Faire des réformettes en France est déjà un calvaire, qu'en sera-t-il lorsqu'il faudra engager après 2017 de vraies réformes? Soulever un tant soit peu la pierre des licenciements provoque de tels grouillements que l'on se demande qui aura la volonté de vraiment changer le Code du travail comme il est indispensable de le faire. Les déjà nombreux candidats au poste suprême de la République sont-ils des aveugles, des naïfs ou des présomptueux pour se lancer à l'assaut de montagnes si considérables? Comment feront-ils pour nous convaincre qu'ils auront la force et la méthode pour passer les tempêtes?
Pour les prévenir de ce qui les attend, il faut leur conseiller de lire les documents «2017-2027 voir plus loin, voir plus clair» préparés par France Stratégie. Cet organisme qui fait renaître le Plan d'après-guerre a pour mission d'«éclairer l'avenir», ce qu'il fait remarquablement depuis sa création. Malheureusement, trop de ses publications se perdent dans le vide médiatico-politique, espérons qu'il en ira différemment cette fois-ci. France Stratégie nous éclaire sur «les choix essentiels» qui devront être tranchés en 2017. Ce qui frappe et qui va compliquer plus encore la tâche du futur président, ce sont la nouveauté et la radicalité.
Vivre sans croissance
La nouveauté est logique. Le monde change très vite, les enjeux suivent. Mais la vitesse des changements est très nouvelle. Non pas les changements qu'on peut dire classiques comme une crise financière –celle de 2008 a complètement bousculé le quinquennat de Nicolas Sarkozy– ou comme une guerre –celle contre le terrorisme a polarisé celui de François Hollande. Non, les changements en question sont beaucoup plus profonds, ils concernent les soubassements mêmes des démocraties et des économies, l'infrastructure, dirait Karl Marx.
Qu'on en juge en listant les thèmes relevés par France Stratégie. La croissance mondiale, en premier. Le changement est son affaiblissement sans explication. Ou plutôt avec pléthore d'explications contradictoires des économistes: manque d'innovation véritable, faiblesse de la productivité, déficit de la demande à l'échelle planétaire, inégalités, excès de monnaie facile, absence de réformes structurelles. Tout cela est sans doute juste en partie. Mais, en conséquence, le président de 2017 ne sait absolument pas qu'elle sera la hauteur de la croissance française durant son quinquennat. C'est très nouveau et très difficile de préparer un programme budgété à partir de là.
L'ubérisation et après?
Les nouvelles formes du travail, deuxième thème. Qui aurait écrit en 2012 que «l'intermittence des parcours» refléterait à la fois la réalité des emplois et la recherche d'indépendance des nouvelles générations? Rencontre surprise entre les contraintes des patrons et le désir des jeunes Français. Et comment réécrire le Code du travail en en tenant compte? Trois options sont possibles, note France Stratégie. L'adaptation au fil de l'eau des statuts, c'est en gros ce que proposent tous les politiques aujourd'hui. Option deux: la définition d'un nouveau statut juridique de travailleur «pigiste régulier», comme on dit dans la presse. Un indépendant dépendant d'un ou deux gros employeurs. Enfin, et c'est ici qu'apparaît la radicalité, remplacer le statut de salarié par celui plus large d'«actif».
Il faut faire des réformes lourdes, mais ne pas oublier la compétitivité, le déficit et la dette, le climat…
On trouvera la même nouveauté dans l'ubérisation accélérée de nombreux métiers, objet désormais de l'actualité quotidienne. On trouvera la même radicalité dans l'éducation, où «nos défaillances ont un coût considérable». Le futur président doit non plus seulement promettre plus de profs, ou moins, plus d'autonomie des établissements (comme Alain Juppé), mais complètement «redéfinir les finalités de l'école». Cela s'annonce tout simplement explosif avec les syndicats ultra-conservateurs de l'Éducation nationale.
Rassembler, oser, protéger
Jacques Attali, qui ne se décourage jamais de demander à la classe politique d'être enfin sérieuse, de cesser la vaine querelle de personnes et de nous parler enfin du contenu des réformes, en propose à nouveau dans son dernier livre (1). Il rappelle que l'avenir de la France dépend du «niveau de savoir de ses citoyens» et il s'alarme de voir notre école devenue «sous-performante et inégalitaire». Lui aussi est radical, il met le système cul par-dessus tête puisqu'il met la priorité absolue non plus sur le supérieur, mais sur la maternelle. Plus globalement, Jacques Attali a trois mots d'ordre: «rassembler», ce qui en soi ne sera pas simple, mais aussi «oser» et «protéger», deux axes contradictoires en apparence, mais qui tracent une ligne «française»: à la fois pro-business et pro-redistribution, un franc libéralisme social.
La difficulté pour le président de 2017 sera que ces nouveaux enjeux radicaux ne se substituent pas aux précédents mais s'y ajoutent. Il faut faire des réformes lourdes, mais ne pas oublier, au contraire, la compétitivité, le déficit et la dette, le climat, etc. Aucune des réformettes qui ont été faites sur ces sujets n'est suffisante. Au passage, on relève dans les documents de France Stratégie que la compétitivité prix (le coût du travail) reste «à confirmer», mais que le problème devient la compétitivité hors coût, c'est-à-dire la gamme moyenne des produits, le retard criant de l'utilisation des technologies numériques, le déficit de compétence (encore l'Éducation nationale !) et… «la faiblesse du management».
Pour l'instant, on ne connaît le programme que d'un seul candidat, François Fillon. Il répond à l'impératif d'être nouveau et radical, il se définit comme thatchérien. On attend les autres. Les mièvreries sont interdites, lisez France Stratégie et Attali, le courage des idées est impératif.
1 — «100 jours pour que la France réussisse», sous la direction de Jacques Attali, Fayard
Cet article a été initialement publié dans Les Échos