavier Fournier, mais les super-héros ont encore de belles années devant eux. Surtout que la matière ne manque pas. À elle seule, Marvel possède les licences de 8.000 personnages et n’hésite pas à exploiter les seconds couteaux comme Ant-Man ou Les Gardiens de la Galaxie. Et pour l’instant, ça paie. Un peu moins peut-être chez Warner, qui a connu quelques échecs avec notamment Green Lantern et un succès en demi-teinte pour son Batman v Superman. Mais quand investir 250 millions de dollars en rapporte plus de 870 millions, il n’y a pas encore péril en la demeure. D’autant que les super-héros ont un avantage considérable sur leurs cousins du Far West: ils peuvent partir à la conquête du marché chinois.
«Ça a été la chance de Marvel, assure Xavier Fournier. Depuis quelques années, l’industrie du cinéma américain est en pleine révolution puisque la Chine construit énormément de complexes cinématographiques et qu’ils sont gros consommateurs.» Cela explique notamment pourquoi Le Mandarin, terrible adversaire d’Iron Man et véritable «cliché raciste dans les comics», s’est mué en un personnage finalement assez sympathique dans le troisième opus de la série. Tant que le public chinois ne se lassera pas des super-héros, les studios hollywoodiens n’auront aucune raison d’arrêter. Même si le public désertait les salles dans le reste du monde, l’impact serait résorbé par le marché chinois. Lui aussi réalisé grâce à un investissement de 250 millions de dollars, Captain America: Civil War a ainsi été en grande partie rentabilisé en Chine, où il a rapporté plus de 177 millions de dollars, plus de huit fois la recette française. Maintenant vous comprenez pourquoi DC Comics remplace Clark Kent par Kenan Kong et pas par Superdupont?