À l’ère glaciaire, pendant une quinzaine de millénaires, Homo sapiens allait partager la partie occidentale et asiatique du monde avec Homo neanderthalensis, avant que ce cousin éloigné ne disparaisse, voici à peu près 40.000 ans. De cette cohabitation, chaque humain actuel –à l’exception des individus d’ascendance africaine– aura hérité de 1 à 3% de gènes, un pourcentage pouvant grimper jusqu’à 20% lorsqu’on envisage l’échelle des populations.
Au jeu des sept différences entre humains et Néandertaliens, l’anatomie tient une place de choix. En particulier, l’Homo fossile était globalement plus petit et massif que nos ancêtres directs, avec un bassin et une cage thoracique bien plus larges. Dans un nouvel article en passe d’être publié dans l’American Journal of Physical Anthropology, les chercheurs estiment que ces différences anatomiques entre Néandertal et Sapiens relèveraient très probablement de facteurs alimentaires.
Mastodontes riches en protéines
Depuis plusieurs années, une équipe de chercheurs affiliés à l’Université de Tel-Aviv se penche sur l’influence du régime alimentaire sur l’évolution des hominidés. En 2011, ils avaient ainsi publié un article montrant que la disparition de l’Homo erectus, «remplacé» par une lignée d’hominidés plus minces, plus agiles et plus intelligents, devait sans doute beaucoup à une modification de la boustifaille environnante, passant d’une proportion élevée d’animaux gros, gras et relativement faciles à chasser –les ancêtres des éléphants– à des proies plus petites, véloces et moins riches en graisse.
Les dernières recherches sont plus précises et montrent que les Néandertaliens devraient leur large cage thoracique, et sa forme évasée caractéristique, à un régime alimentaire très riche en protéines, issues des divers mastodontes pullulant à l’ère glaciaire. Pourquoi? Parce que, pour métaboliser autant de protéines, l’évolution les avaient dotés d’un gros foie. De même, leur système urinaire –reins et vessie– était sans doute plus développé pour éliminer des quantités importantes d’urée, d’où un bassin plus imposant.
«Durant les rudes hivers de l’ère glaciaire, précise Miki Ben-Dor, l’un des auteurs de l’étude, les glucides se faisaient rares et les ressources en graisses étaient très limitées. Par contre, le gros gibier, proie typique des Néandertaliens, proliférait. Une situation qui généra une adaptation à un régime très riche en protéines –un foie élargi, un système rénal étendu et leurs manifestations morphologiques correspondantes. Tout ce qui allait contribuer au processus évolutif de Néandertal.»
Une hypothèse qu’assoient de nombreuses études et expériences menées sur des animaux, chez lesquels une alimentation riche en protéines a effectivement tendance à grossir le foie et les reins. Un phénomène que l’on détecte aussi chez les populations indigènes d’Arctique, qui se nourrissent principalement de viande: non seulement leurs foies sont plus larges mais ils ont aussi tendance «à boire beaucoup d’eau, souligne Ben-Dor, le signe d’une activité rénale accrue».