Sciences

Bonne nouvelle: la malchance n’existe pas (et la fatalité non plus)

Temps de lecture : 5 min

Lorsqu’une bonne ou une mauvaise chose arrive par hasard, nous avons tendance à le mettre sur le compte d’une bonne étoile ou d’une malédiction. Ces deux concepts, la science a les outils pour les réduire en miettes.

En tenant pour responsable un chat noir ou un miroir brisé s de phénomènes aléatoires, nous entretenons deux réflexes néfastes | woodleywonderworks via Flickr CC License by

Trop beau pour être vrai. Ou trop pénible pour être accepté. Lorsqu’une bonne ou une mauvaise chose arrive par hasard, nous avons tendance à la mettre sur le compte d’une bonne étoile ou d’une malédiction. D’après Nicolas Gauvrit, chercheur en psychologie et en mathématiques, c’est notre manière de réagir face à à l’inattendu, l’imprévisible, l’incontrôlable. Elle n’a aucun fondement logique et traduit le besoin des personnes de contrôler leur existence même si tout ce qui nous arrive se produit par hasard.

«Quand les gens disent qu’ils sont malchanceux, c’est souvent pour insinuer que le sort leur a été défavorable et qu’il continuera à l’être, analyse Nicolas Gauvrit. Mais il faut arrêter de croire qu’il y a des gens condamnés à perdre ou faits pour gagner. Il peut y avoir des périodes ou l’on gagne beaucoup et d’autres, presque pas. Si l’on veut appeler ça chance ou malchance, on peut, mais il faut bien comprendre que ce n’est pas lié à la personne et que ce n’est pas écrit à l’avance.»

Les personnes superstitieuses ont le réflexe de tout ramener à elles –le pire comme le meilleur–, comme si elles étaient «la cible» de quelque chose qui les dépasse (le sort, le destin...). Mais en nous tenant régulièrement responsables –elles, ou un parapluie, un chat noir, un trèfle à quatre feuilles…– de phénomènes aléatoires, nous entretenons sans le savoir deux réflexes néfastes à notre équilibre, à notre bien-être et même à notre réussite.

Séries d’accidents

Il y a d’abord le réflexe «culpabilisant». Il consiste à accabler le «mauvais sort» du poids de ses échecs par exemple. «Si quelqu’un a quatre accidents de voiture dans la même semaine alors qu’il n’en avait pratiquement jamais eu de sa vie, il faut qu’il se poser des questions avant de se dire qu’il n’a pas de chance. Peut-être faut-il qu’il s’interroge sur son état émotionnel du moment ou sur sa conduite, conseille Nicolas Gauvrit. Il y a infiniment peu de chance que ce soit uniquement une question de hasard.»

Loin de l’adage qui dit que l’on se retrouve parfois «au mauvais endroit au mauvais moment», des conditions comme la fatigue, le stress, la consommation d’alcool ou de stupéfiants et l’état émotionnel global du conducteur sont la plupart du temps les grandes fautives des séries d’accidents impliquant un même conducteur sur une courte période.

Il faut arrêter de croire qu’il y a des gens condamnés à perdre ou faits pour gagner. Ce n’est pas lié à la personne et que ce n’est pas écrit à l’avance

Nicolas Gauvrit, chercheur en psychologie et en mathématiques

Il faut donc différencier, en étudiant minutieusement les circonstances, ce qui vient du sujet, et dont il doit assumer pleinement la responsabilité, et ce qui est le fruit du hasard (un sol verglacé, un accident de la route provoqué par quelqu’un d’autre…). Au-delà de la question morale du comportement individuel, qui n’est pas notre sujet ici, écarter la question de la responsabilité pour y substituer celle du hasard est une erreur fondamentale puisqu’elle autorise à reproduire les mêmes erreurs.

À l’inverse, tout remettre «sur le dos» du hasard, en cas de succès, dépossède totalement les sujets du sentiment de satisfaction voire de fierté. Si nous attribuons nos réussites personnelles ou professionnelles à une «bonne étoile» ou un «destin» quelconque, au lieu de nous en féliciter, nous nous privons de voir ce qui, dans notre comportement ou nos décisions, a conduit à cette victoire. Et sans analyser les «clés de la réussite», il sera moins facile de réemprunter le chemin du succès… Nous nous privons donc de potentielles victoires!

Prophéties autoréalisatrices

Dans la rubrique «Je vois le destin partout alors que je suis largement responsable de ce que je fais», un autre phénomène a été largement étudié: les «prophéties autoréalisatrices» ou «autodestructrices». Pour faire simple : nous ignorons trop souvent que le fait d’énoncer une prédiction («je vais échouer à mon examen» ou «je ne serai pas malade cet hiver») peut avoir une influence très forte, par la suite, sur la matérialité des faits. Dans certains cas, la prédiction de départ aide à la réalisation. On l’appelle alors « auto-réalisatrice ». Dans d’autres, elle l’anéantit. Elle est « auto-destructrice ».

C’est un écrivain hongrois qui a découvert le phénomène et l’a conceptualisé en 1929. Vingt ans plus tard, il étaient popularisé par le sociologue Robert K. Merton, qui le résumait simplement ainsi: «Si les hommes considèrent des situations comme réelles, alors elles le deviennent dans leurs conséquences.»

Prenons un exemple connu dans la politique contemporaine française. On a beaucoup dit que le fait d’avoir donné Lionel Jospin vainqueur à l’avance de l’élection présidentielle de 2002, avait contribué à sa défaite, car, «sûr de gagner», il n’aurait pas fait véritablement campagne, tandis que ses compétiteurs s’investissaient corps et âmes dans la course. Dans ce cas-là, la prophétie des médias et des observateurs politiques («Lionel Jospin va gagner les élections») s’est avérée autodestructrice, car elle a favorisé l’effet inverse de ce qu’elle annonçait.

Dans un tout autre domaine, la médecine, on retrouve le cas inverse avec l’effet placebo. Il a été prouvé maintes fois que les patients prenant des médicaments –même sans aucun principe actif– se requinquaient en moyenne plus vite que ceux qui n’en prenaient pas. Dans ce cas, la prédiction «tu vas guérir plus vite grâce à ce médicament», a favorisé l’effet énoncé en accélérant la guérison: c’est donc une prophétie autoréalisatrice. Tout comme l’effet inverse, du nom d’effet nocebo, est une prophétie autodestructrice.

Maîtres de notre destin

Nous n’accordons pas au hasard sa juste place dans notre existence

Notre quotidien est plein de ce genre d’exemples, sans que nous nous en apercevions la plupart du temps. On sait aujourd’hui pertinemment que, lorsqu’un élève se répète qu’il est mauvais en mathématiques, il a plus de chance de le rester, que s’il se laisse convaincre qu’il peut y arriver. De même, les parents, les professeurs ou les camarades de classe peuvent briser la carrière de futurs artistes par exemple, en répétant à l’enfant qui dessine à longueur de temps qu’il va rater sa vie puisqu’il n’écoute pas assez en classe.

Sur ce sujet comme sur les deux précédents, Nicolas Gauvrit montre que nous n’accordons pas au hasard sa juste place dans notre existence et que, si le rôle de celui-ci est accepté à sa juste place, nous sommes probablement plus maîtres de notre destin que ce que nous croyons.

Un dernier conseil pour la route: «Si, à l’avenir, le hasard ne joue pas en votre faveur plusieurs fois d’affilé, utilisez le mot “malchance” si vous voulez, mais à deux conditions: ne vous sentez pas responsable car vous n’êtes pas visé personnellement et n’imaginez pas que cela va continuer…» Accepter qu’il existe une part de hasard dans tout de qui arrive n’est pas quelque chose d’accablant, bien au contraire. Cela nous invite à ne compter que sur nous-même et sur nos atouts –travail, courage et persévérance– pour multiplier nos chances de réussir là où d’autres ont échoué. L’auteur et humoriste américain Mark Twain disait, à la fin du XIXe siècle: «Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors il l’ont fait.» Mettre les probabilités de côté, voilà la recette pour réaliser des miracles.

Retrouvez l’ensemble des articles de notre dossier «Questions de chance».

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