Culture / Life

La vidéo online n’est pas un nouvel Eldorado

Temps de lecture : 4 min

Etre rémunéré pour une vidéo amateur est attrayant. Mais pas réaliste.

La démocratisation de l'usage des caméras vidéo au cours de cette décennie couplée à la possibilité instantanée de diffuser gratuitement n'importe quelle forme de production sur les plateformes de partage comme Youtube, Dailymotion, Wat ou Vimeo a engendré l'émergence de toute une génération de vidéastes amateurs. Passée la phase d'expérimentation, est rapidement apparu l'espoir de la rémunération de l'utilisateur, sans pour autant jamais réellement se concrétiser. En annonçant le 25 août dernier que les vidéos les plus populaires parmi les utilisateurs pourraient permettre à leurs auteurs d'entrevoir une rétribution monétaire, Youtube a une nouvelle fois ravivé le spectre du profit facile pour monsieur tout le monde. Sans doute à tort.

25 000 dollars pour un bébé sur un siège arrière

En mai 2007, Youtube lance le Programme Partenaires, une initiative visant à rémunérer les meilleurs créateurs originaux en leur reversant une partie des revenus publicitaires générés par le site. Si la manne financière paraît pour le moins alléchante sur le papier, les critères requis rendent pourtant son intégration presque impossible pour l'utilisateur lambda. En plus d'être l'auteur des vidéos proposées et d'en posséder tous les droits audio et vidéo, il est impératif de disposer d'une solide base de plusieurs milliers de fans abonnés à un canal et de totaliser plusieurs dizaines de milliers de vues sur chacune des vidéos postées en ligne. Dans les faits, Youtube rejette donc la plupart des demandes individuelles et la grande majorité des partenaires se compose de facto de professionnels à l'instar de la NBA ou CBS aux Etats-Unis ou France24 et l'INA en France.

En se débarrassant d'une bonne partie de ces critères rédhibitoires, Youtube permet désormais à des utilisateurs non-inscrits au programme de partenariat d'être rémunérés simplement en accordant à la plateforme américaine le droit de vendre des espaces publicitaires autour de leurs vidéos. Si tant est qu'elles totalisent un nombre conséquent de visionnages. Youtube réalise donc un joli coup en ravivant l'espoir de s'enrichir avec la vidéo online chez les utilisateurs non professionnels, et en mettant en place un nouveau modèle publicitaire visant à contenter une frange d'actionnaires de Google de plus en plus critique face à l'incapacité chronique de la plateforme de transformer sa popularité en sources de revenus.

Pour l'instant réservé aux seuls Etats-Unis, le programme a déjà fait ses premiers heureux. C'est par exemple le cas de David Devore, consultant en immobilier, qui a provoqué l'hilarité de la planète toute entière en mettant en ligne une vidéo de son fils - complètement défoncé et divaguant à l'arrière d'une voiture - à la sortie d'une visite chez le dentiste. L'acceptation de la diffusion de plusieurs publicités pour des produits dentaires couplée aux 31 millions de vues lui a ainsi permis de récolter plus de 25 000 dollars.

Youtube n'est pas le premier site à se lancer dans un système visant à rémunérer le travail des contributeurs de sa plateforme. Metacafe, autre site communautaire de partage de vidéos, avait ainsi lancé dès octobre 2006, son programme qui promettait de verser cinq dollars pour chaque tranche de mille vues à tout auteur d'une vidéo totalisant plus de 20.000 vues et une note de trois étoiles sur cinq possibles. Fin 2007, les dix meilleurs contributeurs avaient gagné au moins 20.000 dollars chacun, et Kiplay, un spécialiste des vidéos dites «How to» (« Comment faire ci ou ça?») trustait le haut du pavé avec un gain total dépassant la somme de 117.000 dollars. De quoi faire pâlir de jalousie beaucoup d'amateurs. Si le programme a pu rapporter plus d'un million de dollars répartis entre un total d'environ 600 contributeurs, son absence démontrée de rentabilité a finalement poussé les investisseurs de Metacafe à arrêter les frais en 2008 et supprimer purement et simplement leur «Reward Program».

Trouver des alternatives au modèle de la publicité

Le choix de Youtube d'avoir recours une nouvelle fois à la publicité pour monétiser un contenu gratuit est à contre-courant de certaines tentatives - de Mediapart à Arrêt Sur Image, via Murdoch et Isabella Rossellini - de rendre l'accès à du contenu en l'échange d'une somme d'argent. Si les attentes financières des créateurs de contenu demeurent parfaitement compréhensible, le grand gagnant économique du revirement opéré par Youtube dans l'organisation de son programme de partenariat devrait selon toute vraisemblance être la plateforme elle-même grâce à l'arrivée de nouveaux annonceurs attirés par cette forme de publicité ultra-ciblée. La probabilité pour le quidam de publier une vidéo et réussir à totaliser plusieurs millions de vues sur une seule vidéo tiendra toujours quasiment du miracle, d'autant plus que le phénomène de diffusion exponentielle d'une vidéo reste tributaire d'un ensemble de facteurs quasiment impossibles à maitriser.

Participer à des concours de talents dotés de prix comme ceux organisés ponctuellement par la plateforme Babelgum reste encore de loin un des moyens les moins hasardeux de caresser l'espoir de gagner un peu d'argent grâce à la vidéo online. Pour le reste, il se pourrait bien que le meilleur moyen de faire fortune ne passe pas par la réalisation de films mais plutôt par l'investissement dans les infrastructures générant de la bande passante. Avec l'explosion de la vidéo online (1milliard de vidéos visionnées chaque jour sur le seul YouTube), les besoins croissent à une vitesse folle. Quand on sait que le visionnage d'une simple vidéo requiert environ cinquante fois plus de bande passante que la lecture d'un article - une réalité qui va encore s'amplifier avec la démocratisation de la Haute Définition - on comprend vite que ceux qui investiront dans ce domaine gagneront à long terme bien plus que n'importe quel utilisateur de Youtube. Bonne nouvelle pour les vidéastes du dimanche, aucun talent artistique n'est requis, un bon apport financier suffira amplement...

Loïc H. Rechi

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