Athènes
Place Exarchia, au cœur du quartier alternatif et anarchiste d’Athènes, où les slogans en soutien des réfugiés sont légion, Hakim, la trentaine, blouson en cuir noir et cigarette à la main, promène son chien, Mao. «Évidemment c’est une référence au leader communiste. Je me fonds parfaitement à mon environnement», sourit cet Algérien arrivé en Grèce il y a six ans. En remontant la rue Tsamadou, vers le «Steki Metanaston», le «QG des migrants» littéralement, Hakim croise Erdal, un Kurde de Turquie, «un nouveau pote». Lui n’est là que depuis quatre mois, et s’apprête à assister à un cours de grec gratuit au «Steki».
Ce lieu associatif créé en 1997 par des militants de gauche antifascistes a accueilli toutes les vagues de migrants, à commencer par celles venues des Balkans et d’Europe de l’Est à la fin des années 1990. Depuis, le bouche à oreille amène les nouvelles générations à passer le seuil de l’édifice à l’apparence délabrée, recouvert de tags et d’affiches politiques: des cours de langue y sont dispensés, des conseils juridiques prodigués et une cuisine collective organisée.
L’entrée du «Steki Metanaston», le «QG» des migrants à Exarchia, dans le quartier alternatif d’Athènes | Marina Rafenberg
Bloqué dans la capitale hellène
Depuis l’été 2015, face à la crise migratoire sans précédent auquel doit faire face Athènes, le «Steki» a développé son action. Aziz, un Sénégalais installé depuis six ans en Grèce, se souvient:
«Durant l’été, il y avait plus de 500 réfugiés qui campaient non loin d’ici, dans le parc Pedios tou Areos. Pendant vingt-deux jours, nous avons distribué plus de 33.000 portions. Je cuisinais tous les jours de la semaine sans relâche.»
Désormais, ils collectent des produits de première nécessité (nourriture mais aussi lingettes hygiéniques, couches, savons, dentifrice...) pour les distribuer aux réfugiés place Victoria. Au centre d’Athènes, ce carrefour était envahi par des centaines de couvertures, de tentes improvisées il y a encore quelques semaines, avant que les forces de l’ordre ne décident de l’évacuer dimanche 6 mars. Mais les migrants et réfugiés y reviennent en journée même s’ils logent dans des centres d’accueil en banlieue d’Athènes pour trouver le soutien des bénévoles mais aussi des passeurs qui en ont fait leur repère...
Jusqu’à présent, les réfugiés venaient et repartaient, il fallait répondre à une situation d’urgence temporaire. Mais maintenant avec la fermeture des frontières, nous devons en préparer certains à rester dans ce pays
Nassim, Afghan, pilier du collectif de solidarité aux réfugiés
Dans quelques jours, un autre projet doit voir le jour au «Steki»: «l’Université silencieuse», initiée à Londres et mise en place dans d’autres villes européennes, vise à permettre à des réfugiés et migrants, anciens professeurs ou étudiants dans leur pays d’origine, d’enseigner leurs langues à des locaux. Nassim, un Afghan devenu un pilier du collectif de solidarité aux réfugiés depuis plus de dix ans, se réjouit de cette initiative «qui va aider à l’intégration». «Jusqu’à présent, les réfugiés venaient et repartaient, il fallait répondre à une situation d’urgence temporaire. Mais maintenant avec la fermeture des frontières, des milliers de réfugiés se retrouvent pris au piège en Grèce. Nous devons en préparer certains à rester dans ce pays et les aider grâce à nos propres expériences», précise-t-il. Au départ, son choix n’était pas de rester en Grèce mais Nassim y a finalement fait sa vie. À l’époque aussi les frontières étaient fermées et il s’est retrouvé bloqué dans la capitale hellène:
«Cela a toujours été difficile et dangereux d’entreprendre ce voyage, mais, depuis quinze ans l’Europe se referme, dix murs ont été érigés, les guerres ont mis plus de monde sur la route de l’exil...»
Coups de main
Le cours d’Erdal commence dans une pièce peinte de figures multicolores. «Kalimera» («bonjour»), «Kalispera» («bonsoir»), répètent en cœur les élèves chinois, afghans, pakistanais, congolais, ivoiriens... Dans la pièce d’à côté, Hakim aide les migrants arabophones à comprendre des papiers administratifs en grec, il leur conseille aussi de rejoindre des squats anarchistes qui accueillent depuis quelques jours plusieurs familles de réfugiés. Depuis la fermeture des frontières, il avoue faire face à des dilemmes:
«Je n’ai pas envie de gâcher tous les espoirs des réfugiés qui viennent me voir... Que dire aux Syriens qui fuient la guerre? Que certains gouvernements européens ne se préoccupent pas de leur sort et qu’ils risquent d’être coincés ici pour plusieurs mois?»
Hakim essaie de persuader les familles de déposer une demande de relocalisation vers d’autres pays européens, mais les démarches prennent des mois et toutes les nationalités ne sont pas éligibles. Alors, l’autre solution, c’est de faire sa demande d’asile en Grèce. «Mais je comprends qu’ils ne veulent pas rester, ce n’est pas la Suède ici, il y a la crise. Ils n’auront pas d’appartement gratuit fourni par l’État ni d’aide financière et trouver un travail révèlera de l’exploit», soupire-t-il.

Les cours de grec du «Steki» sont organisés gratuitement par des bénévoles afin d'aider les réfugiés à s'intégrer | Marina Rafenberg
Arrivé en 2010, avant la construction du mur suivant la rivière Evros et séparant la Grèce de la Turquie, Hakim a lui aussi «ses propres problèmes». «Quand je suis parti d’Algérie, ma destination finale devait être la France mais je suis resté en Grèce et j’ai appris à aimer ce pays. Mais je n’ai toujours pas de papiers, je ne peux pas travailler, je ne peux qu’enchaîner des petits boulots au noir», explique cet électricien de formation. Pour lui, il est «normal d’aider les frères de galère. D’autres m’ont donné des coups de main quand moi aussi j’ai débarqué».
«Calvaire»
À Exarchia, il a toujours connu la solidarité des habitants «mais cela n’a pas toujours été le cas partout en Grèce». Les images des noyades, des conditions déplorables dans les camps ont mobilisé l’opinion publique. «Avant, il n’y avait pas autant de drames, mais surtout on en parlait moins. En novembre 2010, j’ai plusieurs copains algériens qui sont morts alors qu’ils essayaient de rejoindre l’Italie en canot depuis l’île de Corfou...» se rappelle-t-il.
Jawad Aslam, le président de la communauté pakistanaise en Grèce, se réjouit de cet élan de générosité de la population grecque «qui contraste avec les années 2010-2012, lorsque le parti néonazi Aube dorée prospérait et organisait des attaques contre les Pakistanais et d’autres minorités». Depuis 1996 en Grèce, Jawad, se rend régulièrement au Pirée, où plus de 5.000 migrants s’entassent dans des hangars ou les salles d’attente du port, et déplore le «calvaire» que vivent ses compatriotes et autres migrants. «Beaucoup me disent qu’ils veulent retourner d’eux-mêmes au Pakistan, ils ne savaient pas qu’ils seraient accueillis dans de telles conditions. Les passeurs leur vendent des rêves, leur font croire qu’ils auront une vie idéale en Europe et, quand ils arrivent en Grèce, se retrouvent dans ces camps de fortune, ils déchantent», raconte Jawad.
L’effet positif de l’accord signé entre l’Union européenne et la Turquie le 18 mars, il n’y croit qu’à moitié: «Ceux qui vivent sous les bombes, qui fuient les exactions, continueront de venir en Europe et malheureusement cela ne concerne pas que les Syriens...» Au «Steki», Nassim est lui aussi pessimiste: «Cela ne va pas arrêter les passeurs, ils vont trouver des nouveaux chemins, peut-être plus dangereux...Les centres de rétention en Grèce vont massivement réapparaître et enfermer dans des conditions sordides les migrants économiques voire les réfugiés politiques.»