Plus de 11,5 millions de documents, soit, selon les médias qui en assument la publication, la fuite de données la plus massive de l'histoire. Avec les «Panama Papers», l’International Consortium of Investigative Journalists (ICIJ) et ses 106 médias partenaires (dont Le Monde) ont pointé du doigt les sociétés offshore enregistrées dans des paradis fiscaux par des milliers de personnalités ou d'entreprises, dont de nombreux dirigeants de premier plan. Actuels ou anciens présidents, Premiers ministres, ministres, proches de dirigeants… Au moins 128 responsables politiques sont des clients de Mossack Fonseca, le cabinet panaméen qui rend ces montages financiers possibles.
#PanamaPapers map of companies and clients: more than 3000 in US, more than 9000 in UK https://t.co/xDSw8NJVm3 pic.twitter.com/f3u09KXWTE
— WikiLeaks (@wikileaks) April 4, 2016
L’indignation s’est vite répandue le monde entier mais une fois le choc des révélations passé, que pourront faire les différents systèmes judiciaires des pays concernés? La réponse est aussi complexe que le scandale puisqu’il s’agit dans un certain nombre de cas d’opérations tout à fait légales. En effet, les titulaires de ces comptes jouent sur l’ambiguïté entre la fraude fiscale (ne pas déclarer son compte à l’étranger pour échapper à l’impôt, ce qui est illégal) et l’évasion ou «optimisation» fiscale (profiter légalement de failles du système fiscal en plaçant son argent à l’étranger).
Pour l’ICIJ, l’objectif n’est pas d’aider la justice: les Décodeurs du Monde ont fait savoir que les documents que les journalistes ont obtenus ne seront pas transmis aux services judiciaires, quel que soit le pays. Ce qui pourrait compliquer la tâche des autorités pour lutter contre le blanchiment de fraude fiscale et récupérer l’argent qui leur est dû. Néanmoins, le parquet national financier français a a saisi l’office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et ouvert une enquête préliminaire pour blanchiment de fraude fiscale.
Pour mieux comprendre les enjeux à venir de ces révélations, voici une liste de plusieurs personnalités dont le nom apparaît dans les fichiers et ce qu’elles pourraient craindre, ou pas, de la justice de leur pays.
1.Michel PlatiniPrésident (suspendu) de l'UEFA
Les faits
Si les documents montrent que Mossack Fonseca a aidé l'ancien numéro 10 à créer en 2007, moins d’un an après son arrivée à la tête de l’UEFA, la société offshore Balney Enterprises Corp, rien ne montre pour l'instant qu’il a agi dans l’illégalité.
Dans un communiqué envoyé à l’AFP dimanche soir, les portes-paroles de Michel Platini (qui, depuis neuf ans, est résident suisse et ne répond plus du système fiscal français, bien plus contraignant) expliquent qu’il a tenu «à faire savoir, comme il l’a indiqué à maintes reprises aux journalistes en charge de cette enquête, que l’intégralité de ses comptes et avoirs sont connus de l’administration fiscale suisse, pays dont il est résident fiscal depuis 2007». Il a également précisé qu’il «réserve tous ses droits quant à d’éventuelles fausses informations, allégations ou propos diffamatoires qui seraient publiés dans le cadre de ce travail journalistique».
Qui peut le poursuivre?
La justice française ne peut pas faire grand-chose contre Michel Platini: l’ancien footballeur réside en Suisse, y travaille et y paye ses impôts. Ce seront donc aux autorités judiciaires suisses de décider s’il y a matière à poursuites ou non.
2.Sigmundur Davíð GunnlaugssonPremier ministre islandais
Les faits
Les documents de Mossack Fonseca livrent des informations inédites sur la société offshore Wintris Inc., enregistrée en 2007 dans les îles Vierges britanniques. Principal actionnaire de cette société avec sa femme, Sigmundur Davíð Gunnlaugsson avait reçu l’aide de la filière luxembourgeoise de la banque islandaise Landsbanki dans sa création. «Les Panama Papers montrent que Gunnlaugsson a continué à cacher l’existence de sa société lorsqu’il a atteint le fauteuil de Premier ministre, écrit La Tribune de Genève. Omettre de déclarer ses biens reviendrait à violer les règles éthiques islandaises.»
Le dirigeant a pour l’instant, lors d'une interview, nié toute malversation sur le sujet. Le Guardian explique sur son site que, pour l’instant, «rien ne suggère une évasion fiscale dans le cas de Wintris». En effet, «les déclarations d’intérêts [du Premier ministre] doivent uniquement mentionner les sociétés qui ont une activité économique, ce qui n’a jamais été le cas de cette société», a déclaré Gunnlaugsson aux médias islandais.
Qui peut le poursuivre?
Le fisc islandais a payé en 2015 un lanceur d’alerte pour obtenir des données provenant du bureau luxembourgeois de Mossack Fonseca, sans lien apparent avec les Panama Papers. Pour l’instant, on ne sait pas si les informations récoltées concernent le Premier ministre, sa femme ou encore Wintris, mais les nouvelles fuites pourraient être utilisées dans le cadre de cette enquête si jamais elles prouvent l’existence d’une fraude fiscale.
Le sort du Premier ministre se joue plutôt dans l’opinion publique. Cette affaire de biens offshore serait désastreuse pour Gunnlaugsson si ces informations sont confirmées. Arrivé au pouvoir alors que le pays se relevait d’une énorme crise économique en 2013, il avait lui-même promu un discours politique anti-banques. Des pétitions pour sa démission ont reçu des milliers de signatures et certains Islandais demandent de nouvelles élections le plus vite possible. Ce qui n’a nullement impressionné celui qui a déclaré, ce 4 avril: «Je n’ai pas envisagé de démissionner à cause de cela et je ne démissionnerai pas à cause de cela.»
3.Lionel MessiFootballeur international argentin
Les faits
Dans l’un de ses articles, l’ICIJ explique que «les documents qui ont fuité montrent que Messi et son père possédaient une société offshore au Panama: Mega Star Enterprises», créée en juin 2013. Un comportement qui n'est pas illégal en soi: il faudra désormais savoir si Messi et son père s'en sont servi pour dissimuler des revenus, comme l'affirment les Panama Papers. Des accusations que les deux hommes ont jugées «fausses et diffamatoires».
Qui peut le poursuivre?
Lionel Messi a déjà été empêtré dans une affaire de fraude fiscale. Il a remboursé au fisc espagnol 4,16 millions d’euros dont il aurait dû s'acquitter entre 2007 et 2009 s'il n'avait pas mis en place des sociétés-écrans au Belize et en Uruguay. S'il s'avérait qu'il a dissimulé des revenus, l'Espagne ne sera sûrement pas clémente puisque, depuis 2012, elle a accentué sa lutte contre la fraude fiscale et n’a pas hésité à demander fin janvier à la fille du roi, l’infante Cristina, de répondre à des accusations de fraude.
4.Sergueï RoldouguineAmi d’enfance du président russe Vladimir Poutine
Les faits
Son nom n’est pas connu de tous mais Sergueï Roldouguine fait partie des intimes de Vladimir Poutine, qu’il connaît depuis la fin des années 1970. Ce violoniste à la stature internationale est même le parrain de la fille aînée du président.
Les documents qui ont fuité révèlent qu’il a été propriétaire de plusieurs sociétés offshore: Sonnette Overseas, International Media Overseas et Raytar Limited. «Les deux premières ont été créées par la banque Rossiya, dont le siège est à Saint-Pétersbourg et que le gouvernement américain considère comme “la banque personnelle des dirigeants russes”», écrit l’ICIJ. L’homme a réalisé de multiples investissements qui lui permettaient de gagner plus de 8 millions d’euros par an. Plus impressionnant encore, il aurait remporté la coquette somme de 125 millions d’euros grâce à sa participation secrète au capital de la société de construction de camions Kamaz. En tout, plus de 2 milliards d’euros gravitent autour de lui, d’une banque et de plusieurs hommes d’affaires russes, tous liés à Vladimir Poutine.
«Je comprends qu’il s’agisse de questions importantes. Faites-vous des affaires ou non? Quelle est la source de l’argent? À qui est cette argent? Je le comprends. Ce sont des questions délicates», a répondu Roldouguine quand des journalistes du projet Organised Crime and Corruption Reporting l’ont interrogé sur les structures que lui et ses proches ont mises en place.
Qui peut le poursuivre?
Dans un régime où le pouvoir appartient à Poutine et où la justice et les médias ont du mal à s’exprimer en toute liberté, difficile d’imaginer des suites judiciaires contre l’ami d’enfance du président russe.
5.Salam bin Abdulaziz bin Abdulrahman Al SaudRoi d’Arabie saoudite
Les faits
Celui qui a accédé au trône en janvier 2015 (succédant à son frère, le roi Abdallah) aurait utilisé une société des îles Vierges britanniques pour mettre en place des prêts dans le but d'acquérir un yacht et des résidences de luxe à Londres. Sur cet aspect, l’ICIJ écrit: «Le roi Salman a joué un rôle assez flou au sein de la société luxembourgeoise Safason Corporation SPF S.A., qui était actionnaire de Verse Development Corporation, créée dans les îles Vierges britanniques en 1999, et d’Inrow Corporation, créée en 2002.»
Qui peut le poursuivre?
Il est évidemment plus que difficile d’imaginer le roi d’Arabie saoudite être inquiété par des informations venant de l’extérieur du pays et qui, au final, restent assez minces. D’autres personnalités visées par les Panama Papers, membre de gouvernements monarchiques du Golfe ou proches de familles royales, ne seront probablement pas plus inquiétées par ces révélations.