Culture

C'est la fin de «The Good Wife», la série qui parlait le mieux d'internet

Temps de lecture : 8 min

Plus que les midinettes, ce sont les geeks qui vont regretter le show de CBS qui tire sa révérence.

The Good Wife se termine sur CBS
The Good Wife se termine sur CBS

Le 8 mai prochain, la série The Good Wife va s’arrêter définitivement. Pour qui battra alors le coeur d’Alicia? Quel tailleur portera-t-elle? Ses collègues auront-ils fait la paix? Oui, cela fait bientôt sept saisons que l’on suit les pérégrinations d’Alicia Florrick, avocate star de la série de CBS (diffusée en France de façon un peu aléatoire par les chaînes du groupe M6) et incarnée avec maîtrise par l’actrice Julianna Margulies.

Mais si son brushing parfait et ses tailleurs seyants sur les photos de promo de la chaîne peuvent laisser croire à une banale série du type «procedural» («un épisode, un procès») mêlé d’une romance aux accents hillaryclintoniens, il n’en est rien. Car ceux qui auront le droit de pleurer vraiment la fin de The Good Wife ne sont pas tant les midinettes pendues aux lèvres des ombrageux collègues d’Alicia, mais bien les vrais geeks et passionnés de numérique, à qui cette série donne enfin la place qu’ils méritent.

Certes, la télé américaine nous sert du nerd en barres: en troupeau à la Friends dans The Big Bang Theory, en sitcom de start-up dans Silicon Valley, en fresque historique dans Halt and Catch Fire, ou plus récemment en attachant hacker dans Mister Robot. Mais aucune de ces séries ne parvient à poser les bonnes questions avec l’acuité de celle de CBS.

Bien représenter internet

Alors oui, on a observé avec délices son passage de sage épouse du procureur, femme au foyer trompée, à celui de brillante avocate à qui presque rien ni personne (ni aucun verre géant de vin rouge) ne résiste. Mais au fil des intrigues, les showrunners de la série, Robert et Michelle King, ont surtout réussi à développer une brillante analyse de notre société baignée dans l’innovation numérique. «The Good Wife est devenue une série révérée par les geeks, et pour une bonne raison: elle offre le portrait le plus habile de la technologie à la télé», écrivait Wired dès 2013. Le média américain ajoutait: «Elle a peut-être même la meilleure influence sur le savoir numérique dans la culture pop en ce moment.» Et la tendance a continué dans les saisons suivantes.

Tout a commencé avec cette idée que nous devions être plus fidèles à notre expérience avec les médias sociaux, et la façon dont notre vie a changé avec les nouvelles technologies

En plus du soin apporté à tous les détails de la série, où les vidéos virales, le piratage informatique et les tweets ne sont pas des artifices mais font partie intégrante du quotidien, le scénario réussit à questionner sans cesse notre utilisation des nouvelles technologies.

«Cela m’a toujours ennuyé de regarder d’autres séries et d’y voir internet très mal représenté, par exemple quand quelqu’un ouvre un fichier Quicktime et que ça remplit tout l’écran, alors que dans les faits votre bureau est toujours visible, c’est une boîte dans une autre boîte, expliquait l’an dernier Robert King à la guilde des scénaristes. Tout a commencé avec cette idée que nous devions être plus fidèles à notre expérience avec les médias sociaux, et la façon dont notre vie a changé avec les nouvelles technologies. C’est là que nous avons découvert que nous étions fascinés par la façon dont cela modifiait la loi.»

Une fascination largement partagée dans la série.

Deux Zuckerberg pour le prix d’un

Alors que dans les autres séries pensées «geek», les développeurs et petits génies des start-up restent le plus souvent entre eux, ici, ils évoluent dans le vrai monde. En tout cas, celui des cabinets d’avocats, au même titre que les autre affaires, où se croisent les cas de meurtre ou de discrimination. Ces personnages sont millionnaires, imbus d’eux-même et à la tête des entreprises les plus profitables d'internet. Mais ne parlez pas de Facebook et Google, ici pour plus de liberté, on parle de Sleuthway.com et Chumhum, respectivement réseau social qui monte et moteur de recherche tentaculaire.

C’est pour une histoire de diffamation que le patron du premier, Patric Edelstein, entre dans la danse (Saison 2 épisode 14, «Net Worth»). Il est très mécontent d’un film retraçant sa vie. «Il me montre en train de créer mon site pour pouvoir choper des filles, alors que j’étais fiancé à l’époque et pas du tout intéressé par cette idée. Il montre plusieurs de mes amis parler de moi comme un pauvre type ou un connard», se plaint-il à ses nouveaux avocats, attristé que sa mère pâtisse de sa mauvaise image.. Tiens, ça ne vous rappelle pas quelqu’un? Les scénaristes s’offrent le luxe d’imaginer un monde où Zuckerberg aurait vraiment porté plainte. «Nous faisons attention à ne pas nous baser sur des vraies situation et des vrais gens. Nous sommes parfois inspirés par des situation, mais nous les prenons toujours dans un sens différent», rappelle Michelle King dans cette même interview.

Quant à leur leur technique pour faire entrer le spectateur dans des problèmes de droit très complexes, elle est toujours la même: ajouter à chaque scène de tribunal une nouvelle couche sur la précédente, en allant du plus évident au plus inattendu, y compris dans une utilisation audacieuses des règles et des lois. C’est ainsi que dans cette affaire, à la diffamation initiale se substitue la perte de revenu: celui que le grand manitou du Web aurait pu tirer de sa propre vie.

Ici, quand des personnages sont mis sur écoute, on découvre de jeunes geeks plantés dans un gigantesque open space, casques sur les oreilles, qui s’envoient des blagues sur les chèvres

L’autre héros en hoodie, Neil Gross, est à la tête d’un simili Google dont le slogan est «Don’t do wrong» (qui sonne presque aussi bien que «Don’t be evil») et l’avatar un mignon petit écureuil. Il est assez crédible aux yeux des internautes pour avoir sa propre url, qui tourne avec le moteur de recherche duckduckgo. Incarner ces géants du net à la barre d’un tribunal et les mettre virtuellement face à leur conception du pouvoir et de la liberté se révèle très jouissif pour le spectateur.

La vie privée à l’ère numérique

Il y a un avant et un après Snowden, et les spectateurs de la série ne risquent pas de l’oublier. En résonance avec les affres de Google, on s’interroge sur la responsabilité de Chumhum quand il fournit aux autorités chinoises l’adresse IP d’un opposant (saison 2 épisode 16). Et au cas où on n’aurait jamais entendu parler de Qosmos, entreprise française soupçonnée d’avoir vendu des logiciels de surveillance au régime syrien, la série se charge bien d’appliquer le cas à sa chère firme à l’écureuil (saison 3 épisode 15).

Mais elle va encore plus loin. La plupart du temps, la NSA est évoquée à la télévision comme une force mystérieuse aux grandes oreilles dont les représentants sont des costards cravate fuyants. Ici, quand des personnages sont mis sur écoute (après avoir, vaguement, évoqué un possible terroriste), on découvre de jeunes geeks plantés dans un gigantesque open space, casques sur les oreilles, qui s’envoient des blagues sur les chèvres. Une représentation un peu potache mais plutôt crédible quand on s’intéresse de près au dossier: l’agence recrute avant tout des informaticiens, au profil plutôt proche de celui d’Edward Snowden. Cette rare bascule du côté des espionneurs désacralise le sigle, et démontre avec beaucoup de simplicité l’ampleur des écoutes et ses répercussions.

Les doigts dans les algorithmes

«Les logiciels. Ils font des erreurs.» C’est en une phrase qu’Alicia résume dans l’un des derniers épisodes diffusés ce que la série s’astreint depuis le début à faire savoir: que les algorithmes qui gèrent nos vies ne sont pas tout-puissants. Pourtant, c’est vrai, ils sont partout. Ils gèrent ce que nous voyons sur notre fil Facebook, le prix des billets de train et les placements boursiers. Mais un algorithme, ce n’est pas très sexy: des calculs dans une machine, c’est difficile à mettre en scène. La plupart du temps, les codeurs de la télévision sont collés devant leur écran devant des séries de chiffres qui défilent. Ici, il suffit de mettre les geeks à la barre et de les faire répondre aux questions d’ingénus avocats, et on comprend tout. «Les mots sont les armes dans une série juridique», notait Robert King dans Wired.

Sur la question cruciale du référencement, par exemple: dans l’épisode «Two Girls, one code» (saison 4 épisode 3, titre en référence directe au célèbre mème two girls, one cup, qu’on ne vous conseille pas forcément de regarder au moment de manger), deux étudiantes qui ont créé une application de reconnaissance vocale assurent que le moteur de recherche Chumhum les a retirés de la première page de résultats après leur refus d’acheter de la publicité. «C’est pas nous, c’est l’algorithme», répond bien sûr le moteur de recherche. L’affaire ne se révèle bien sûr pas si simple, et tout internaute pas vraiment au fait de la responsabilité éditoriale des moteurs de recherche voit sa page de résultats Google d’un autre oeil après cet épisode.

Idem quand la série aborde pour Chummy maps, l’équivalent de Google Maps chez Chumhum, qui se retrouve accusée de racisme (saison 7, épisode 7). Un restaurant fait faillite après s’être retrouvé dans une zone jugée «dangereuse» par l’application, qui se nourrit des recommandations des internautes. Comme par hasard, les zones dangereuses recoupent celles où habitent les Afro-Américains. Évidemment, l’application jure n’y être pour rien. Mais l’est-il plus quand son algorithme de reconnaissance faciale identifie un Afro-Américain sur la photo d’un singe? Ici, ceux qui maîtrisent le code ne sont pas tout-puissants. Avec constance, la méthode «King» rappelle au spectateur que les algorithmes sont faits par des humains. Un rappel pas superflu après la victoire d’Alphago, l’intelligence artificielle de Google, contre un des meilleurs joueurs de Go du monde.

L’équipe est remplie de scénaristes technophiles. L’auteure Corinne Brinkerhoff a conçu l’épisode sur les Bitcoins après avoir été elle-même fascinée par ce système de monnaie

Le virtuel au centre du réel

Les Bitcoins sont-ils une vraie monnaie (saison 3, épisode 13)? Une vidéo envoyée par les anonymous peut-elle devenir une preuve dans un procès pour viol (saison 4, épisode 20)? Plutôt que simplement raconter l’actualité des nouvelles technologies, les deux showrunners l’emmènent un cran plus loin, en se demandant toujours «et si?». «L’équipe est remplie de scénaristes technophiles. L’auteure Corinne Brinkerhoff a conçu l’épisode sur les Bitcoins après avoir été elle-même fascinée par ce système de monnaie alternatif», Indique Robert King.

Ils reconnaissent volontiers leur passion pour ces sujets qui mettent les réseaux sociaux en ébullition. «Je n’ai pas l’impression que beaucoup de scénaristes soient allés aussi loin que nous dans l’utilisation des réseaux sociaux dans les intrigues, expliquait Robert King à Buzzfeed en 2013, assumant le fait d’avoir développé une vaste connaissance du sujet en procrastinant toute la journée. Je ne vois pas pourquoi d’autres séries n’exploitent pas plus ce que les scénaristes utilisent autant. Entre nous, on n’arrête pas de s’envoyer des exemples de cas dans lesquels la loi progresse, ou au contraire d’autres où elle ignore complètement tout un pan de la technologie.»

Pas étonnant qu’ils se soient donc amusés à pasticher le très populaire forum américain Reddit (pardon, ici on parle de Scabbit), où ont été diffusées de fausses accusations lors de la chasse à l’homme virtuelle qui a suivi les attentats de Boston (Pardon, ici c’est à Milwaukee) (saison 5, épisode 9). Preuve de l’habileté de la série: même les internautes du forum, pourtant très tatillons sur la culture de leur site et leurs références, reconnaissent que l’épisode a pointé juste. On peut penser que la fin de la série les laissera, comme beaucoup d’internautes avertis, un peu malheureux. Mais avec l’espoir que d’autres showrunners suivent bientôt l’exemple.

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