France

Les enfants non baptisés ont-ils droit au paradis?

Temps de lecture : 7 min

Au Moyen Âge, l'Église a tenté d'apaiser les parents d'enfants morts-nés en créant le concept de Limbes. Elle ne se doutait pas qu'elle allait décupler là leur angoisse.

Un ange passe | Petre Birlea via Flickr CC License by
Un ange passe | Petre Birlea via Flickr CC License by

Le 20 avril dernier, cela a fait tout juste neuf ans que l’Église catholique a enfin résolu d'abroger officiellement l'existence des «limbes», ce terrible non-lieu auquel étaient voués les enfants qui mouraient sans être baptisés. Un «anniversaire» qui rappelle la triste histoire de ces parents endeuillés et des divers rites qu'ils ont pu élaborer au cours des siècles pour trouver de l'apaisement.

La mort d'un enfant, a fortiori au moment de la naissance, a longtemps été un événement banal. Ainsi que le rappelle l'historienne Marie-France Morel, du Moyen Âge au XIXe siècle, environ un quart des nourrissons n'atteignaient pas l'âge d'un an, un quart de ceux-là décédant à la naissance soit environ 6% de la mortalité infantile totale. Aujourd'hui en France, les enfants nés sans vie (mortinatalité) représentent environ 1% des naissances, auquel s'ajoutent les 0,2% de décès dans la première semaine de vie (mortalité néonatale précoce). Des chiffres en réalité difficilement comparables avec ceux des siècles passés, compte tenu de la prise en charge de prématurés d'âge gestationnel de plus en plus faible et des relativement nombreuses interruptions médicales de grossesse (qui peuvent représenter jusqu'à 50% de la mortinatalité).

Pour les parents d'autrefois, la perte d'un enfant était un événement à la probabilité élevée et incluse dans un quotidien si rude que beaucoup d'attitudes de distanciation voire d'indifférence ont pu être rapportées par les historiens. Marie-France Morel rapporte comment, avant le XVIIIe siècle et la naissance du «sentiment de l'enfance», certains parents se montraient alors plutôt soulagés d'avoir une bouche de moins à nourrir, quand d'autres faisait mention des décès infantiles dans leur livre de comptes au même titre que le chiffre d'affaire des récoltes. Beaucoup acceptaient quoiqu'il en soit ces décès avec résignation comme l'expression d'une volonté divine.

Cloches joyeuses

Il faut dire que l’Église catholique avait mis beaucoup d'énergie à valoriser ces pertes inévitables: selon la croyance d'alors, l'enfant qui meurt avant 7 ans va directement au paradis, sans condition ni purgatoire puisqu'il n'aura pas atteint l'âge du discernement du bien et du mal. Il devient un ange de Dieu et peut alors intercéder auprès du Créateur pour les siens. Du fait de ce caractère providentiel, l’Église imposait un cérémonial spécifique dédié au décès de l'enfant où le noir laissait place au blanc, le rituel faisait référence à la fête plutôt qu'au chagrin, et les cloches sonnaient joyeusement plutôt que lugubrement. Mais…. encore fallait-il pour cela que l'enfant soit baptisé.

Loin d'apaiser les parents, les Limbes ont matérialisé les pires cauchemars des parents et donné lieu pendant des siècles à bien des pratiques désespérées

Sans ce précieux sésame, point de paradis, les âmes des petits enfants étaient condamnées à errer dans les «Limbes». Ce lieu neutre et intermédiaire, ni paradis ni enfer, fut à l'origine imaginé par les théologiens du XIIe siècle pour tranquilliser les parents. Mort sans baptême et pourtant marqué du péché originel, l'enfant ne pouvait certes pas prétendre au paradis, mais sans avoir seulement vécu, comment pouvait-il mériter les flammes de l'enfer? Loin d'apaiser les parents, les Limbes ont au contraire matérialisé leurs pires cauchemars et donné lieu pendant des siècles à bien des pratiques désespérées pour baptiser à tout prix.

Ce n'est qu'en 2007 que l’Église catholique romaine, retraçant l'histoire théologique du débat autour du devenir des enfants morts sans baptême, a décidé d'en finir définitivement avec ce concept, au motif qu'il était absent des textes sacrés et qu'il présentait une vision trop restrictive du salut chrétien.

Baptiser coûte que coûte

Si l'abrogation des Limbes n'est intervenue que si tardivement, ce n'est pas uniquement en raison de lenteurs administratives. En 1951, le Pape Pie XII intervenait encore dans un congrès de sages-femmes pour les exhorter à tout faire pour baptiser les nouveaux-nés en danger de mort. De même, avant le Concile Vatican II en 1962, les sépultures chrétiennes étaient encore refusées aux enfants morts sans baptême. Il fallu attendre le Missel romain de 1970 pour que soit introduite la possibilité d'une messe de funérailles pour les enfants non baptisés.

C'est ainsi que pendant longtemps, faute de pouvoir garantir la sécurité des nouveaux-nés, les parents cherchaient à garantir leur salut selon un seul mot d'ordre: les baptiser à tout prix.

Deux pratiques religieuses sont restées particulièrement célèbres: l'ondoiement et le répit auxquelles l'historien de la naissance Jacques Gélis a consacré tout un ouvrage en 2006.

Par ondoiement, on désignait une bénédiction rapide «au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit» accompagnée d'aspersion d'eau bénite qui, sans remplacer totalement le baptême, permettait d'accéder au paradis. Ce geste devait être pratiqué lorsque l'état de l'enfant laissait pressentir qu'il ne survivrait pas jusqu'au baptême. En pratique, le désarroi maternel était souvent tel que les ondoiements d'enfants morts-nés ont été nombreux entre le XVe et le XVIIe siècle, souvent avec la complicité des accoucheuses.

En parallèle, s'est aussi développée la pratique de l'ondoiement «in utero», qui présentait l'avantage de ne pas avoir besoin d'apprécier la vitalité de l'enfant. La sage-femme versait alors l'eau bénite sur la tête du fœtus avec la main ou le moyen d'une éponge tout en prononçant la formule du baptême, une technique perfectionnée au XVIIIe et XIXe siècle avec l'invention de seringues à baptiser, introduites par le vagin pour permettre l'ondoiement.

Il s'agissait de mener le petit cadavre à une chapelle où il serait déposé sur un autel pendant que des prières seraient dites en attendant le «répit», le miracle d'une résurrection momentanée

Quant au répit, on y avait recours lorsque l'enfant était décédé sans avoir pu être ondoyé. Il s'agissait de mener le petit cadavre à une chapelle où il serait déposé sur un autel pendant que des prières seraient dites en attendant le «répit». Ce fameux «répit», c'était en réalité un signe de vie, le miracle d'une résurrection momentanée, qui aurait autorisé le baptême. Les parents désespérés guettaient parfois pendant des semaines un changement de coloration de la peau, la présence de sueur, un mouvement de la langue, une effusion de sang, ou encore l'apparence d'un mouvement. Autant d'éléments qui semblaient parfois observés et qui s'expliquent en réalité par les processus physico-chimiques de décomposition des corps. Cette pratique, longtemps encouragée par les membres du bas clergé conscients de la nécessité d'apaiser les parents, a pris de telles proportions qu'elle fut finalement interdite au milieu du XVIIIe siècle par le Pape Benoît XIV.

Les rituels d'aujourd'hui

Aujourd'hui, le décès d'un enfant nous apparaît comme une mort intolérable. Le chagrin des parents qui y sont confrontés dans la période néonatale, s'il est peut-être moins empreint qu'hier du souci de savoir l'âme de son petit entrer au paradis, n'en est pas moins tourmenté des préoccupations de notre temps. Pour beaucoup, l'intégration du traumatisme passe par exemple par l'obtention d'une explication médicale au décès: une pathologie est-elle en cause? Aurait-elle pu être soignée? Aurions-nous pu l'éviter? Ainsi, les cadres de pensée ont certes changé, l'influence de la religion s'est atténuée, celle des sciences a grandi, mais le besoin de «répit» n'est-il pas toujours aussi palpable et aussi impérieux?

Par ailleurs, il serait naïf d'oublier que le baptême d'hier avait aussi, plus qu'une signification religieuse, une importante dimension sociale. Autrefois, ne pas pouvoir avoir de sépulture chrétienne signifiait devoir être enterré au fond du jardin, loin de là où reposent les siens, sans cérémonie, sans recevoir de nom ni de parrain et marraine permettant de s'insérer dans une filiation, c'est-à-dire à la façon dont on aurait enterré un animal ou jeté des ordures.

Ne pas être baptisé n'était pas qu'un renoncement au paradis céleste, c'était également un terrible bannissement terrestre. C'est d'ailleurs le même besoin de reconnaissance et d'inclusion sociale qui a présidé à l'ouverture en France en 2008 de la possibilité pour les parents dont l'enfant est né sans vie de l'inscrire sur le livret de famille, qui ouvre le droit de donner un prénom à l'enfant et d'organiser ses obsèques, deux éléments hautement symboliques de reconnaissance du statut d'être humain, que l'on peut aussi comprendre comme autant de rites d'insertion dans la communauté.

Au Japon, une cérémonie spécifique «à la mémoire des foetus» dérivée des rites bouddhistes et destinée aux femmes qui ont connu une fausse couche ou un décès prénatal s'est développée

Il est à noter que cette reconnaissance sociale est actuellement limitée par les normes de notre temps, qui ne sont plus religieuses mais juridiques: l'enfant né sans vie ne peut en France ni recevoir de nom de famille, ni être inclus dans une filiation, ceci est lié au fait que le statut de «personne» au sens juridique du terme n'est accordé qu'à la condition d'être né «vivant et viable».

Une fleur, une vie

Au-delà du besoin de rationalisation médicale et de reconnaissance communautaire, d'autres pratiques à caractère plus spirituel se développent également pour permettre aux familles d'honorer la mémoire de leur bébé décédé. Au Japon, une cérémonie spécifique «à la mémoire des foetus» dérivée des rites bouddhistes et destinée aux femmes qui ont connu une fausse couche, un avortement ou un décès périnatal s'est par exemple fortement développée depuis les années 1970. De même, en France depuis 2013, l'événement Une fleur, une vie organisé par un collectif d'associations de soutien au deuil périnatal, rassemble chaque année les familles endeuillées autour d'une création publique, collective et artistique à forte charge symbolique.

Car l'abrogation officielle des Limbes n'en a pas effacé pour autant l'angoisse des parents face au vertige du néant. Comment faire reconnaître un enfant qui n'a existé que pour ses parents? Comment faire face au tabou social que le deuil périnatal représente? L'oubli de l'entourage et de la société ne serait-il pas pour les parents endeuillés d'aujourd'hui les nouvelles Limbes qui ne disent pas leur nom?

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