Un magazine féminin français assénait, avec le plus grand sérieux, que «la fellation était le ciment du couple» (et ne me lancez pas là-dessus). Un article publié sur le site The Conversation vient, lui, rappeler que l’enfant est la boule de chantier qui va méthodiquement défoncer le fragile édifice que s’était fabriqué le couple avant de se reproduire. On avait déjà quelques indices mais, pour ceux qui en doutaient encore, ce brillant récapitulatif d’études portant sur trois décennies entérine en effet l’idée qu’avoir des enfants nuit fortement au couple.
En compilant l’ensemble des études portant sur les couples avec et sans enfants, Matthew D. Johnson, professeur à l’université de Binghamton (l’université d’État de New York), a en effet constaté que les couples avec enfants sont presque deux fois plus déçus par leur relation amoureuse que les couples qui n’ont pas eu d’enfant. Dans le cas d’une grossesse non planifiée, les parents ont un jugement encore plus négatif sur leur relation.
Et cela prend encore davantage de sens quand on considère le fait que, pour décrire leur état de bonheur global, les gens se basent généralement sur leur rapport avec leur partenaire. Ce qui reviendrait alors à dire que les parents se sentent globalement moins heureux que les couples sans enfants.
Quotidien parental
Il ne faut guère compter sur les études qui entrent davantage dans le détail pour espérer voir les conclusions générales s’amoindrir ou se complexifier: quand on s’intéresse plus précisément au quotidien des couples de parents, c’est encore pire.
Ainsi, l’arrivée d’un enfant va par exemple changer la façon dont le couple va interagir. Là aussi, on s’en doutait un peu, mais il est ainsi confirmé que «les tâches banales telles que nourrir les enfants, les laver et les vêtir demande de l’energie, du temps, et de la détermination. Pour que la famille fonctionne bien, les parents discutent alors trajets en voiture et courses au lieu de partager les derniers potins ou leurs réflexions sur l’élection présidentielle. Plutôt que de demander comment la journée de l’autre s’est passée, on se demande si la couche est pleine [...], les textos coquins sont remplacés par la liste des courses».
(Si vous trouvez que cette description est exagérée, c’est que vous avez une nounou à mi-temps et/ou que vous avez été fécondée par Ryan Gosling.)
Là non plus, personne ne tombera de sa chaise d’étonnement: les femmes sont encore celles qui tirent le moins leur épingle du jeu, l’arrivée d’un enfant affectant généralement davantage leur quotidien que celui des hommes. Même dans le cas où les deux partenaires travaillent hors de la maison et où ils affirment partager équitablement les tâches, à l’arrivée d’un enfant, les pères vont se mettre à passer davantage de temps au travail et les femmes à se consacrer davantage aux enfants et aux tâches ménagères. Les femmes deviennent aussi de manière quasi systématique «le parent que l’on appelle» la nuit pour récupérer un doudou perdu ou pour venir à l’école quand l’enfant est souffrant. De telles disparités génèrent alors frustration, culpabilité et anxiété pour chaque membre du couple.
Et il en va ainsi quelle que soit la géométrie du couple et ses spécificités. On observe le même sentiment de déception indifféremment de l’orientation sexuelle, du niveau de vie et même du statut marital, y compris dans les pays qui proposent des politiques familiales avantageuses.
Sacrifice conjugal
On peut avoir l’impression trompeuse que l’enfant ne heurte le couple que superficiellement s’il n’est question que de textos pas très sexys et de rab de tâches ménagères. Il n’en est rien. Le stress dans le couple peut affecter physiologiquement et psychologiquement, à tel point que les chercheurs ont découvert que les thérapies de couples étaient l’un des moyens les plus efficaces pour traiter la dépression et plusieurs troubles mentaux.
Si ces conclusions peuvent ne pas paraître franchement inédites à quiconque a déjà eu une reflexion lucide sur le sujet (et à beaucoup de parents divorcés), on peut néanmoins s’étonner du fait que, comme le rappelle l’auteur, «partout dans les monde, la majorité des gens considèrent que devenir parents est ce qu’il y a de plus enrichissant à faire dans une vie» et surtout que, malgré tout cela, les femmes continuent à considérer qu’être mère est leur plus grande source de joie, avec la certitude que «regarder son enfant grandir vaut bien la peine de sacrifier sa relation amoureuse».
Et ce, alors que, comme Slate l’écrivait, la notion usée jusqu’à la corde de «sacrifice pour les enfants» est dommageable à tous les protagonistes et qu’«il serait judicieux de cesser de systématiquement opposer le bien-être des enfants et celui des parents, comme si seuls les parents sacrifiels pouvaient faire le bonheur des enfants».
S’il faut trouver le responsable de la mise en échec du couple, il n’est probablement pas à chercher du côté de l’enfant, mais des adultes qui, une fois devenus parents, se sentent parfois obligés de renoncer à leur épanouissement personnel en voulant prendre au pied de la lettre le sacro-saint «les enfants d’abord».