À l'occasion du soixantième anniversaire du Bundesnachrichtendienst (BND), le service de renseignement extérieur du gouvernement allemand, créé le 1er avril 1956 en Allemagne de l'Ouest, le quotidien Die Welt revient sur les débuts du renseignement dans la jeune République fédérale allemande et sur le passé trouble de son premier chef.
Dans le chaos de l'après-guerre, un ancien officier allemand de la Wehrmacht, Reinhard Gehlen, dont l'ambition n'avait visiblement pas été ébranlée par la défaite des nazis, est allé se présenter aux alliés américains, muni d'une imposante collection de documents secrets sur l'Armée rouge:
«Cet officier de métier né en 1902 avait fait carrière sous le Troisième Reich, et il échoua exactement au bon moment: au début de l'année 1945, alors qu'il occupait la fonction de chef des armées étrangères de l'Est (FHO) au sein de l'état-major, il avait rendu visite à Hitler dans son bunker à Berlin pour lui exposer la situation désastreuse sur le front de l'Est, ce qui lui avait valu d'être déchu de ses fonctions le 9 avril 1945. Il ne pouvait rien arriver de mieux à Gehlen en ce temps-là. Accompagné de quelques personnes de confiance et muni d'une douzaine de caisses contenant des informations secrètes sur l'Armée rouge, il se retira dans la solitude d'un pâturage de haute montagne dans les Alpes et y attendit tranquillement la fin de la guerre.»
Après un bref séjour en prison de rigueur, Reinhard Gehlen fut envoyé à sa demande aux États-Unis pour y être entendu:
«Là-bas, Gehlen s'est présenté comme le chef des services secrets militaires allemands. Il s'agissait d'un mensonge, puisqu'en réalité son service, rattaché à l'état-major de l'armée, était uniquement chargé d'analyser des informations obtenues ailleurs. Mais faire preuve d'honnêteté aurait été contre-productif du point de vue de Gehlen.»
En ces débuts de la Guerre froide, les connaissances et les soi-disants compétences de l'ex-officier nazi étaient d'une grande valeur aux yeux des Américains. Ils autorisèrent Gehlen à rentrer en Allemagne en 1946 et à mettre en place un service de renseignement baptisé «Org», mais que les Américains, tout comme les services de propagande d'Allemagne de l'Est, surnommaient «Organisation Gehlen».
Afin de pallier à son manque de savoir-faire, Reinhard Gehlen s'alloua les services d'un ancien agent du véritable service de renseignement de la Wehrmacht, Herrmann Baun, en lui faisant miroiter une place à ses côtés. Il s'en débarrassa par la suite afin de se présenter comme l'unique chef de son service auprès des Américains.
Lorsque ces derniers, au début des années 1950, commencèrent à envisager de remettre l'«Org» entre les mains de la jeune République fédérale allemande, le chancelier Konrad Adenauer fut contraint d'accepter Gehlen à sa tête, faute de candidats en mesure d'occuper cette fonction.
Reinhard Gehlen dirigea le Bundesnachrichtendienst de 1956 à 1968. Sous sa conduite, de nombreux anciens nazis ont été recrutés au sein de ses services, souligne le site de la chaîne de télévision Bayerischer Rundfunk:
«Gehlen est parvenu à intégrer à ses troupes une ribambelle d'anciens nazis et criminels nazis. Tous les employés recevaient une nouvelle identité. Parmi les plus connus, on peut citer Alois Brunner, un employé proche d'Adolf Eichmann, et Klaus Barbie, l'ancien chef de la Gestapo à Lyon. La CIA estime que les anciens membres du NSDAP, du SD, de la Gestapo et des officiers de la SS représentaient jusqu'à 28% du personnel.»
Une exposition consacrée aux débuts du renseignement en Allemagne de l'Ouest, «ACHTUNG Spione!», qu'accueille le Musée d'histoire militaire de Dresde jusqu'au 29 novembre 2016, revient longuement sur le parcours hors-norme du fondateur du BND.