L'énergie nucléaire présente un bilan carbone beaucoup plus favorable que les énergies fossiles dans la lutte contre le réchauffement climatique. Pour autant, elle n'est pas neutre dans une perspective de développement durable, et implique le respect d'une véritable culture de la sûreté.
Gérer les déchets
Tout d'abord, le nucléaire impose une gestion sans faille de déchets à hauts risques. Certes, tous les déchets ne présentent pas le même niveau de radioactivité. Ceux de catégorie A qui composent 90% du total, sont à vie courte (moins de 30 ans) et de faible radioactivité. Mais pour les catégories B (déchets à vie longue de plusieurs milliers d'années, mais à intensité de rayonnement faible ou moyenne) et C (haute intensité de rayonnement dégageant de la chaleur pendant plusieurs centaines d'années, mais ne représentant que 1% du total), le débat est loin d'être clos entre les écologistes et des industriels.
Ces derniers, comme Areva, considèrent même que le combustible usé - qui a alimenté un réacteur - n'est pas un déchet. Car ces matières radioactives contiennent 95% d'uranium (moins riche toutefois qu'à l'origine) et sont réutilisables. Associées à du plutonium à l'usine de La Hague, elles peuvent être recyclées sous forme de Mox (mélanges d'oxydes d'uranium et de plutonium). Ainsi, une partie inutilisable des déchets est destinée à être enfouie (des déchets ultimes hautement radioactifs), mais une autre peut servir à nouveau de combustible. Et le recyclage pourra encore aller plus loin car même l'uranium appauvri issu du retraitement des «vrais faux déchets» pourra être en grande partie brûlé dans les futurs réacteurs (de 4e génération) qui devraient succéder dans une trentaine d'années à l'EPR (la 3e génération). C'est cette capacité future de recyclage qui explique que, même très appauvri, l'uranium soit malgré tout conservé, comme en Sibérie ainsi que l'a révélé le journal Libération. Le problème, ce sont les conditions de stockage. Et découvrir que, dans la chaîne nucléaire, un maillon puisse échapper à tout contrôle est de nature à réveiller toutes les craintes.
Proscrire la banalisation
Ensuite, le nucléaire oblige tous les acteurs de la filière à une surveillance de chaque instant des paramètres de sécurité des centrales. Rien de ce qui touche au nucléaire ne doit être banalisé, ce qui suppose - parallèlement à l'exploitation des centrales - une culture de la sûreté à la hauteur des enjeux. C'est le véritable défi d'aujourd'hui : maintenir un niveau optimal de sensibilisation et de mobilisation pour repousser toujours plus loin les risques de l'erreur humaine. C'est un défi pour les exploitants, mais aussi un enjeu pour les exportateurs d'installations nucléaires qui ne doivent pas seulement mettre une technologie et des installations à la disposition de leurs clients, mais aussi leur inculquer cette culture. Ce qui est bien plus complexe qu'assurer une simple formation.
La France, en matière de sûreté nucléaire, a acquis une expertise reconnue et un savoir faire qu'elle exporte. L'IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire) en est à la fois la cheville ouvrière et le dépositaire. Sa démarche est fondée sur une approche à la fois philosophique et scientifique, et pas seulement normative. Les évaluations sont établies sur des principes, pas sur une simple réglementation. Elles doivent aller ainsi plus loin que la simple vérification de conformité.
Pour que la culture de la sûreté ne s'émousse pas, il existe dans chaque centrale un simulateur pour former les opérateurs et assurer le suivi de la formation. En plus, une fois par mois en théorie, EDF ou l'IRSN organisent un exercice au niveau national sur la base d'un scénario qui peut aller jusqu'à la simulation de rejets nucléaires. Les interprétations des situations par les personnels sont analysées par les ordinateurs, et les réactions sont ensuite travaillées avec les ingénieurs concernés. Des procédures existent pour faciliter les interprétations ; elles sont en constante évolution pour permettre aux personnels spécialisés d'opérer les corrections en cas de nécessité.
L'indépendance, gage de crédibilité
En 2006, l'Etat a modifié sa gouvernance du nucléaire et a créé l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) chargée du contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, mais aussi de la préparation des textes pour le compte du gouvernement, notamment réglementaires. L'IRSN doit donc mettre son expertise à la disposition de cette nouvelle agence, plus politique. Ce qui n'a pas été sans créer certaines frictions dans la gouvernance du système. Car s'il existe des liens entre les deux entités, ils ne doivent pas générer de situation de dépendance : la séparation des rôles est fondamentale dans le fonctionnement du système. Car l'indépendance est la principale condition de la crédibilité des travaux, absolument nécessaire pour attirer des experts qui sont ingénieurs mais aussi médecins, mathématiciens... Tous membres de la société civile, parfois formés à l'étranger pour élargir la palette des expertises et créer un corpus scientifique international qui échappe à une vision exclusivement française.
Mais comment garantir cette indépendance? L'IRSN a été placé sous la tutelle de cinq ministères : Santé, Environnement, Industrie, Recherche et Défense. De plus, les ministères du Budget, du Travail, de la Défense et de l'Intérieur (pour la Sécurité civile) sont représentés au conseil d'administration. Pour la direction de l'institut, l'indépendance peut ainsi être mieux assurée que s'il ne dépendait que d'un seul ministère. Car dans la configuration actuelle, si l'un d'entre eux tentait d'exercer une pression, l'intervention serait vite rendue publique. C'est en tout cas le pari qui a été fait. Mais le législateur a été un peu plus loin en 2006, en créant (en plus de l'ASN) une commission consultative des installations nucléaires et un conseil pour la transparence et l'information sur la sécurité.
La transparence, contre la suspicion
La transparence est une autre condition de la crédibilité. Malheureusement, ce n'est pas la principale qualité du système nucléaire qui paie aujourd'hui ses erreurs passées en matière de d'information du public. Le rôle des Commissions Locales d'Information est maintenant codifié par la loi. Dans le dialogue qui doit s'établir aujourd'hui entre ces commissions, EDF en tant qu'exploitant et l'IRSN en tant qu'expert, l'institut doit apporter des réponses au fur et à mesure que des questions se posent afin d'améliorer la transparence. Et sur les sujets où une controverse s'exprime, l'autorité de sûreté arbitre. C'est aussi à l'ASN que revient l'obligation de communiquer et de déclencher les procédures adaptées. Mais lorsqu'elle met plusieurs heures pour informer le public sur un problème comme à la centrale du Tricastin à l'été 2008, la transparence est prise en défaut, la suspicion et l'inquiétude s'installent, la crédibilité est entamée.
Chaque incident, même mineur (retard dans l'établissement d'un document, par exemple) dans l'une des 58 centrales françaises, doit faire l'objet d'un rapport de la part du directeur de la centrale. L'IRSN reçoit ainsi plusieurs centaines de rapports par an, dont 98% sont classés sans suite. Mais si un incident devait se répéter, il deviendrait alors pertinent. D'où l'intérêt de tous les enregistrer. Lorsque les problèmes sont plus sérieux, ils sont transmis à l'AIEA (Agence internationale de l'énergie atomique) pour que ces retours d'expériences servent à d'autres pays. De la même façon, l'IRSN doit tirer des leçons des évènements qui peuvent se produire dans les centrales d'autres pays, et travailler avec EDF sur ces situations.
Enfin, pour établir les conditions de cette sûreté, les coûts ne doivent pas entrer en ligne de compte. En clair, il n'est pas question de porter atteinte à l'impératif de sûreté pour des raisons de productivité. Ce qui implique de ne pas s'inscrire dans un système de marché, avec appel d'offres concurrentes et recherche de rentabilité au détriment de la qualité dans le cas d'une sous-traitance. C'est la seule façon pour le nucléaire, qui représente environ 16% de l'énergie électrique consommée dans le monde, de rester crédible sur le point capital de la sûreté. Mais est-ce aujourd'hui respecté dans tous les pays qui ont recours au nucléaire ?
Gilles Bridier.
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Image de une: Sébastien Nogier/Reuters