Boire & manger / Culture

Comment les amateurs de black metal sont devenus vegan

Temps de lecture : 6 min

Tofu’s not dead.

Illustration: Pratap Chalke pour Stylist
Illustration: Pratap Chalke pour Stylist

Vegan food, musique, blasphème. Voici la sainte trinité autour de laquelle Brian Manowitz, a.k.a. Vegan Black Metal Chef, a construit son florissant business. Plus gourmet que Maïté, plus maquillé que Pamela Anderson, aussi vénère que Sepultura, ce chef américain, leader de deux groupes de metal en Floride, cartonne sur YouTube depuis 2011 avec une web série culinaire, basée sur des recettes vegan cuisinées (et chantées) sur fond de riffs de guitare méphistophéliques. Premier épisode: près de 3 millions de vues.


L'engouement l’a rapidement poussé à publier en décembre 2015 son Grimoire seitanique, recueil de recettes apocalyptiques accueilli comme une Bible par la scène veggie et pour la promotion duquel il sillonne actuellement l’Europe. «Seitanique», parce que le seitan est un aliment à base de protéine de blé. «Ça permet de faire des simili-carnés super-bons et, précise-t-il, perspicace, au magazine Wired, ça forme aussi un très bon jeu de mots avec “satanique”.» Improbable, ce rapprochement entre les flammes de l’enfer et le tofu? Pas tant que ça. Car si la popularité de Brian Manowitz s’impose aujourd’hui comme un joli coup marketing pour une scène «green» en quête de lifting, les liens entre végétarisme et black metal ont une histoire qui remonte aux origines du punk. Enquête.

Rage against the bavette

Brian Manowitz n’est pas le seul à réconcilier mosh pit et prosélytisme vegan. En parallèle des douces mélopées de Paul McCartney (végétarien), de l’electro dream de Moby (vegan) ou des déclarations de Jeanne Mas («le végétarisme m’a sauvée», déclarait-elle à Femme Actuelle au sujet de son livre, le très dada Ma vie est une pomme), une frange plus énervée de la scène musicale gonfle les rangs du «manger pur». On compte ainsi un vegan et deux végétariens dans le groupe Rage Against the Machine, deux vegans dans le groupe de death metal Carcass. On sait que Derrick Green de Sepultura a lui aussi rejoint la cause, que la chanson «Food Chains» de Napalm Death dénonce la maltraitance animale, comme le titre «Ready to Fall» de Rise Against, déclaré «groupe le plus respectueux des animaux» par l’association de défense PETA en 2009.

Les vegans et le metal tentent chacun à leur manière d’éveiller les consciences

Vegan Black Metal Chef


Explication de Vegan Black Metal Chef: «Les vegans et le metal tentent chacun à leur manière d’éveiller les consciences.» Un rapprochement inattendu né dans la contre-culture des années 1980 à Washington, en pleine hégémonie des Ramones, des Clash et des Sex Pistols. En 1981, le groupe local Minor Threat lance, avec «Straight Edge» (littéralement, le «bord droit»), un code de conduite inédit: pas de cigarettes, pas d’alcool, pas de drogues. Cette chanson de quarante-cinq secondes convainc quelques dissidents hardcore de se rebeller contre la culture des stupéfiants qui ruinent alors la scène punk.


La «pureté» devient le mantra d’un nombre croissant de kids anticapitalistes. Comme ils sont mineurs, les barmen leur inscrivent un «X» sur leurs mains pour les distinguer et ne pas leur servir d’alcool. Un signe qu’ils récupèrent pour en faire l’étendard de la scène dite «hardcore straight edge» («X», ou la variante «sXe»). D’un choix d’hygiène personnel, certains «edgers» mutent en militants, reprennent à leur compte les mots de Malcolm X («Ils ont envoyé des drogues pour nous rendre pacifistes! À chaque fois que vous ouvrez une bouteille d’alcool, c’est un piège du gouvernement que vous ouvrez!») et se rapprochent d’organisations type Animal Rights ou plus tard, Sea Shepherd.

Les mouvements antispécistes ont en commun avec les courants punk le refus de toute forme d’asservissement

«La critique de la consommation de viande s’inscrit dans le registre du refus de la dépendance et de la promiscuité de la chair (le sexe et la viande animale), explique le sociologue Sébastien Mouret, auteur d’Élever et tuer les animaux (Puf). Et les mouvements antispécistes (pour qui l’espèce humaine n’est pas supérieure aux autres, ndlr) ont en commun avec les courants punk le refus de toute forme d’asservissement.»

Umeå, bastion vegan

«Meat eating flesh eating think about it so callous to this crime we commit»... La première injonction à devenir vegan est chantée en 1988 avec le titre «No More» par le groupe Youth of Today. Son clip sanguinolent vise explicitement l’abattage industriel et la culture hamburger, symbole de l’oppression capitaliste.


Viennent ensuite les descendants plus ou moins inspirés, parmi lesquels notre chouchou Crucial Youth, un groupe straight edge-Lol qui réconcilie cris gutturaux et éthique boy-scout dans des titres comme «Positive Dental Outlook» (ou comment expliquer avec fermeté la manière de soigner votre hygiène dentaire et de bien jeter vos déchets). Bientôt, la presse internationale se fait l’écho de ces kids qui vocifèrent leur amour de la vie green et des dauphins. Et attire l’attention d’une petite contrée du nord de la Suède, terrain des peuplades Sami, des étudiants anar’ et de la cause veggie.


Umeå, 120000 habitants, est devenue dès les années 1990 le bastion européen des vegan straight edge. C’est dans cette ville ouvrière de tradition communiste, essentiellement universitaire, que l’on trouve le taux le plus élevé par habitants de groupes «hardcore»… et de vegans (une des cantines de la ville en aurait compté près de 40%). «S’impliquer dans le straight edge constituait la vraie subversion, confiait Dennis Lyxzén, du groupe Refused, au magazine Noisey. D’un noyau d’une dizaine de punks, dont trois hardcoreux, on est passé à une centaine. Il n’y avait plus un seul groupe de hardcore mais huit! Et le mouvement n’a cessé de s’amplifier.»

Au point d’avoir généré une véritable culture vegan à Umeå (3,3% des étudiants de l’université locale sont vegan –soit 3 à 4 fois plus que dans les autres villes de Suède) et d’avoir donné à la municipalité, qui n’en finit pas de capitaliser sur le straight edge, son meilleur argument touristique. Dernière preuve en date: l’orchestre symphonique de la ville a récemment repris l’album culte du groupe Refused.

En quête de pureté

Si la scène «sXe» a permis d’améliorer l’image d’un microvillage suédois, elle a aussi rendu plus séduisante celle des veggies dans leur ensemble. En effet, le temps où le mot «végétarien» évoquait essentiellement l’aisselle suintante et mal épilée d’une étudiante en sociologie des années 1970 semble révolu. Lancement de la glace 100% vegan par l’enseigne Ben & Jerry’s, publication de livres de recettes vegan qui jouent à fond l’icono junk food, collaborations chic entre people et marques éco-conscientes (Philippe Starck et Ipanema pour des tongs vegan, Pharrell Williams et G-Star Raw pour des jeans éthiques, Pamela Anderson et la créatrice française Amélie Pichard pour une ligne de chaussures sans cuir shootée par David LaChapelle), multiplication des publicités bourrines de Peta avec Zahia nue, Sia, et des messages type «on baise mieux quand on ne mange pas de viande»… La consommation green ne cesse d’élargir ses cibles marketing.

Certains membres de l’Église anglicane tentent aujourd’hui de persuader que Jésus était vegan

«Toutes ces initiatives convergent vers un même but: en finir avec cette image de frigidité, d’abstinence, de bouffeurs de graines, de pisse-froid, directement héritée de l’imaginaire religieux du carême», explique Renan Larue, auteur du Végétarisme et ses ennemis (Puf, 2012).

Pas de prosecco, pas de clopes, pas de sashimi saumon, parfois même pas de café ni non plus de relations sexuelles «désinvesties» du sentiment amoureux. Le végétalisme serait-il un substitut religieux, appâtant une jeunesse en quête d’ordre? En tout cas, le refus de la viande a un lourd passif du côté du christianisme. «La viande attirerait les passions: c’est luxueux, c’est savoureux… On l’a donc bannie pendant le carême, comme les relations sexuelles», reprend Renan Larue.

Rien d’étonnant, donc, à ce que les plus extrêmes des straight edge américains se soient rapprochés, notamment à Salt Lake City, de certains Mormons… Au passage, sachez que les végétaliens prolifèrent dans les pays anglo-saxons et scandinaves, de tradition protestante, plutôt que dans la France d’héritage catholique, marquée par le principe de la «communion». «L’image du végétarisme ascétique, lié à la mortification de la chair et hérité du christianisme est encore puissante, développe Renan Larue. Certains membres de l’Église anglicane tentent aujourd’hui de persuader que Jésus était vegan [voir le succès de ce hashtag sur les réseaux sociaux, ndlr], à l’instar d’Andrew Linzey qui tient une chaire de théologie animale très influente.» À savoir aussi que l’Église, en France, n’est pas en reste, puisqu’elle possède un émissaire très médiatique en la personne de Robert Culat, improbable prêtre engagé dans la promotion du végétarisme (Méditations bibliques sur les animaux, éd. L’Harmattan) et fervent défenseur du heavy metal. À quand la collaboration avec Vegan Black Metal Chef?

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