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Pourquoi Poutine se cache derrière sa «garde prétorienne»

Temps de lecture : 3 min

La décision-surprise du président russe de créer une Garde nationale reflète l'effritement d'un des piliers de son pouvoir, l'amélioration de la situation économique, mais aussi une crainte du putsch militaire constante depuis des décennies au sein de l'appareil d'État russe.

Viktor Zolotov et Vladimir Poutine, le 24 mars 2007. ALEXANDER NEMENOV/AFP.
Viktor Zolotov et Vladimir Poutine, le 24 mars 2007. ALEXANDER NEMENOV/AFP.

Le pouvoir de Vladimir Poutine repose sur deux piliers. Une adhésion des classes populaire et moyenne à un contrat simple: vous vivez mieux mais vous ne vous mêlez pas de politique. Le soutien des «siloviki»: les organes de force, c’est-à-dire l’armée, la police et les services de sécurité (le FSB, successeur du KGB). Le premier pilier est mis à mal par la baisse des prix des hydrocarbures, qui sont la principale ressource d’une économie incapable de se moderniser, et par, dans une moindre mesure, les sanctions occidentales. Le second ne serait-il pas aussi solide qu’il y paraît? C’est la question qu’on peut se poser après la décision du président russe de créer une «Garde nationale», véritable garde prétorienne, qui lui sera directement rattachée.

Cette décision-surprise a été annoncée le 5 avril et a été soumise à l’approbation de la Douma qui, étant donné l’absence d’opposition, ne fait aucun doute. Forte de plus de 400.000 hommes, cette garde nationale sera composée des troupes du ministère de l’Intérieur et des unités d’élite de la police, les OMON (anti-émeutes) et les SOBR (intervention rapide). Elle sera dotée de moyens et de droits importants (arrestation et détention sans limite dans le temps des suspects, tir à vue «en cas de circonstances exceptionnelles», etc.) Mais ce qui fait surtout son originalité, c’est qu’elle sera placée sous le commandement d’un ancien garde du corps de Vladimir Poutine, qui lui est entièrement dévoué. Le général Viktor Zolotov, actuellement vice-ministre de l’Intérieur, est une connaissance du président russe du temps où celui-ci était l’adjoint au maire –réformateur– de Saint-Pétersbourg, Anatoli Sotchak. De 2000 à 2013, il a assuré la protection rapprochée de Poutine. Il n’aura de comptes à rendre qu’à celui-ci et ne sera pas tenu par les règles constitutionnelles ou gouvernementales. Même si les ministres sont aux ordres, ils constituent un échelon de décision qui disparaît avec la garde nationale.

Cette nouvelle armée est officiellement destinée à combattre «le terrorisme et le crime organisé», mais le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, n’a pas caché qu’elle pourrait être aussi utilisée pour réprimer les «manifestations non-autorisées». Le pouvoir a beau avoir éparpillé l’opposition, il reste hanté, à l’approche des élections législatives de septembre prochain, par la crainte de manifestations comparables à celles de 2011 et 2012, au moment des scrutins législatif et présidentiel. Cette crainte paraît peu fondée. Tout a été prévu pour écarter cette hypothèse, y compris un système de vote qui garantisse la victoire du pouvoir sans recours massif à la fraude.

Bien que sa popularité culmine toujours à plus de 80%, Vladimir Poutine veut parer à toute éventualité. Il applique le principe ancestral: diviser pour régner. La Russie comptait déjà plusieurs types de forces de l’ordre: l’armée régulière, les troupes du ministère de l’Intérieur et les garde-frontières dépendant du FSB, qui en cas de crise pourrraient se neutraliser l’une l’autre. C’est ce qui s’est passé lors de la tentative de putsch contre Mikhaïl Gorbatchev en 1991. L’émiettement empêche l’émergence d’un homme fort s’appuyant sur des unités armées. En créant une quatrième armée, Vladimir Poutine limite encore les risques. Il se situe dans la lignée des dirigeants communistes de l’URSS qui ont toujours eu la hantise de ce qu’ils appelaient le «bonapartisme», soit la prise de pouvoir par un militaire en lieu et place du chef du Parti. Sans parler des grandes purges qui décimèrent l’Armée rouge dans les années 1930, le maréchal Gueorgui Joukov, le libérateur de Berlin, a été écarté par Staline, qui craignait sa popularité. Quelques années plus tard et pour la même raison, Khrouchtchev le mit sans ménagement à la retraite.

A priori, Poutine n’a rien à craindre ni du ministre de l’Intérieur, Vladimir Kolokoltsev, ni du ministre de la Défense, Sergueï Choïgou. Toutefois, ce sont deux hommes qui ont fait carrière en dehors du clan. Le premier est technocrate, un «grand flic», qui a fait toute sa carrière dans la police et qui a gagné une certaine renommée en essayant de réformer un corps inefficace et corrompu. Après avoir dirigé la police de Moscou, il est ministre de l’intérieur depuis 2012 mais, dès 2014, des rumeurs couraient sur son possible limogeage. Faute de pouvoir s’en défaire, Poutine vient de le priver d’une partie de ses prérogatives.

Quant à Sergueï Choïgou, il a commencé son ascension du temps de Boris Eltsine comme ministre des Situations d’urgence. Chargé de lutter contre les catastrophes naturelles, il s’est acquis par son savoir-faire une popularité qu’il a fait fructifier en tant que ministre de la Défense, depuis 2012 aussi, auréolé des «victoires» des Ukraine et en Syrie.

Aucun des deux ne semble prêt à jouer le rôle de traître mais dans un système où tout tourne autour du chef, deux précautions valent mieux qu’une. Viktor Zolotov et sa garde nationale veillent sur le président.

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