Voilà un géant américain qui fait faillite: General Motors. Sa filiale européenne, Opel, est à vendre. Elle a des usines en Belgique, en Espagne, en Grande-Bretagne mais surtout en Allemagne, où est son siège. Le gouvernement de Berlin s'émeut comme il est bien légitime, 24 000 salariés voient leur emploi menacé dans ce pays et la campagne électorale des législatives bat son plein. Angela Merkel, tout comme son opposant social démocrate, prend l'affaire très à cœur. Berlin donne 1,5 milliard d'euros en prêts d'urgence. Puis à l'été, le gouvernement fait un autre chèque de 4,5 milliards d'euros pour soutenir une reprise par l'équipementier canadien Magna appuyé par un financement russe. Magna, puissante firme de son secteur qui livre depuis longtemps BMW ou Mercedes, a été créé par un homme d'affaires autrichien très ambitieux, Franck Stronach, qui rêve de devenir constructeur à part entière.
Peter Mandelson, ministre britannique du commerce, dira que ce choix de l'offre Magna, parmi d'autres dont Fiat qui ont été écartées, était «la moins profitable», elle demandait «moins de réduction de capacités» et consacrait un «favoritisme» envers des usines «moins compétitives». Le ministre britannique ne nommait pas les-dites usines épargnées mais chacun comprenait: les allemandes. Et le fait est que le plan de Magna supprimait 10 500 emplois au total mais les coupes se décomposaient en: 16% des emplois allemands, 100% des emplois belges, 32% des espagnols et 30% des britanniques. L'Allemagne est favorisée.
Finalement après des manifestations et des négociations, une fois les élections germaniques terminées et Mme Merkel réélue, Magna a accepté de discuter avec les syndicats anglais et 600 jobs ont pu être sauvés sur les 1400 supprimés au départ dans les deux usines de Sa Majesté. Des conversations sont engagées de la même manière en Espagne pour que des productions de l'usine de Zaragoza ne soit pas transférées à Eisenach en Allemagne.
Le premier scandale Opel est évidemment cette surenchère sociale à laquelle se livrent les pays à commencer par l'Allemagne. Plus je paie, plus je sauve «mes emplois», tant pis pour les autres dans l'Union. Ce nationalisme des licenciements, cet égoïsme de la casse sociale sont contraires à tous les principes européens. Ils faussent la concurrence à coup d'aides d'Etats et entraînent une compétition à la subvention, un dumping des aides, qui ruinent l'esprit communautaire.
Or, curieusement Bruxelles n'a rien dit. GM a été nationalisé par Barack Obama, sans doute considère-t-on à la Commission que dès lors tous les principes sont à terre et que «tout est possible». Le gouvernement allemand veut sauver Opel, c'est son problème. Malheureusement ce silence bruxellois a laissé le scandale nationaliste naître et croître.
Le second scandale est dans le lien russe particulièrement obscur. Magna est associé avec la Sherbank, Caisse d'épargne en Russie dont il obtient des financements en échange du sauvetage de Gaz, deuxième constructeur russe en déconfiture. Les ventes de voitures en Russie ont été divisées par deux avec la crise et tous les constructeurs sont à l'agonie. Le gouvernement veut les sauver un à un. Vladimir Poutine a menacé Renault de contre-coups s'il ne venait pas au secours de Avtovaz dont le groupe français a pris malencontreusement 25% du capital. Les détails du deal passé par Magna avec le gouvernement Poutine et, avec l'assentiment de celui de Berlin, sont totalement inconnus. Quels seront les transferts de technologies. Opel qui construit des voitures de qualité depuis des décennies va-t-il devenir le cheval de Troie de Gaz qui avec soudain une gamme et une technologie rajeunies va devenir un nouveau concurrent pour les constructeurs européens?
Opel, c'est le scandale d'une Allemagne égoïste qui pour des raisons électoralistes tourne le dos à l'Union européenne et fricote curieusement avec l'ours russe. Il serait temps que Bruxelles et les autres capitales exigent de la clarté sur toute cette affaire.
Eric Le Boucher
Image de Une: Modèles réduits de voitures au siège d'Opel à Ruesselsheim en Allemagne. REUTERS/Johannes Eisele