Après ce titre assez provocateur, vous vous attendez sûrement à ce que le mot féministe soit critiqué, vilipendé, jeté aux orties. Ce ne serait pas la première fois. De la PDG de Yahoo Marissa Mayer qui les trouve trop «militantes» et «querelleuses» au Time qui veut carrément de bannir ce mot, «devenu un truc sur lequel toutes les célébrités doivent désormais se prononcer», en passant par le magazine Causeur qui les accuse de vouloir «pénaliser les dragueurs», les attaques à son encontre sont nombreuses. Et ce vendredi, c'est Le Figaro Magazine qui publie les bonnes feuilles du nouvel essai de la journaliste Eugénie Bastié sous le titre: «Une (jeune) femme contre les néo-féministes».
Les bonnes feuilles d'#AdieuMademoiselle sont à lire dans Le Figaro magazine de demain ! pic.twitter.com/kzsyV9JK9h
— Eugénie Bastié (@EugenieBastie) April 7, 2016
On reproche aux féministes d’être trop enragées, trop intolérantes, ou de soulever des problèmes qui n’existeraient pas. Et le mot qui leur est associé est attaché à un certain radicalisme, que certains exècrent ici en Europe, sur le continent d’Aristote, où l’aime rien moins que le «juste milieu», «intermédiaire entre l'excès et le défaut».
Mais cette fois, c’est une toute autre perspective. Une actrice propose, en effet, que ce mot ne soit plus utilisé, non pas parce qu’il serait trop fort, mais parce qu’il est… normal. Écoutons Maisie Williams, qui joue Arya Stark dans Game of Thrones, et donnait une interview à Entertainment Weekly:
«Je pense que nous devrions arrêter d'appeler les féministes des “féministes” et, à la place, donner un nom à ceux qui ne le sont pas, et qui sont “sexistes” –tous les autres sont simplement humains. On est soit une personne normale soit une personne sexiste. Les étiquettes sont pour les mauvaises personnes.»
Nous sommes plus nombreux que vous
Brillante stratégie politique, qui retourne les accusations d’excès contre les accusateurs: la norme, c’est nous, affirme en substance Maisie Williams. Brillante idée, et qui rend aussi compte d’une évolution majeure: pour beaucoup d’entre nous, le féminisme, entendu comme la revendication de l’égalité des droits entre les hommes et les femmes, est une évidence. 94% des Français se disent ainsi prêts à élire une femme Présidente de la République.
Le progrès, c'est nous, et si vous n'en êtes pas, vous êtes out. Pas besoin du mot féminisme, qui donne l'impression que les droits des femmes n'intéressent qu'une clique de militants.
Inconscient
Sauf que, sauf que… en banalisant le terme de féminisme, Maisie Williams prend aussi un risque. Oui, la quasi-totalité des habitants des sociétés occidentales, lorsqu’ils sont interrogés là-dessus, jugent que les hommes ne sont pas plus intelligents ou plus compétents que les femmes. La très grande majorité déclare que les femmes doivent avoir les mêmes droits que les hommes. Et l’on peut donc facilement rejeter dans «l’inhumain» ceux qui ne le pensent pas.
Sauf que le féminisme d’aujourd’hui ne se bat plus tout à fait pour le droit de vote des femmes ou pour que la loi soit la même pour tous, mais traque l’inconscient, les stéréotypes de la femme «plus douce», les inégalités de salaire et de poste «parce que l’on a rien contre les femmes, mais elles peuvent tomber enceintes». Et c'est bien grâce aux féministes, aux militantes, qui produisent des études, qui traquent les publicités sexistes ou les produits pour les femmes vendus plus chers en rayon que ceux pour les hommes, que nous arrivons à comprendre tout cela.
Et là, quand on regarde dans le détail des idées reçues et surtout dans les pratiques, la belle unanimité relevée par Maisie Williams s'évapore. Pour 42% des Français, les femmes sont considérées comme moins rationnelles que les hommes. Elles ne représentent que 5,35 % des nobélisés. Il n’y a en France que 5 % de femmes parmi les chefs d'orchestre. Et à Paris, seulement 4% des rues portent le nom d'une femme. Sur les 1.000 personnalités dont on a le plus parlé en 2015, il n’y a que 151 femmes. Et ainsi de suite: la liste est non-exhaustive. Pensez-vous toujours que le féminisme soit la norme?