Hasard ou fatalité? Dans un entretien publié par Le Figaro du 16 octobre Nicolas Sarkozy fait savoir que les criminels sexuels considérés comme dangereux ne pourront bientôt plus sortir de prison, une fois leur peine accomplie, sauf s'ils se sont préalablement engagés à subir une castration chimique:
«J'ai demandé que passe au Parlement, dès le mois de novembre, le texte sur les délinquants sexuels. Un criminel sexuel ne devra sortir de prison qu'après exécution de sa peine, c'est bien le moins, et après s'être engagé à suivre un traitement chimique qui contiendra sa
libido».
Le même jour on apprenait que Francis Evrard, pédophile récidiviste, venait d'écrire au président de la République pour lui demander le droit de pouvoir être castré, non pas de manière médicamenteuse et réversible, mais par voie chirurgicale et, donc, définitive. Une supplique en somme non pas pour (comme au temps où la peine de mort était légale) avoir la vie sauve mais pour pouvoir subir une mutilation sexuelle:
«Je souhaiterais avoir votre accord pour subir une ablation des testicules par chirurgie. Je sais que cela se fait au Canada et c'est sans appel. De toute façon, à mon âge actuel (63 ans) je n'en souffrirai pas et cela empêchera mes tendances envers les enfants».
Cette initiative, autant que la volonté réaffirmée du président de la République de voir élargie le recours à la castration chimique, relance la controverse sur les limites de l'action médicale et juridique pouvant être menée (avec ou contre leur gré) vis-à-vis des criminels sexuels durant et après leur détention.
Stratégie
Francis Evrard comparaîtra à la fin octobre devant la cour d'assises du Nord. Il sera alors jugé pour l'enlèvement, la séquestration et le viol d'Enis, 5 ans, en août 2007 à Roubaix (Nord). L'homme venait alors d'être libéré de la prison de Caen après avoir fait 18 ans de réclusion pour le viol de deux petits garçons. Mustafa Kocakurt, le père d'Enis, a aussitôt dénoncé le caractère opportuniste de cette demande
«Excusez-moi du terme mais je pense qu'il se fout de la gueule du monde, a déclaré, lors d'une conférence de presse. Pourquoi maintenant, dix jours avant le procès? Il aurait pu faire cela il y a deux ans ou même avant, avant de commettre tous ses crimes. Pourquoi demande-t-il la castration neuf jours avant son procès ? Il essaie de se faire passer pour un martyr, c'est un manipulateur. Je suis énervé et en colère.»
Pour l'avocat du père d'Enis, Me Emmanuel Riglaire, il ne faut voir ici qu'une affaire de «stratégie». «Il sait que ce n'est pas possible en France, car contre la dignité humaine», souligne-t-il. Il rappelle aussi que Francis Evrard «a déjà eu un traitement de castration chimique qu'il a arrêté au bout de quatre mois parce que sa demande de libération conditionnelle a été rejetée». «Il s'attend à être condamné à perpétuité, alors, il commence sa défense», ajoute l'avocat.
Le cas de Francis Evrard est un véritable cas d'école qui devrait être d'ores et déjà être disséqué au sein des différentes instances concernées tout comme dans les amphithéâtres de l'Ecole nationale de la magistrature. Ce cas témoigne de manière éclairante des limites actuelles du droit dans ce domaine autant que des fantasmes sexuels et sécuritaires que peut nourrir la «castration», qu'elle soit chimique ou chirurgicale. Tout se passe, en pratique, comme si l'on voulait à tout prix réduire la question de la prévention de la récidive à une extinction de la production d'hormones mâles. Et ce quand les spécialistes, pratiquement unanimes, ne cessent d'expliquer que les choses sont éminemment plus complexes. Comme s'il ne pouvait y avoir viol sans la consubstantielle érection masculine.
«Imposer» par décision de justice une castration chimique? Mais ce sera aller à l'encontre même de l'objectif recherché. De la même manière, on ne saurait instaurer une castration chimique «à vie» puisqu'elle n'a de sens et de portée que dans le cadre d'un suivi thérapeutique qui, généralement, ne dépasse pas quelques années.
Castration chimique? La controverse avait été relancée début octobre après la découverte du cadavre d'une femme près de Milly-la-Forêt (Essonne) et de son auteur: un homme déjà condamné pour viol. «Ne doit-on pas enfin décider la mise en œuvre de la castration chimique pour ce type d'individu?», avait alors aussitôt demandé Frédéric Lefebvre, porte-parole de l'UMP.
Peu de temps après Michèle Alliot-Marie, ministre de la Justice rappelait que le dispositif de castration chimique existait déjà en France, mais uniquement sur la base du volontariat des détenus et uniquement durant leur période d'incarcération. Si les personnes concernées refusent cette forme de thérapeutique (lorsqu'elle est médicalement recommandée), ils ne peuvent bénéficier de remise de peine; une forme de chantage en somme qui, indirectement, concerna Francis Evrard.
«Les mots ne me font pas peur»
Un projet de loi sur la récidive prévoit que la castration chimique soit permise après la détention, lorsque le délinquant sexuel est en période de remise de peine ou lorsqu'une obligation de suivi a été prononcée. «Ce sera la castration chimique ou la prison. Ils auront le choix entre l'un ou l'autre», déclarait alors la ministre de la Justice.
Ce projet n'est pas nouveau. «Les détenus de ce type, à la fin de leur peine, seront examinés par un collège de médecins, et si ce collège de médecins reconnaît leur dangerosité, ils ne seront pas remis en liberté, ils iront dans un hôpital fermé où ils seront soignés», avait annoncé Nicolas Sarkozy dès le mois d'août 2007. «Ceux qui n'accepteront pas d'être soignés resteront dans cet hôpital fermé le temps où on estimera qu'ils sont dangereux», ajoutait alors le chef de l'Etat, en précisant que les autres pourront sortir en «permission» avec un bracelet électronique mobile ou dans le cadre d'un traitement hormonal, soulignant que l'on pouvait bien parler explicitement de «castration chimique»: «les mots ne me font pas peur ».
Si les mots ne font pas peur, pourquoi ne pas parler de la castration chirurgicale a fortiori lorsqu'elle est réclamée par le criminel sexuel lui-même ? Comme le souligne Francis Evrard cette pratique hautement mutilante (certes interdite en France sauf pour des raisons thérapeutiques très limitées) est encore en vigueur dans certains pays.
Le dernier et le plus proche exemple concerne la République tchèque. Au début du mois de février le Comité pour la prévention de la torture du Conseil de l'Europe (CPT) publiait son rapport sur sa visite ad hoc en République tchèque effectuée en mars-avril 2008, ainsi que la réponse du gouvernement tchèque. «L'un des principaux objectifs de la visite a été d'examiner la pratique de la pulpectomie testiculaire («castration chirurgicale») pratiquée sur les délinquants sexuels condamnés, précisait alors le CPT. »
Le CPT a alors pu constater que la castration chirurgicale était, dans ce pays, pratiquée tant sur des personnes ayant commis des délits sans violence physique (exhibitionnisme) que sur des délinquants sexuels violents. Pourquoi condamner cette pratique?
«En premier lieu, il s'agit d'une intervention dont les effets physiques sont irréversibles, avec des conséquences directes ou indirectes sur la santé mentale. Il n'existe, de plus, aucune garantie que le résultat recherché (la diminution du niveau de testostérone) perdure. En outre, compte-tenu du contexte dans lequel l'intervention est proposée, on peut se demander si les intéressés donneront systématiquement leur consentement véritablement libre et éclairé à la solution de la castration chirurgicale. Des thérapies alternatives efficaces pour le traitement des délinquants sexuels sont actuellement disponibles.»
Pour le CPT, la castration chirurgicale des délinquants sexuels est un «traitement dégradant» et le Comité en appelle aux autorités tchèques afin qu'elles mettent un terme immédiat à cette pratique :
«La castration chirurgicale est une intervention mutilante et irréversible. Elle ne peut pas être considérée comme une nécessité médicale pour le traitement des délinquants sexuels. Cette intervention ôte toute capacité de procréation et a d'importantes conséquences physiques et mentales.»
Les autorités tchèques ont quant à elles déclaré que la castration chirurgicale était pratiquée «avec le consentement libre et éclairé du patient»; elles jugent également les raisons du CPT «insuffisantes et non établies» et estiment qu'elles «jouent en défaveur de l'abandon de cette pratique». Selon des données gouvernementales tchèques depuis l'an 2000, 300 personnes auraient subi une castration chimique et une cinquantaine, une castration chirurgicale.
Aujourd'hui, la question que pose Francis Evrard à Nicolas Sarkozy est tout sauf simple. Elle en soulève plusieurs autres interrogations. Faut-il ne voir là qu'une initiative «stratégique» non dénuée de perversité ? Cette demande de castration chirurgicale est-elle formulée par une personne dont le consentement formulé a priori est «libre et éclairé». Qui peut en juger? Et si la réponse devait être positive faudrait-il, (au motif qu'il s'agit de crimes sexuels, de pédophilie et de possibles récidives) autoriser le retour en France de la pratique de telles mutilations ? Décidera-t-on, au Palais de l'Elysée, de répondre à cette supplique? En quoi une «castration chimique à perpétuité» se différencierait-elle d'une ablation, par définition définitive, des testicules? Et, dans cette infernale logique régressive, pourquoi ne pas permettre au malade-prisonnier qui le réclame de disposer des moyens de s'automutiler?
Jean-Yves Nau
Sur le même sujet: les fantasmes de la castration chimique
Image de une: statue du park de Vigeland, à Oslo. CC Flickr geoftheref