A Londres, Gordon Brown projette de taxer lourdement les banques quand Paris préfère les obliger à financer leur système de contrôle. Il y a au moins deux façons de concevoir le refus du gouvernement français de s'engager dans une taxation supplémentaire de 10% des bénéfices des banques pour l'aide reçue de l'Etat, comme le réclame le Parti socialiste.
Soit Bercy cherche à envoyer un signal positif. A l'heure où la taxe professionnelle est proche de rendre les armes, où le gouvernement s'arc-boute pour défendre le bouclier fiscal et où il doit plus que se mobiliser pour défendre l'attractivité de la place financière, surtaxer reviendrait, c'est Christine Lagarde qui le dit, à anéantir des mois d'efforts pour changer l'état d'esprit général. Soit c'est un signal plus négatif consistant à laisser penser qu'on est loin aujourd'hui d'être revenu à une situation économique saine. Que la reprise n'est pas pour demain. Et donc qu'il est plutôt dangereux de faire payer aux banques plein pot - elles ont déjà réglé près de 2 milliards à l'Etat pour rémunérer ses prêts - les garanties qu'elles ont reçues à moins de risquer de fermer encore un peu plus le robinet du crédit à l'économie.
Cette «french attitude» vaut d'autant plus d'être relevée que, de l'autre côté de la Manche, le gouvernement britannique envisage de prendre son exact contre-pied. La presse locale n'hésite pas à évoquer l'idée d'un véritable raid fiscal que Downing Street projette de réaliser sur les bénéfices des banques britanniques, qui ont profité directement ou indirectement de son soutien. Un moyen de récompenser le contribuable qui a financé les plans de sauvetage. L'idée n'est pas totalement nouvelle outre-Manche. En 1981, Margaret Thatcher n'avait pas opéré différemment. Pour mettre en place sa politique de baisse massive des impôts au profit des contribuables britanniques, la dame de fer avait dans un premier temps largement puisé dans le bas de laine des banques.
Serait-ce le monde à l'envers? La France, réputée pour son modèle d'économie administrée, écrasée par un Etat obèse, interventionniste et prédateur, prône le moins d'impôts et l'autorégulation là où la Grande-Bretagne, patrie du libre échange et du laisser faire, s'en remettrait à la taxation sanction. Le gouvernement Brown s'est dit déterminé à mettre un terme aux pratiques bancaires imprudentes et à prendre «des actions d'ampleur pour réformer l'ensemble de la culture du secteur financier», en passant notamment par une modification du système d'impôts sur les sociétés pour les banques, système qui leur permet pour l'instant de compenser leurs pertes sur plusieurs années fiscales.
Les situations ne sont il est vrai pas totalement comparables. Hormis quelques cas - Barclays, HSBC - les banques britanniques sont passées très près de la faillite. Ce qui n'est pas le cas en France où le secteur, hormis Natixis, a gardé la tête hors de l'eau.
En Grande-Bretagne, l'Etat a quasiment nationalisé plusieurs banques là où en France, il s'est contenté d'assurer sa garantie, pour aider les banques à trouver des liquidités, sans jamais franchir la porte de leur conseil d'administration.
De plus, chaque gouvernement a dans cette affaire, des idées derrière la tête. Gordon Brown jette ses dernières forces dans la bataille pour tenter de renverser une tendance dans l'opinion qui le voit battu à plate couture lors des prochaines élections. Quitte à écorner le statut de la City superstar des places financières les plus attractives.
Ce qui revient, pour reprendre les mots de Jean François Copé, à se croire obligé «d'honorer tous les rendez-vous avec la démagogie». Ce qu'on se défend bien de faire à Paris. Mais en France, si Bercy rejette toute idée d'impôt supplémentaire au nom de la sacro-sainte compétitivité, il n'en évoque pas moins un système plus subtil, plus jésuite, qui revient un peu au même, consistant à mettre les banques à contribution pour financer elles-mêmes le renforcement du système de supervision du secteur. Bref à payer, grâce aux bénéfices qu'elles ont retirés du soutien de l'argent public, pour se faire contrôler.
Cela revient à faire confiance à l'autodiscipline et à la capacité du secteur bancaire à faire sa police pour rendre les pratiques des banques plus compatibles avec leur utilité sociale et économique. La forme est habile. Le fond est louable. Même si les ordres de grandeur entre le montant à retirer d'une taxation supplémentaire et le coût du renforcement du système de supervision ne sont en rien comparables.
En invoquant l'attitude responsable des banques françaises, leur propension à prendre les devants en annonçant spontanément leur volonté de faire preuve de modération en matière de bonus, de s'engager à distribuer du crédit et de se retirer des paradis fiscaux, Christine Lagarde peut estimer ainsi qu'elle ne les prive d'aucune arme pour jouer leur partie dans une compétition internationale sans merci. A sa façon, c'est un peu le même raisonnement qui a animé le gouvernement vis à vis des rémunérations des dirigeants d'entreprises, préférant s'en remettre à la capacité d'autocensure du Medef - invité à mettre en place un comité des sages - qu'à se résoudre à passer par la loi.
Pour autant, à l'heure où les principales banques américaines, remises d'aplomb grâce à l'aide d'Etat et au rebond des marchés, ne s'embarrassent pas pour relancer la course aux bonus - elles devraient verser pour 140 milliards de dollars de primes cette année, un record - les banques françaises pourront toujours invoquer cet argument pour se contenter du service minimum.
Le modèle français de gestion de la crise bancaire ne pourra être crédible que s'il s'appuie sur un Etat fort, dont les vœux, pour louables qu'ils soient, ne sauraient se contenter d'être simplement pieux. Ce qui reste, une fois encore, à démontrer.
Philippe Reclus
Image de Une: Christine Lagarde à la Baule en juin 2009, REUTERS/Stephane Mahe