Boire & manger

Yves Camdeborde, le MasterChef de la bistronomie qui a séduit Air France

Temps de lecture : 10 min

Le Béarnais a été choisi pour réaliser les menus de la Business Class de la compagnie pendant six mois.

Yves Camdeborde
Yves Camdeborde

Voilà la bonne nouvelle du printemps 2016. Yves Camdeborde est engagé par Air France comme chef invité à composer un ensemble de créations inédites destinées aux voyageurs de la Business Class pendant six mois, les voici:

• Moelleux de cabillaud et saumon fumé, pomme et céleri, crumble parmesan

• Papillote de saumon et champignons à l’estragon, bouillon clair à la citronnelle

• Volaille travaillée comme une poule au pot, sauce suprême et riz étuvé

• Fondant de bœuf au vinaigre de Banyuls au four, légumes et marrons

Ainsi la cuisine de bistrot contemporaine supplante-t-elle sur les jets de la compagnie nationale la gastronomie pratiquée par les plus grands chefs français, Alain Ducasse, Joël Robuchon et Guy Martin, habitués des menus de haut vol. Oui, c’est un peu le triomphe de l’enfant du Béarn, l’artiste du cochon de lait braisé aux lentilles et ragoût. La récompense d'un parcours sans faille pour ce chef de cœur et de talent.

Le rêve de conquérir Paris

En 1992, le Béarnais, monté à Paris dix ans plus tôt, ouvre la Régalade, près de la Porte d’Orléans, l’archétype du bistrot de copains assiégé par le Tout Paris des gourmets. C’est le début de la bistronomie parisienne: copieuses nourritures du terroir aquitain, coude à coude fraternel, la queue aux deux services, des mangeurs affamés, une atmosphère bon enfant pour des additions douces –le patron aime ses clients.

Que mange-t-on chez ce fils de charcutier? Un joyeux drille présent aux deux repas dans la cuisine minuscule où il mitonne le pâté béarnais, les chipirons à l’encre, la tarte de boudin noir, le pigeon aux choux et le riz au lait, un dessert emblématique de la Régalade qui deviendra un «must»: personne à Paris n’a jamais savouré pareille gâterie d’enfance.

Pour ce cuisinier à l’accent chantant, piqué par le virus de la bonne chère, chaleureux en amitié, c’est le rêve de sa vie: conquérir Paris en régalant les gens, les choyer et les rendre heureux. Yves Camdeborde en dépit de son savoir puisé dans la mémoire béarnaise sera le contraire d’un chef patron prétentieux, arrogant, à l’égo surdimensionné.

Le Michelin va le bouder des années durant, il s’en moque. Camdeborde, l’as du foie de canard mi-cuit, est le premier grand cuisiner à remplir son estaminet bondé, sans l’appui du guide rouge. Monter très haut mais tout seul, dirait Cyrano de Bergerac.

L'école du Ritz

L’étonnant dans l’ascension vertueuse de ce cuistot vedette, comme le fut Michel Guérard dans son bistrot paumé d’Asnières, c’est le palmarès culinaire d’exception du béarnais au franc parler, un fort en gueule acharné à concocter des préparations hautes en goûts: le lard, le pied de porc pané, le poulpe rôti à l’encre, les tomates farcies…

Le restaurant Le Comptoir

Ses premiers tabliers blancs, il les a usé à la Tour d’Argent puis au Ritz de Paris auprès du maestro auvergnat Guy Legay, deux étoiles à l’Espadon, aux côtés du chef MOF Jean-François Girardin, l’as de la volaille farcie, du bar en croûte, du bœuf Rossini. Pas de meilleur apprentissage que la pratique de ces plats d’apparat dans la postérité d’Auguste Escoffier.

«Au Ritz, une seule exigence: offrir le meilleur du meilleur aux convives gâtés par la vie, se souvient le chef du restaurant le Comptoir, son fief actuel, en plein cœur de Saint-Germain-des-Prés, au carrefour de l’Odéon. On devait se surpasser, éblouir notre chef et viser la perfection, c’est pour ces raisons que l’on souhaitait rester dans la brigade de super toqués. Il s’agissait d’apprendre toujours plus.»

De la place Vendôme, le Béarnais file place de la Concorde au Crilllon, le palace des rois et des chefs d’État, où Christian Constant, l’enfant de Montauban, prince du cassoulet aux haricots tarbais, dirige la dream team des ténors des casseroles dont le futur trois étoiles du Bristol Éric Fréchon et Manuel Martinez qui sera le chef triple étoilé de la Tour d’Argent, une dizaine de canetons à la carte.

Préparations de luxe

Disons-le, ces deux maisons de bouche au cœur de grands hôtels mythiques de Paris mettent en œuvre des produits de haute noblesse: les truffes noires et blanches en saison (ou pas), le caviar sauvage de l’époque, le homard breton, la langouste des mers froides, le veau de lait, l’agneau des Pyrénées et les poissons de ligne dont les gros turbots de sept kilos, les plus iodés…

Là, dans les sous-sols du Crillon, Camdeborde se frotte aux préparations de luxe gastronomique: le foie chaud, chausson aux truffes, les crustacés au caviar, la divine sauce Albufera au foie gras, la sauce mousseline si rare en 2016, la hollandaise de concours… C’est comme ça que Camdeborde a accompli des pas de géant et côtoyé l’alpha et l’oméga de la formation culinaire, bien mieux que les ritournelles fossilisées des écoles hôtelières d’où sortent les inspecteurs du Michelin.

Terrine au restaurant le Comptoir

Tradition locavore

Après ses humanités savantes auprès de deux stars des poêles et du chinois, le Béarnais ouvre son modeste bistrot parisien ancré dans la tradition locavore. Pas question pour lui de se couler dans le moule formaté Michelin des brigades organisées, hiérarchisées: le petit doigt sur la couture du pantalon et le «oui chef» réglementaires, de cela il ne veut pas.

En 1992, il va rendre hommage à ses pères, aux charcutiers, bouchers, jardiniers de son enfance qu’il entend célébrer à la Régalade, à quelques foulées du périphérique sud. Il veut se souvenir de ses racines. Au menu, des bisques à l’ail, superbes bouillons escortés de foie gras de canard, de cochonailles au gras noble, de jambon Ibaïona, jamais goûté à Paris.

À la Régalade, repaire de fins becs, il cuisine pour ses clients des plats populaires venus de la mémoire des gâte-sauces d’Aquitaine. Qui n’a jamais savouré un pied de cochon farci dans les tables huppées de la capitale? Ses pairs en toque ne sont guère ravis de voir le Béarnais à la faconde jaillissante abandonner le bar de ligne, le beau turbot, la selle d’agneau aux truffes, les langoustines si grosses que l’on dirait des langoustes pour les moules à la crème, l’aile de raie aux câpres et la mousse au chocolat –et tout cela offert aux gourmets, aux membres du Club des Cent avides de savourer les assiettes rustiques de Camdeborde, un cuisinier du pays d’Oc, un ovni dans la galaxie des chefs en vue. Jamais le Michelin ne s’intéressera à la percée fulgurante du patron de la Régalade.

Trois à quatre services par jour, 150 couverts envoyés dans une salle aux dimensions réduites, genre mouchoir de poche, le Béarnais recrée la fraternité à table, le partage des plats, le dialogue entre les mangeurs: c’est une sorte de fête éphémère, le bonheur en supplément des additions si légères, 25 à 30 euros au menu.

«Je ne vivais plus. J’ai dit aux miens, ça suffit»

Devenu une vedette des fourneaux avant de devenir juré dans l’émission «Master Chef» en 2010, Camdeborde restera douze ans à la Régalade. Il en sort épuisé, vidé, lessivé. En une semaine, il vend le fameux bistrot à un ami de la profession, Bruno Doucet, une sorte d’épigone du Béarnais qui installera deux autres succursales à Paris. Désormais, la bistronomie, épaulée par Alain Ducasse chez Allard et chez Benoît, étoilé au Michelin, va s’implanter dans les beaux quartiers.

Salle du restaurant le Comptoir

Éric Fréchon, chef trois étoiles du Bristol, fait un tabac au Lazare, dans une aile aménagée de la Gare Saint-Lazare, 300 couverts par jour, et une saucisse purée d’anthologie, la meilleure de Paris écrit le Figaroscope.

«On frôlait la folie, la pression dans la cuisine, les plats qui sortent avec peine, les clients impatients de se régaler, tout cela allait contre mon envie de travailler dans la douceur, j’étais lassé de ce rythme effréné et je n’avais plus de passion à touiller la bisque d’écrevisses, confesse le créateur de la Régalade. Je ne vivais plus. J’ai dit aux miens, ça suffit, et j’ai pris une année sabbatique, repos et lecture. J’ai aidé des copains cuisiniers, fait des extras, lu des livres de cuisine et commencé une collection d’ouvrages, trois mille volumes dans ma bibliothèque, d’Ali Bab à Jean-François Revel en passant par Escoffier. Tout cela est mon autre nourriture.»

Place à l'Odéon

En flânant à Saint-Germain-des-Prés, il apprend qu’un couple de restaurateurs âgé est vendeur de deux bistrots à tartines au carrefour de l’Odéon: c’est pour lui. Il s’en rend acquéreur, et la seconde aventure du Béarnais, piéton de Paris, débute à deux pas du Théâtre de l’Odéon, dans cette enclave ouverte sur la rue: ce sera le Comptoir, un bistrot-brasserie qui va faire un tabac. Inespéré.

Des plats de ménage: les radis beurre à notre façon (7 euros), l’œuf mayo (5 euros), les rillettes de poulet au céleri rémoulade (14 euros), des entrées canailles, la purée de pommes de terre et foie gras (16 euros), la terrine de poularde et foie gras (10 euros), le pot de pâté de campagne (10 euros), la salade gourmande de haricots verts et foie gras (12 euros), et la belle salade de homard bleu aux haricots verts et avocat (42 euros). De la simplicité angélique.

Daube de joue de boeuf aux coquillettes au restaurant le Comptoir

Des potages dont l’exquise bisque d’étrilles chaudes à l’ail (12 euros), des conserves, la boîte de pâté Alain Grezes (10 euros), les sardines au beurre de Bordier (12 euros), incroyables à Paris, et 18 plats de résistance dont la brandade de morue gratinée (16 euros), le thon rouge rôti à la plancha (18 euros), la daube de joue de bœuf aux coquillettes (18 euros), le lard béarnais rôti, purée aux olives (15 euros), la souris d’agneau braisée, semoule et fruits secs (20 euros) et la poularde au pot Henri IV farcie aux abats et herbes, une rareté (27 euros).

Pas moins de 19 fromages et 14 desserts: la crème brûlée au café (7 euros), le vacherin façon pêche melba (9 euros) et la crème au chocolat noir Guanaja (9 euros). 600 vins à la carte: le Saumur Champigny 2014 (5,50 euros le verre), le Château Le Puy, Côtes de Bordeaux remarquable (8 euros), le Jurançon 2013 Clos Uroulat, un vin star (63 euros la bouteille) jusqu’à l’Echézaux 2010, grand cru de Philippe Pascalet (450 euros), une folie douce pour travaillés de la langue qui ont pu avoir une table!

La foule est dans la rue

Exemplaire, cette carte gourmande riche de 90 plats raconte par le biais de la fourchette l’Histoire de la cuisine mitonnée dans la France profonde par des cuisiniers de la paysannerie, de la tradition bistrotière et de la belle restauration de classe façon Escoffier, Point, Ducasse et Robuchon.

La réservation est recommandée pour ce repas de classe, mais au déjeuner on fait la queue

On peut se restaurer aussi à l’Avant-Comptoir, sur le pouce, voué au registre des poissons et coquillages, la longe de thon fumé, des tapas –trois pièces, deux verres de vin, un café pour 20 euros. Qui dit mieux?

Le succès phénoménal de ces deux adresses de l’Odéon est complété par le dîner du soir, 40 couverts seulement, 60 euros au menu très chic, cinq services: asperges au lard, turbot de Bretagne béarnaise, pigeon aux choux, mousse au chocolat et aux poires. La réservation est recommandée pour ce repas de classe, mais au déjeuner on fait la queue dès midi jusqu’à quinze heures et plus: la foule est dans la rue!

Transmettre son savoir

Une seule exigence absolue, l’excellence donnée par la qualité des produits –Camdeborde connaît tous ses fournisseurs– et pour l’abondance des bouteilles, il a ses chouchous comme Nicolas Reau, magnifique producteur d’Anjou rouge et blanc, 500 bouteilles vendues par an.

Le «hic» pour nombre de mangeurs de France et d’ailleurs, c’est qu’un déjeuner au Comptoir exigence patience et longueur de temps. Le chef patron a été vilipendé sur les réseaux sociaux et par des chroniqueurs de tables étrangers: quoi, l’absence de réservations à midi nous condamne à ne jamais s’attabler dans ce bistrot célébrissime devenu une adresse mythique!

Hôtel Relais Saint-Germain

Camdeborde sait tout cela: les prix sont plus que motivants, et le jovial Yves n’est pas peu fier d’être le restaurateur le plus désiré de Paris –il travaille vingt heures par jour.

«C’est moi qui suis chanceux d’avoir ce vaste potentiel de clients, mon devoir est de les rendre heureux en transmettant mon modeste savoir, mes recettes, mes tours de main à mes cuisiniers qui connaissent mes secrets: les tripes de poissons, le chaud-froid de moules et la glace au chocolat et piment d’Espelette.»

Un peu plus près des étoiles

Le hasard fait que le petit hôtel à côté du Comptoir a été mis en vente. Il l’achète et y installe 22 chambres, en plein carrefour de l’Odéon, le secteur le plus coté de l’arrondissement pour la cohorte des écrivains, éditeurs, professeurs de Faculté…

«Je n’ai jamais eu d’étoiles au Michelin, alors je les ai achetées grâce à cet hôtel, le Relais Saint-Germain, qui en a quatre! Mais je n’ai jamais eu de vindicte contre le guide rouge. On peut très bien vivre et progresser sans lui, comme le dit Alain Ducasse», note le restaurateur hôtelier pince-sans-rire.

Le Béarnais emploie 70 personnes et 24 cuisiniers pilotés par son neveu, Julien Camdeborde. Sa réussite fait des envieux, son nom est connu à l’international, il incarne le bistrotier de légende, celui qui fait languir les clients comme Joël Robuchon à sa grande époque des années 1990 –400 réservations par jour! Et Camdeborde, toujours aussi près de ses hôtes, a cru bon d’annoncer à ses proches qu’il s’apprêtait à continuer sa mission jusqu’à 80 ans et au-delà! Une passion sans fin.

Le Comptoir du Relais

• 9, carrefour de l’Odéon Paris VIe. Tél.: 01 44 27 07 50. Menu au dîner à 60 euros en semaine. Carte au déjeuner de 35 à 50 euros. Terrasse.

L’Avant-Comptoir

• 3, carrefour de l’Odéon. Tapas, andouillettes, foie gras, gaufres au jambon. De 20 à 32 euros. Pas de fermeture.

Le FACEBOOK

Le Relais Saint-Germain

• 9 carrefour de l’Odéon. Tél.: 01 44 27 07 97. Le charmant hôtel du chef patron et de son épouse Claudine, du cocooning et du cachet au cœur de Paris. 22 chambres à partir de 230 euros.

Le site

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