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Avec le gouvernement égyptien, on risque ne pas connaître toute la vérité du vol MS804 avant longtemps

Temps de lecture : 4 min

Un appareil de la compagnie Egypt Air reliant Paris au Caire a disparu au-dessus de la Méditerranée dans la nuit du 18 au 19 mai.

Des familles des passagers du vol MS804 sont transportés en bus à l'aéroport du Caire, le 19 mai 2016. KHALED DESOUKI / AFP
Des familles des passagers du vol MS804 sont transportés en bus à l'aéroport du Caire, le 19 mai 2016. KHALED DESOUKI / AFP

On ne connaît pas encore les causes de la disparition du vol MS804 de la compagnie EgyptAir qui reliait Paris au Caire dans la nuit du 18 au 19 mai. L'appareil, un Airbus A320, a cessé d'émettre tout signal à 2h30 du matin alors qu'il volait à 37.000 pieds au-dessus de la Méditerranée.

Mais de nombreuses hypothèses qui ne s'appuient pas sur des faits vérifiés circulent déjà: certains experts, comme Jean-Paul Troadec, l'ancien directeur du Bureau d'Enquêtes et d'Analyses pour la Sécurité de l'Aviation Civile (BEA), estiment par exemple qu'un acte terroriste est probable.


Les premières déclarations des autorités égyptiennes qui démentent ces hypothèses pourraient donc sembler pleines de bon sens. Le porte-parole de l'armée égyptienne a ainsi publié un post sur son compte Facebooktraduit de l'arabe à l'anglais par le site Egyptian Streets– dans lequel il dément l'annonce de la compagnie EgyptAir qui a indiqué avoir reçu un signal émis par une balise automatique du vol MS804, deux heures après la disparition de l'avion. Il n'y a eu «aucun message de détresse», selon le porte-parole.

Mais la «prudence» des autorités égyptiennes porte déjà à la confusion. Le Premier ministre Chérif Ismaïl a indiqué jeudi matin qu’on ne pouvait pas «affirmer qu’un attentat terroriste était la cause de la catastrophe, ni écarter cette hypothèse», rapporte Le Monde, qui cite le quotidien égyptien Al Ahram. Le ministre de l'aviation civile est allé plus loin en refusant de parler de crash, contrairement aux déclarations de François Hollande.


S'il y a bien une chose dont on peut être à peu près certain pour le moment dans la disparition du vol MS804, c'est que l'Égypte, dirigée d'une main de fer depuis 2013 par l'ancien militaire Al-Sissi, ne communiquera pas de manière transparente toutes les informations qu'elle détiendra dans cette affaire.

L'Égypte face au terrorisme

Le pays fait face à une forte menace terroriste depuis plusieurs mois. Dans le désert du Sinaï, des combattants du groupe terroriste Wilayat Sinaï, qui a prêté allégeance à l'État islamique, mènent régulièrement des attaques de grande ampleur contre des positions de l'armée, des postes de police ou des villes de la région. Des attaques à la bombe ont également eu lieu au Caire et dans sa banlieue. En juin 2015, le procureur général égyptien avait été victime d'un attentat à la voiture piégée.

Mais l'attaque terroriste la plus retentissante contre les intérêts égyptiens a été l'explosion en plein vol d'un Airbus A321 de la compagnie russe Metrojet qui s'était crashé dans le Sinaï le 31 octobre 2015 après avoir décollé de l'aéroport de Charm el-Cheikh. Les 224 passagers avaient péri. Le groupe État islamique avait revendiqué cet acte terroriste quelques jours après le crash.

Une enquête avait été menée pour connaître les circonstances de cette catastrophe, et les autorités russes et américaines avaient rapidement confirmé que la nature de l'explosion était d'origine terroriste. «Pendant le vol, un engin explosif artisanal d’une puissance équivalente à 1 kg de TNT s’est déclenché», avaient déclaré les services de renseignement russes à l'époque. Un homme bénéficiant de complicités au sein de l'aéroport était parvenu à placer la bombe dans l'avion avant son décollage.

Nier l'évidence

Les autorités égyptiennes avaient pourtant nié l'évidence pendant plusieurs semaines, refusant d'affirmer que le crash de l'avion russe de la compagnie Metrojet avait été causé par un acte terroriste. Il y avait plusieurs raisons à cela: sur le plan politique intérieur, le maréchal Al-Sissi ne veut pas paraître comme un président «faible» face à la menace terroriste alors qu'il écrase toute opposition politique en justifiant la répression par les risques sécuritaires qui planent sur le pays. Deuxièmement, le chef d'État égyptien ne veut pas effrayer les touristes, qui représentent l'une des principales ressources économiques du pays: même si le secteur a subi de plein fouet l'instabilité politique qui a suivi le Printemps arabe puis les différentes attaques terroristes.

Dans un long papier publié le 6 novembre 2015, le média américain The New York Times avait mis en perspective les entraves égyptiennes à l'enquête sur l'origine du crash de l'avion russe.

«En vertu des règles de l'aviation internationale, des représentants de la France, de l'Irlande, de la Russie et de l'Allemagne qui sont présents parmi le comité officiel qui enquête sur le crash (...) affirment avoir demandé urgemment à l'Égypte de dévoiler plus d'informations. Mais les règles donnent à l'Égypte le contrôle des déclarations publiques, et donc jusqu'ici les autorités égyptiennes ont repoussé les remontrances des officiels européens qui demandent une divulgation de détails préliminaires en leur possession».

Le fantôme Moubarak

Le journal américain avait également noté que les entraves des autorités égyptiennes rappelaient les suites du crash d'un Boeing 767 de la compagnie EgyptAir le 31 octobre 1999 lors d'un vol entre le Caire et l'aéroport Kennedy de New York. Le président égyptien de l'époque, Hosni Moubarak, avait d'abord décidé de laisser les autorités américaines mener l'enquête. Mais quand il avait été établi que le crash avait été provoqué par le suicide du pilote Gamil al-Batouti, le chef d'État égyptien avait remplacé l'officiel égyptien qui participait aux investigations par l'un de ses proches et l'Égypte avait nié la version américaine des faits.

Concernant la disparition du vol MS804, l'Égypte n'aura peut-être pas la main sur l'enquête, contrairement au crash de l'avion russe dans le Sinaï, dans le cas où l'avion d'Egypt Air ne se serait pas écrasé dans les eaux territoriales égyptiennes mais grecques.

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