Santé

Y a-t-il une vie après l'autisme?

Temps de lecture : 20 min

Quelques rares enfants diagnostiqués autistes en perdent les principaux symptômes. Peut-on les considérer guéris?

Un enfant diagnostiqué autiste | Lance Neilson via Flickr CC License by
Un enfant diagnostiqué autiste | Lance Neilson via Flickr CC License by

Alex, 10 ans, saute sur son lit pour poser à côté du poster d’Aaron Rodgers, son joueur de football américain préféré. Il sourit aussi fièrement que s’il avait lui-même recruté le quaterback des Green Bay Packers. Poursuivant la visite guidée de sa chambre dans la banlieue de New York, il me montre son réveil aux couleurs des Packers, sa coupe de football américain, sa médaille de boy-scout et puis le clou de sa collection: une boîte en mousse faite maison toute verte et or, les couleurs des Packers.

«Mmm, très joli», dis-je. Alex sourit, à la fois timide et espiègle, tandis qu’il la retourne pour me montrer le message inscrit à l’arrière: «Les Jets sont nuls[référence à une des équipes de football américain de New York, ndlr]

Bien qu’il semble être un garçon tout à fait comme les autres, Alex a une histoire quelque peu extraordinaire: il était autrefois autiste et il ne l’est plus aujourd’hui. À une époque, les parents d’Alex ignoraient s’il pourrait un jour faire des phrases entières. Ils se doutaient encore moins qu’il pourrait un jour plaisanter avec une personne étrangère à sa famille. Son autisme, pensaient-ils, le privait d’un tel avenir.

«Alex n'avait aucune expression»

Les parents d’Alex ont commencé à s’inquiéter pour lui avant même qu’il ne fête sa première année. Il ne parvenait pas à se tenir assis, à ramper ou à tenir debout comme son frère jumeau. Par-dessus tout, il se montrait beaucoup moins sociable que son frère.

«Enfant, Alex n’avait aucune expression», explique sa mère, Amy (les noms d’Alex et d’Amy ont été modifiés afin de respecter leur vie privée). Elle se souvient d’un ami essayant en vain de faire rire Alex: il sautait partout, faisait de grands gestes et de drôles de grimaces. «Son frère éclatait de rire, tandis qu’Alex restait de marbre», raconte-t-elle.

Il évitait tout contact visuel, il ne répondait pas quand on l’appelait par son nom, il s’intéressait de manière obsessive aux lettres, aux chiffres et aux animaux

Leur pédiatre, qui suspectait un trouble du spectre de l’autisme (TSA), leur recommanda d’intervenir rapidement. Alors qu’Alex n’avait que 9 mois, ses parents mirent en place des séances d’orthophonie, de psychomotricité et d’autres thérapies d’éducation spécialisée. Alex fut officiellement diagnostiqué autiste lorsqu’il avait 2 ans. Il en présentait tous les symptômes caractéristiques: il évitait tout contact visuel, il ne répondait pas quand on l’appelait par son nom, il ne montrait pas du doigt pour montrer ce qu’il voulait, il s’intéressait de manière obsessive aux lettres, aux chiffres et aux animaux.

Comme de nombreux enfants présentant des troubles autistiques, il réagissait de manière intense à certaines sensations. Certaines activités anodines, comme se faire couper les cheveux, revêtaient pour lui un caractère traumatisant: en sentant les ciseaux sur sa nuque, il se mettait à crier et à gesticuler dans tous les sens.

«Une minorité parmi la minorité» s'en est bien tirée

Après avoir appris le diagnostic, le père d’Alex eut du mal à imaginer un avenir qui ne soit pas sombre, raconte Amy. Plus optimiste, elle mit tous ses espoirs dans un programme intensif de thérapie comportementale. Alex fit des progrès constants, tout d’abord grâce à une thérapie individuelle qui nécessitait jusqu’à 30 heures de séances par semaine, puis dans une maternelle et une école primaire médico-éducatives avant d’intégrer un établissement classique. L’année dernière, Lisa Shulman, pédiatre développementaliste spécialisée dans les troubles de l’autisme, a jugé qu’il ne répondait plus aux critères diagnostiques de l’autisme.

Aujourd’hui, Alex est un enfant drôle, sociable et fan de sport. Il est gentiment fier de lui et ouvert aux autres, parle des hiérarchies qui s’instaurent dans le bus scolaire et explique que marquer des buts occasionnellement est mieux que de marquer à chaque match, car on se sent encore plus spécial quand on reçoit les félicitations des autres joueurs de l’équipe.

La plupart des enfants présentant des troubles autistiques en seront toujours atteints. Mais quelques études réalisées ces trois dernières années prouvent que, pour des raisons que personne ne comprend, un petit nombre d’enfants, à l’instar d’Alex, perdent les symptômes nécessaires pour poser le diagnostic de l’autisme. Lisa Shulman, qui mène un vaste programme clinique sur l’autisme à l’Albert Einstein College of Medicine de New York City, confie que la plupart de ces enfants doivent faire face à des problèmes résiduels au niveau des émotions ou de l’apprentissage.

«Nous considérons tout de même que ces enfants s’en sont merveilleusement bien tirés, dit-elle. Mais ils n’en sortent pas complètement indemnes.» Seule «une minorité parmi la minorité» traverse sans encombre chaque nouvelle épreuve que la vie leur réserve (les fiches de lecture en primaire, la complexité de la vie sociale au collège, l’indépendance exigée en fin d’adolescence et à l’âge adulte…).

* * *

L'essor de la méthode ABA

La notion de guérison lorsque l’on parle d’autisme est aussi séduisante qu’elle est problématique (le terme même de guérison, qui sous-entend qu’il y a maladie, est controversé et de nombreux chercheurs évitent de l’utiliser).

La méthode ABA encourage certains comportements souhaitables, comme les interactions sociales, et minimise ceux, comme les mouvements répétitifs, qui affectent l’apprentissage

En 1987, Ole Ivar Lovaas, psychologue à l’université de Californie à Los Angeles, a rapporté que la moitié des jeunes enfants qui avaient bénéficié, au moins 40 heures par semaine, d’une méthode de prise en charge appelée Applied Behavior Analysis (analyse du comportement appliquée), ou ABA, ne «se distinguaient plus» des autres enfants lorsqu’ils terminaient leur première année à l’école primaire. Sa découverte a étayé l’idée d’une intervention précoce et intense pour les enfants autistes.

La méthode ABA, qui a commencé à être été utilisée pour traiter l’autisme dans les années 1960, se base sur des principes de la théorie de l’apprentissage, notamment en suscitant et en encourageant certains comportements souhaitables, comme les interactions sociales, et en minimisant ceux, comme les mouvements répétitifs, qui affectent l’apprentissage. De nombreuses méthodes de prise en charge de l’autisme sont fondées sur ces principes. Les thérapeutes d’Alex ont, par exemple, mis en place une forme modifiée de la méthode ABA pour lui apprendre certains aspects basiques de la communication sociale, comme le fait de regarder quelqu’un dans les yeux, de montrer du doigt lorsque l’on veut quelque chose ou reproduire certains gestes, comme faire signe de la main.

La méthode ABA traditionnelle et ses variations récentes ont montré qu’elles amélioraient de manière significative les compétences cognitives et linguistiques des enfants, ainsi que leurs comportements adaptifs.

À l'origine, un mauvais diagnostic?

Certains enfants qui suivent ces méthodes intensives font plus de progrès que d’autres. Mais l’affirmation de Lovaas selon laquelle la moitié des jeunes enfants qui suivaient la méthode ABA de manière intensive devaient «guérir» était manifestement exagérée. Pour la psychologue clinicienne Catherine Lord, experte de l’autisme au Weill Cornell Medical College, à New York, ces promesses sont dommageables. Elles incitent, en effet, les parents à croire que s’ils choisissent la «bonne» thérapie, ils pourront faire disparaître l’autisme de leur enfant. «Il n’y a absolument aucune preuve que cela fonctionne», dit-elle. À l’heure actuelle, l’autisme est considéré comme un trouble permanent du développement.

Néanmoins, dans l’histoire moderne des études sur l’autisme, les chercheurs ont remarqué que certains enfants (les estimations varient énormément, entre 3% et 25%) semblent perdre les troubles de l’interaction sociale et de la communication, ainsi que les comportements répétitifs qui définissent l’autisme. Néanmoins, les chercheurs considèrent souvent que la plupart de ces enfants ont été incorrectement diagnostiqués autistes et n’ont en réalité jamais été atteints de ces troubles, ou qu’ils continuent à souffrir d’autisme, mais avec des symptômes moins évidents.

Malaise persistant

Ce n’est qu’après la publication d’une étude de février 2013, conduite par Deborah Fein, psychologue clinicienne de l’université du Connecticut, et publiée dans le Journal of Child Psychology and Psychiatry, que les chercheurs ont recommencé à envisager sérieusement la possibilité de guérir de l’autisme.

Certains des participants du groupe à l’évolution optimale sont légèrement plus mal à l’aise en société que leurs pairs

Deborah Fein affirme que, dans sa pratique clinique, il lui est arrivé de rencontrer des enfants qui avaient fait «des progrès surprenants, remarquables», au point qu’elle ne pouvait s’empêcher de se demander s’il ne pouvait y avoir quelque chose de commun dans leurs parcours respectifs. En 2009, elle se mit à s’intéresser de manière systématique aux enfants qu’elle rencontrait dans son cabinet ou ailleurs, identifiant 34 jeunes gens, âgés de 8 à 21 ans, qui avaient connu ce que ses collègues et elle-même qualifient d’«évolution optimale».

Pour être inclus dans ce groupe, les enfants devaient avoir eu un diagnostic précoce et vérifié d’autisme et ne plus présenter de symptômes caractéristiques d’un TSA. Deborah également exclut les cas ambigus, comme ceux qui n’avaient jamais eu de retard de langage ou qui bénéficiaient toujours de services d’éducation spécialisée afin de traiter des troubles de la communication et de la socialisation.

Bien que les membres de ce groupe présentent des compétences équivalentes au niveau de la communication, de la reconnaissance des visages et du langage, par rapport aux enfants qui se développent de manière typique, Deborah Fein s’est demandé s’ils pouvaient présenter de légères différences. Afin de le découvrir, ses collègues et elle ont mené une série d’analyses de suivi. L’une d'elles suggère que certains des participants du groupe à l’évolution optimale sont légèrement plus mal à l’aise en société que leurs pairs, mais ils sont perçus comme plus agréables que ceux qui n’ont jamais souffert d’autisme et que les personnes atteintes d’un TSA de haut niveau non guéri.

Guérison mystère

Une autre analyse révèle quelques différences de langages peu importantes. Mais le groupe de Deborah Fein n’a trouvé aucun déficit des fonctions exécutives, un grand ensemble de facultés cognitives qui incluent des capacités, telles que le contrôle des pulsions et des réactions émotionnelles, le passage de l’attention d’une activité à une autre, l’organisation et la planification.

Six des huit garçons du groupe présentant «une évolution très positive» ont conservé les symptômes distinctifs de l’autisme jusqu’à 14 ans, au minimum

D’autres preuves indiquant que certains enfants peuvent récupérer de l’autisme ont suivi. Dans une étude de 2014 publiée dans le Journal of Child Psychology and Psychiatry, Catherine Lord et ses collègues ont rapporté les résultats de 85 enfants autistes qu’ils avaient suivis de 2 à 19 ans. L’équipe a constaté que sur les 32 enfants de l’étude qui n’ont pas de déficience intellectuelle, huit (que des garçons, représentant 9% des 85 enfants de départ) ne répondaient plus aux critères de diagnostic de l’autisme à 19 ans et ne nécessitaient plus d’aide supplémentaire. (Six des huit garçons de ce groupe présentant «une évolution très positive» ont conservé les symptômes distinctifs de l’autisme jusqu’à 14 ans, au minimum.)

Les études de Deborah Fein et de Catherine Lord n’offrent pas beaucoup de pistes pouvant expliquer pourquoi certains enfants récupèrent de leur autisme. Les participants du groupe à développement optimal de Deborah Fein présentaient des troubles de socialisation légèrement moins importants dans leur petite enfance que ceux dont l’autisme n’a pas évolué, mais leur profil était par ailleurs en grande partie équivalent. De même, Catherine Lord et ses collègues ont noté que les enfants qui, plus grand, ont perdu leur TSA n’étaient pas moins atteints que les autres lorsqu’ils avaient 2 ans.

* * *

«J'ai perdu mon ami, ça me rend triste»

Une prise en charge précoce peut être à l’origine de ces résultats: une analyse faite l’année dernière par Deborah Fein a montré qu’en général, les enfants ayant une évolution optimale avaient reçu une thérapie plus précoce et plus intensive que les enfants qui ne perdaient pas leur autisme. Environ 40% des enfants présentant un développement optimal ont bénéficié de la thérapie ABA entre 2 ans et 2 ans et demi, alors que seulement 4% des enfants ayant conservé leurs symptômes avaient suivi cette méthode. Dans l’étude de Catherine Lord, les huit enfants qui ne remplissaient plus les critères de l’autisme avaient bénéficié d’un traitement avant qu’ils n’atteignent 3 ans, alors que seulement la moitié des enfants présentant toujours des symptômes avaient été traités.

Les études de Deborah Fein et de Catherine Lord n’ayant attribué, de manière aléatoire, d’intervention précoce à aucun enfant, il est impossible de dire si la thérapie joue un rôle dans la guérison et à quel point. «La plupart des enfants ne feront pas de progrès fulgurants ni ne perdront leur autisme, même avec la thérapie la plus précoce et la plus intensive», prévient Deborah Fein.

La plupart des enfants ne feront pas de progrès fulgurants ni ne perdront leur autisme, même avec la thérapie la plus précoce et la plus intensive

Dans le cas d’Alex, le traitement a sans aucun doute été bénéfique. Lorsqu’il avait 3 ans, il est entré dans une école maternelle spécialisée qui mettait l’accent sur les relations sociales, et il s’y est épanoui. Un jour, Amy l’a amené à une aire de jeux où ils devaient rencontrer un camarade de classe. En arrivant, Alex n’a pas tout de suite vu son ami au milieu de la foule. «Je me souviens qu’il a dit “J’ai perdu mon ami. Ça me rend triste”, raconte Amy. C’est la première fois que j’ai compris qu’il reconnaissait et qu’il tenait à un de ses semblables.»

Socialisation et M&M's

À la fin de la deuxième année d’Alex dans une école primaire médico-éducative pour les enfants ayant des problèmes d’apprentissage du langage, la directrice a assuré à Amy qu’elle le pensait prêt à intégrer une classe traditionnelle. Plus tard, il a rejoint une école publique classique tout en bénéficiant d’un programme éducatif spécialisé intense. Le lundi après-midi, il participait à un groupe de socialisation afin d’améliorer certaines aptitudes, comme lancer une conversation ou savoir transiger avec ses camarades.

Un autre enfant, qui a suivi un parcours similaire, a également perdu son diagnostic d’autisme. À un an, Jake Exkorn était un enfant vivant et bavard qui a progressivement perdu tout intérêt envers les autres enfants, a arrêté de répondre quand on l’appelait puis a arrêté de parler. À deux ans, les médecins lui ont diagnostiqué un autisme. Les deux années suivantes, Jake a passé plus de 40 heures par semaine en thérapie pour réapprendre certaines bases qu’il avait perdues, comme applaudir, faire signe de la main, regarder quelqu’un dans les yeux, jouer avec d’autres enfants…

Au début, Jake se contentait d’imiter les médecins ou ses parents, motivé par la promesse d’un M&M’s ou d’un gâteau. Mais une fois le langage spontané réacquis, «ce fut comme si quelqu’un avait appuyé sur le bouton d’avance rapide», explique sa mère, Karen Siff Exkorn.

«Rétablissement complet»

Quand Jake avait 4 ans, un ami qui le regardait à une fête d’anniversaire fit remarquer qu’il ressemblait à n’importe quel autre enfant de son âge. Sa mère le fit donc réévaluer et le médecin lui annonça que non seulement Jake ne répondait plus aux critères de l’autisme, mais qu’il ne présentait aucun des comportements résiduels qui persistent parfois. Le médecin lui dit qu’il s’agissait d’un des rares cas de «rétablissement complet».

Je ne veux pas que mon fils et moi ayons à utiliser cette énergie pour paraître “normaux”. Je veux que l’on s’en serve pour atteindre des objectifs que nous nous sommes fixés pour nous-mêmes

Carol Greenburg

Lorsque Jake entra à la maternelle, ses parents dirent aux enseignants son passé d’autiste, afin qu’ils puissent surveiller si des difficultés persistaient. Toutefois, ils cessèrent rapidement de s’inquiéter: Jake s’en sortait bien. Lorsqu’il entra à l’école primaire, personne ne se doutait qu’il avait autrefois été atteint d’autisme, explique Exkorn, qui a publié, en 2005, The Autism Sourcebook, un guide de renseignements pour les professionnels et les parents d’enfants qui viennent d’être diagnostiqués autistes. En septembre 2015, Jake est entré à l’université du Michigan. Il dit ne pas vraiment se souvenir d’avoir été autiste. Mais il se rappelle des M&M’s.

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«Paraître normal»

Dans la communauté autistique, certains objectent toutefois que la notion même d’autisme peut et devrait passer au second plan. L’autisme «est intrinsèque à ce que nous sommes: c’est matériel, pas logiciel», affirme Carol Greenburg, une New-yorkaise spécialiste de l’éducation spécialisée à New York qui publie Thinking Person’s Guide to Autism, un livre et un blog qui offrent des conseils pratiques et des points de vue sur la recherche, l’éducation et d’autres sujets.

Carol Greenburg affirme que dans la plupart des cas (si ce n’est dans tous les cas) de récupération apparente, les personnes n’ont en fait pas perdu leur autisme, mais qu’ils ont plutôt appris à imiter des mécanismes qui leur permettent de «simuler une personne non autiste», même lors d’évaluations officielles. Mais donner cette impression demande énormément d’énergie, comme Greenburg et son fils de 14 ans le savent d’expérience.

«Tous les autistes se retrouvent parfois dans une position qui les oblige à utiliser cette énergie pour donner une apparence de normalité au lieu d’agir réellement, dit-elle. Je ne veux pas que mon fils et moi ayons à utiliser cette énergie pour paraître “normaux”. Je veux que l’on s’en serve pour atteindre des objectifs que nous nous sommes fixés pour nous-mêmes

Un effet de compensation?

L’imagerie cérébrale semble soutenir l’idée que perdre les comportements nécessaires pour poser un diagnostic d’autisme ne signifie pas nécessairement que le cerveau s’est «reconnecté». Dans une étude non publiée, Fein et ses collègues ont découvert que lorsqu’ils effectuent une tâche linguistique, les jeunes gens du groupe à développement optimal présentent, dans certaines régions du cerveau, une activité neuronale qui ressemble plus à celle des autres autistes qu’à celle des enfants qui se développent de façon classique. Cette découverte n’infirme pas l’idée que l’autisme de ces jeunes s’est atténué, nous dit Fein: après tout, le diagnostic de ce trouble se fait à partir d’observations cliniques du comportement, et non sur des scanners du cerveau. Mais, ajoute-t-elle, «le fonctionnement du cerveau n’est pas normalisé. Il semblerait qu’ils puissent compenser».

Certains de nos enfants s’en sortent incroyablement bien, mais ils ont toujours besoin d’aide

Lisa Shulman

Ari Ne’eman, président et cofondateur de l’Autistic Self Advocacy Network, affirme que perdre un diagnostic d’autisme prive les personnes de la possibilité d’être un membre à part entière de la communauté autistique et que les adultes dans cette situation ressentent souvent qu’ils sont un peu différents, mais n’arrivent pas à mettre le doigt sur leur sensation. Dans d’autres cas, les enfants peuvent rejeter leur propre histoire. «Si vos parents ont considéré, toute votre vie durant, l’autisme comme quelque chose d’effrayant qui, heureusement, n’a plus aucun lien avec vous, c’est très dur», lance Ne’eman.

L'attention et le langage sous surveillance

Karen Exkorn affirme être convaincue que ce n’est pas ce que ressent Jake. «Il ne renie pas son passé et peut en parler», explique Karen. Tous deux sont certains qu’en ce qui le concerne, l’autisme appartient désormais au passé. Cependant, elle avoue comprendre pourquoi cela semble difficile à croire. «Je ne suis pas sûre que j’aurais cru qu’un rétablissement total soit possible si notre fils ne s’était pas complètement rétabli

Pour de nombreux enfants, la perte de diagnostic peut être à double tranchant. La majorité d’entre eux continue à avoir des difficultés rémanentes, comme un trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité ou des problèmes d’apprentissage du langage. «Certains de nos enfants s’en sortent incroyablement bien, mais ils ont toujours besoin d’aide», explique Lisa Shulman. Certains de ces déficits peuvent ne pas être immédiatement visibles. Les troubles de l’attention peuvent ne pas apparaître avant le CP, lorsque l’on impose aux enfants de se tenir tranquilles, par exemple, et les difficultés d’apprentissage peuvent ne pas se voir avant le CE2 ou le CM1, lorsque l’on attend des enfants qu’ils lisent dans le but d’apprendre.

Gestes désordonnés

En fouillant dans ses statistiques, Shulman a découvert que sur les 569 enfants diagnostiqués dans son programme ces dix dernières années, 38 (soit 7%) ne répondaient plus aux critères de l’autisme. Parmi ces derniers, 35 continuent à présenter des difficultés émotionnelles, comportementales ou d’apprentissage, et 10 seulement sont dans une classe traditionnelle sans assistance supplémentaire. (Lisa Shulman précise que son étude peut surestimer la proportion de patients qui présentent des troubles persistants, car ceux qui n’ont plus de problèmes peuvent arrêter de venir à la clinique.)

La fascination d’Alex pour Aaron Rodgers représente, pour Amy, non un intérêt normal d’adolescent pour les sports, mais un écho de son ancienne obsession pour les chiffres et les lettres

Amy, la mère d’Alex, a remarqué que quelques traces de ces difficultés ont persisté chez son fils, malgré les incroyables progrès qu’il a faits. Lorsqu’il était bébé, l’un des premiers éléments à indiquer un problème fut son mauvais développement moteur. Aujourd’hui, âgé de 10 ans, il continue à avoir des gestes désordonnés. Il bouscule son verre de lait, le rattrapant juste avant que le contenu ne se renverse. Il cogne accidentellement le bord d’une assiette de frites qui s’éparpillent partout sur la table.

Une part de soi

Si cela peut ressembler à des signes de simple maladresse, pour sa mère, ils sont la preuve qu’il demeure un trouble, certes mineur, mais persistant de la motricité. La fascination d’Alex pour Aaron Rodgers représente, pour Amy, non un intérêt normal d’adolescent pour les sports, mais un écho de son ancienne obsession pour les chiffres et les lettres. Sa pensée conserve aussi un peu de la rigidité qui a marqué ses jeunes années: il refuse catégoriquement de lire, à moins que ce ne soit sur le sport, nous confie Amy, et il se «renferme» s’il ne trouve pas de livre à son goût.

Ces traces du passé d’Alex, nous dit Amy, «nous rappellent que, même si elles sont un peu plus latentes qu’auparavant, elles sont toujours présentes et feront toujours partie de lui, et ce même lorsqu’il sera grand».

* * *

Continuer à accompagner

En réalité, Amy explique qu’elle n’est pas sûre qu’Alex ait complètement récupéré de son autisme. Il a toujours des difficultés à l’école, notamment en compréhension de textes et dans d’autres domaines qui font appel à ses compétences linguistiques encore immatures. Mais il a appris à se débrouiller et il a mis en place des stratégies compensatoires qui peuvent convaincre, au moins jusqu’à présent, les enseignants qu’il comprend et intègre les informations aussi bien que n’importe quel autre élève de son niveau.

Cela provoque de nouvelles inquiétudes chez Amy. Bien qu’elle soit fière des nombreux acquis d’Alex, ses sentiments sont partagés quant à sa perte de diagnostic, et aux nombreuses aides qui l’accompagnent.

«Il se perd au milieu des innombrables autres élèves, parce que c’est un enfant doux et accommodant, et sans doute aussi à cause de la façon dont il fait ses devoirs, laissant penser qu’il est au niveau, alors qu’il ne l’est pas, explique Amy. Actuellement, je me bats pour qu’il ne passe pas entre les mailles du filet et que l’école ne devienne pas plus difficile sans son diagnostic d’autisme.»

Dire ou tout taire?

En classe de sciences, par exemple, Alex se contentait de parcourir ses leçons, mais sa mère a fini par se rendre compte qu’il ne comprenait pas réellement le cours, même s’il continuait à s’en sortir. Et son professeur de sciences ne s’était pas rendu compte de ce qui se passait avant qu’Amy ne lui fasse remarquer.

C’est comme si nous lui avions dit: “Tu as eu la varicelle et après tu as guéri”

Les parents comme Amy doivent parfois faire face à un autre dilemme: faut-il dévoiler le diagnostic à l’enfant, ou au reste du monde, et si oui à quel moment? Certains parents voient l’autisme et tout ce qui va avec (l’anxiété et la persévérance, les échecs et les succès) comme faisant partie intégrante de l’identité de leur enfant et de leur famille, une partie qui ne peut et ne doit pas être tue.

Les parents de Jake lui ont révélé son diagnostic quand il avait à peu près 5 ans. «Je voulais qu’il l’apprenne de notre bouche, déclare sa mère, et pas par quelqu’un d’autre à une réunion de famille.» Elle explique qu’elle souhaitait aussi déstigmatiser l’autisme: pourquoi devrait-on en faire un grand secret? Jake a appris la nouvelle sans sourciller, dit-elle. «C’est comme si nous lui avions dit: “Tu as eu la varicelle et après tu as guéri”.»

Le choix du silence

D’autres craignent que le fait de dévoiler le passé d’autiste des enfants puisse changer la manière dont les amis et les professeurs les traitent, que cela ait une incidence sur leur entrée à l’université ou que cela nuise à l’image qu’ils ont d’eux-mêmes. Alex sait qu’il reçoit de l’aide supplémentaire pour la lecture, l’écriture et la socialisation. Mais ses parents ne lui ont pas encore parlé de son autisme. Et Amy avoue qu’elle n’a pas encore décidé quand elle allait le lui apprendre, ni même si elle allait le faire.

Mais cette question n’est pas à l’ordre du jour. Pour l’instant, les parents d’Alex sont surtout impatients de voir leur fils sortir diplômé du lycée, entrer à l’université et trouver un travail épanouissant. Et ils espèrent qu’en grandissant, il se fera de véritables amis et trouvera l’amour. «Parfois, on est émerveillés en repensant à ses débuts et à la manière dont il a évolué pour devenir un enfant très gentil, réfléchi et sociable», dit Amy.

Nous essayons tous de développer et de consolider les forces de nos enfants, mais en fin de compte, ils deviennent ce qu’ils sont destinés à devenir

«Je suis doué pour être moi»

Amy ne pourra peut-être jamais penser à l’autisme au passé, et elle sera peut-être toujours inquiète de savoir qu’Alex ne recevra pas toute l’aide dont il a besoin, mais quel parent ne s’inquiète pas pour ses enfants?

«Je ne suis pas certaine qu’il existe des parents, que ce soit d’enfants se développant de manière classique ou non, qui puissent affirmer que “l’évolution optimale” soit une réalité, dit-elle. Nous essayons tous de développer et de consolider les forces de nos enfants, mais en fin de compte, ils deviennent ce qu’ils sont destinés à devenir

Alors qu’il finit de grignoter son goûter, assis sur un tabouret de cuisine, Alex répond joyeusement aux questions que je lui pose sur son arrivée dans sa nouvelle école, il y a deux ans. Se faire des amis a été le plus dur, confie-t-il. «J’ai dû me forcer à faire des choses que les autres élèves aimaient pour avoir des sujets de conversation avec eux.» Heureusement, ajoute-t-il, il a découvert la clé du succès social: Minecraft. Il n’est pas le meilleur à ce jeu, tout comme il n’est pas le meilleur lecteur de sa classe. Mais ça lui va. «Je suis fier de moi, parce que je suis doué pour être moi, lance-t-il. Je ne veux être personne d’autre

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