Life / Culture

Hadopi, le streaming lui dit merci

Temps de lecture : 4 min

Hadopi 2 a franchi presque sans encombre l'étape du Conseil Constitutionnel. Une loi d'autant plus controversée que la diffusion des oeuvres piratées passe de plus en plus par d'autres techniques que celles visées par la loi.

CC FLickr Kema Keur
CC FLickr Kema Keur

Le Conseil Constitutionnel vient de rendre son avis sur la loi relative à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet, plus simplement appelée Hadopi 2. Et les sages ont validé quasiment l'intégralité du texte. La loi devrait s'appliquer dès janvier 2010. Pour autant, elle ne fait toujours pas l'unanimité et parait déjà obsolète face à de nouvelles pratiques telles que le streaming. Nous republions un article mis en ligne la semaine dernière sur cet usage en plein boom.

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Le film que vous voulez voir n'est plus en salle, mais n'est pas encore sorti en DVD? Tapez son titre dans Google, suivi de "streaming", vous devriez rapidement trouver... Depuis plusieurs mois, les sites dédiés à la diffusion de films et de séries en streaming se multiplient. Pour une raison simple: cette diffusion en continu, sans téléchargement, ne permet pas de remonter jusqu'à l'utilisateur. Le streaming, et le téléchargement direct, remplacent donc Emule et bittorent dans le cœur des pirates. Le peer to peer, la technique visée par la Haute autorité contre le piratage est, lui, en plein déclin. Dans un rapport analysant les données de 110 fournisseurs d'accès à Internet, Arbor Networks a ainsi calculé que le peer-to-peer ne représentait plus aujourd'hui que 18 % du trafic mondial. En deux ans, le chiffre a diminué de moitié: il correspondait à 40% du trafic mondial en 2007.

En France si le streaming et le téléchargement direct sont en pleine croissance, c'est un peu grâce à Hadopi. «Les pirates connaissent la loi, explique Stéphane Michenaud, directeur de la Copeeright agency, une entreprise qui traque les œuvres piratées pour le compte de majors et d'institutions; ils savent que maintenant sur le peer to peer, ils vont être repérés. Depuis quelques mois c'est une vraie migration». Cette migration est plus forte en France: en Italie et en Espagne où son entreprise travaille aussi, les pirates en sont encore au peer to peer. «Avec Hadopi, l'Etat français dépense de l'argent pour que les pirates changent de technique», assure-t-il. Selon les chiffres de son entreprise, les sites dédié au streaming et au téléchargement direct sont en effet en pleine croissance: à peine une centaine en 2007, ils étaient estimés à 840 en juillet 2009.

Il faut dire que créer un site proposant illégalement des films et des séries en streaming n'est pas très compliqué. «Il faut juste des liens, trouvés sur des sites concurrents ou simplement sur Google, et les afficher sur une page», explique Nicolas M. Ce vendeur de pièces détachées automobile a ouvert son site de streaming en novembre 2008. «En plus ça ne coute pas grand chose en bande passante, puisque toutes les vidéos sont "embedded": elles utilisent la bande passante de l'hébergeur». Pour le jeune homme de 28 ans, les bénéfices ont rapidement été au rendez-vous: «après quelques mois, j'avais 70.000 visiteurs quotidiens, et je faisais un chiffre d'affaires de 4.000 euros par mois». Provenant des publicités qui s'affichent sur les pages. Mais si l'Etat n'a pas encore trouvé la solution pour sanctionner les utilisateurs, les créateurs de ces sites ne sont, eux, pas à l'abri. Le webmaster a ainsi vu la police arriver chez lui en août. «Ils ont saisi presque tout mon matériel, et j'ai passé plusieurs heures en garde à vue. Mais ils ont laissé mon site en ligne, pour recueillir les adresses IP des internautes». Aujourd'hui, il risque trois ans de prison et 300.000 euros d'amende.

Depuis la fermeture de chacal-stream en janvier 2008, et la garde à vue de son créateur, le petit monde du streaming connaît les risques du métier. Des sites très visités, comme divx-en-ligne.com et Raven.com ont fermé après cet épisode, sans attendre l'arrivée de la police. Résultat, la plupart des sites de streaming sont donc aujourd'hui hébergés à l'étranger. Selon Konrad Chmielewski, créateur de stream-actu.com, «il y a des paradis du streaming, comme il y a des paradis fiscaux. Le Maroc est ainsi le principal fournisseur de films en streaming pour la France. Il y a toute une génération de jeunes Marocains de 15-17 ans qui créent un ou plusieurs sites de streaming. Leur pays bénéficie d'une bonne couverture ADSL, et sans trop d'efforts, ça peut donc leur rapporter 1.000 ou 2.000 euros par mois». Mais à côté de ces artisans du streaming, certains sites basés au Maroc ont réussi à devenir de véritables entreprises, avec des employés payés au noir. Allostreaming, le plus gros site francophone a même ouvert des succursales, comme streamov.com. «Leur revenu total doit facilement atteindre un chiffre d'affaires quotidien de 3 000 euros», affirme Chmielewski .

Même si la Haute autorité contre le piratage décidait de s'attaquer au streaming, elle aurait donc bien du mal à être efficace. «Quand les serveurs ne sont pas en France, il n'y pratiquement aucune solution pour les ayant droits», explique Stéphane Michenaud; les procédures prennent plusieurs années, sans aucune garantie de résultat. Et il est illégal de mettre un spyware (un logiciel qui recueille clandestinement des informations) sur un serveur à l'étranger». Seule solution envisageable pour le DG de Copeeright agency: couper l'accès à ces sites en France. «On y arrive bien pour la pédopornographie, et pour les sites négationnistes». Bloquer l'accès à des sites, «c'est une solution utilisée en Chine», réagit Konrad Chmielewski, «en plus c'est inefficace; la procédure, est très encadrée et prend beaucoup de temps, alors que chaque jour trois ou quatre sites de streaming apparaissent. On se lancerait dans une chasse sans fin».

Si la lutte contre le streaming veut être efficace, elle doit donc passer par des accords internationaux. Mais les négociations entre Etats, et les modalités d'une éventuelle mise en application prendraient plusieurs années. En attendant, avec des sites au Maroc et en Ukraine, et des vidéos hébergées à Hong Kong (megavideo et megaupload) ou en Russie (rutube), les Français peuvent profiter du streaming illégal des films et des séries. Et sans risquer de recevoir un mail d'Hadopi.

Image de Une : CC FLickr Kema Keur

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