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L'offensive anti-talibans ne règlera rien

Temps de lecture : 3 min

Ce dont le Pakistan a besoin, c'est d'un nouveau contrat social

Image de une: Mian Kursheed/ Reuters Tank au Pakistan dans la région de Swat, Juin 09
Image de une: Mian Kursheed/ Reuters Tank au Pakistan dans la région de Swat, Juin 09

Attendue depuis plusieurs semaines, souhaitée de longue date par les Etats-Unis, l'opération de l'armée pakistanaise dans le sanctuaire des talibans au Sud Waziristan n'est qu'une étape dans la lutte contre l'extrémisme au Pakistan. Une étape à hauts risques pour l'armée qui fait face à une dizaine de milliers de combattants aguerris dont 1.000 à 1.500 étrangers qui connaissent intimement le terrain et qui ont eu tout le temps de se préparer à cette offensive annoncée depuis juin.

Accord tacite mais fragile de l'opinion publique

L'armée qui de son côté a mené depuis plusieurs semaines des bombardements aériens sur la zone qu'elle a d'autre part tenté d'isoler, n'a pas le droit à l'échec. Toute nouvelle reculade -trois tentatives dans la même région se sont soldées par des accords de paix avec les insurgés invaincus - serait une énorme victoire psychologique pour les talibans et leurs alliés et risquerait de convaincre à jamais la population que l'armée et le pouvoir en général ne sont pas sérieux dans leur lutte contre l'extrémisme.

Dans le contexte d'extrême violence due aux attentats suicides et attaques meurtrières revendiquées par les talibans ces derniers jours - plus de 150 morts en dix jours - l'opinion publique soutient au moins tacitement cette opération mais les choses pourraient rapidement changer si les combats durent trop, si les victimes civiles, des bombardements aériens notamment, sont trop nombreuses et si les représailles annoncées par les talibans à travers le pays prennent trop d'ampleur. Une intervention trop voyante des Etats-Unis pourrait aussi retourner une opinion plus que jamais prête à dénoncer ce qui vient de Washington.

La victoire ne sera toutefois pas facile à définir. En affirmant que 80% des actions terroristes ont été planifiées au Sud Waziristan, les autorités laissent implicitement entendre qu'une fois ce bastion réduit, le terrorisme sera en voie d'extinction. Or rien n'est plus trompeur. La zone convoitée par l'armée, celle où habite la tribu des Mehsud à laquelle appartiennent les chefs du mouvement des talibans pakistanais, ne représente que la moitié de la zone tribale du Sud Waziristan, celle qui n'est pas frontalière avec l'Afghanistan. La conquête de cette zone priverait les extrémistes d'un sanctuaire mais ne les déposséderait pas totalement de refuges. Le pouvoir pakistanais est loin de contrôler l'ensemble des zones tribales.

Dangereuses alliances terroristes

D'autre part, les derniers attentats ont montré l'interaction de plus en plus grande entre les talibans pakistanais en majorité pashtouns qui ont des visées locales et les militants majoritairement originaires de la province du Pendjab qui poursuivent eux, un Jihad (guerre sainte) global. Les plus anciens de ces militants ont reçu un entraînement militaire de l'armée pakistanaise qui, dans les années 1990, les utilisait dans la lutte contre l'armée indienne au Cachemire. Beaucoup ont combattu en Afghanistan et ont des liens qui datent de cette époque avec certains chefs d'Al Qaida. Pauvre, sous développé, le Pendjab du sud est devenu un réservoir de militants et selon Ayesha Siddiqa, auteur d'une remarquable étude sur l'extrémisme au Sud-Pendjab, «il y a entre 5.000 et 9.000 jeunes de cette région qui combattent en Afghanistan et au Waziristan».

Pour des raisons politiques - le Pendjab est la province la plus peuplée du Pakistan, la plus riche et celle qui envoie le plus de ses fils à l'armée ou dans l'administration - les autorités civiles et militaires répugnent à reconnaître le danger représenté par une floraison de madrassas (école coranique) à l'éducation sectaire et rigoriste dans cette région. Ces madrassas, il est vrai, suppléent l'absence d'écoles, atténuent les effets de la pauvreté en prenant totalement en charge des enfants que les familles ne peuvent plus nourrir et comblent l'absence de perspective de nombreux jeunes.

Nécessaire peut-être, l'offensive de l'armée au Sud-Waziristan pour être efficace à long terme ne peut se substituer à une véritable stratégie de lutte contre l'extrémisme. Or celle-ci implique une nouvelle forme de contrat social dans une société qui reste largement féodale. Elle implique en particulier une réforme totale du système éducatif avec un renversement des priorités budgétaires en faveur de l'éducation plutôt que de la défense. Alors que réduire l'extrémisme islamiste prendra des années, rien n'est fait - ne serait-ce qu'élaborer un plan de travail - pour viser cet objectif.

Françoise Chipaux

Image de une: Image de une: Mian Kursheed/ Reuters Tank au Pakistan dans la région de Swat, Juin 09

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