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Le calvaire oublié des chrétiens pakistanais

Temps de lecture : 4 min

L'attentat de Lahore a remis en lumière les persécutions dont sont victimes les chrétiens dans ce pays musulman.

Célébrations de Pâques au Pakistan I ASIF HASSAN / AFP
Célébrations de Pâques au Pakistan I ASIF HASSAN / AFP

Deux cents militants islamistes ont été arrêtés après l’attentat-suicide qui, le dimanche de Pâques à Lahore, a coûté la vie, dans un grand parc public, à soixante-treize personnes, dont une trentaine d’enfants, musulmans et surtout chrétiens. Un groupuscule taliban a revendiqué cet attentat commis en représaille après la pendaison de Mumtaz Qadri, l’idole des islamistes radicaux, qui avait assassiné en 2011 Salman Taseer, le gouverneur libéral du Pendjab.

Après la conquête par l’État islamique (Daech), en juin 2014, de la plaine de Ninive (Mossoul) en Irak, le monde occidental s’était mobilisé à juste titre pour le sort tragique des désormais célèbres chrétiens d’Orient. Mais que sait-il du calvaire aussi vécu quotidiennement par les minorités chrétiennes des pays musulmans d’Asie où la cohabitation entre communautés devient de plus en plus difficile? Et que fait-il pour s’y opposer?

En Indonésie et en Malaisie, des groupuscules islamistes persécutent depuis longtemps des chrétiens accusés de prosélytisme, sous couvert d’aide sociale, et luttent contre toute construction d’églises. Mais c’est au Pakistan, deuxième pays musulman au monde, puissance régionale dotée de l’arme nucléaire, que la situation devient explosive. Le pays fait face depuis les années 1980 à des attaques sanglantes de groupes talibans qui occupent le terrain dans un État décomposé et menacent toutes les minorités –les hindous, les sikhs, les ahmadis (musulmans modérés non reconnus) et surtout les chrétiens– situées au plus bas de l’échelle sociale et marginalisées.

Un climat très tendu

Ces dernières années, des événements ont fortement ému la communauté internationale, comme la condamnation à mort par lapidation, en 2013, d’Asia Bibi, cette villageoise chrétienne du Pendjab accusée par d’autres femmes, dans des témoignages falsifiés, d’insultes envers le Prophète. Et en mars 2011 à Islamabad, Shahbaz Bhatti, le ministre des Minorités, qui était l’unique catholique du gouvernement pakistanais, a été assassiné. Depuis, il jouit d’un véritable culte dans tout le monde chrétien, jusqu’au Vatican où son procès en béatification est en bonne voie.

Les chrétiens exercent le plus souvent des métiers dévalorisés comme nettoyeurs de rues, éboueurs, ouvriers agricoles

Shawaz Bhatti était la bête noire des islamistes radicaux parce qu’il avait voulu réformer la loi antiblasphème pakistanaise, la plus détestable au monde, et avait défendu Asia Bibi. Peu avant lui, pour les mêmes motifs, c’est le gouverneur musulman du Pendjab, Salman Taseer, qui avait été assassiné par son garde du corps, Mumtaz Qadri, un militant islamiste fanatisé, condamné et pendu le 29 février dernier, provoquant l’actuelle flambée de violences, de Lahore à Islamabad, contre le Premier ministre Nawaz Sharif. Lahore est la ville d’origine du Premier ministre et de son frère, Shahbaz Sharif, à la tête de la province du Pendjab.

Des chrétiens marginalisés

Ce dimanche de Pâques 2016, ce n’était pas la première fois que des chrétiens étaient visés au Pakistan par des attentats-suicides. Un an plus tôt, le 15 mars, un double attentat, revendiqué par le même groupe taliban Jamaat-ul-Ahrar, avait fait dix-sept morts à proximité de deux églises dans cette même ville de Lahore. Le dimanche 22 septembre 2013, dans la cour d’une église de Peshawar, deux kamikazes s’étaient aussi fait exploser, tuant plus de 80 personnes.

Les chrétiens –1,8 million, soit 2% de la population pakistanaise de 190 millions d’habitants– sont la deuxième minorité du pays et souffrent d’une extrême marginalisation. Ils viennent des basses castes de l’ancienne société indienne. Ils ont été secourus et convertis, au XIXe siècle, par des missionnaires occidentaux. Depuis, ils sont déconsidérés et discriminés, parqués dans les bidonvilles d’Islamabad, privés de tout soutien, sauf de quelques ONG.

Ils exercent le plus souvent des métiers dévalorisés comme nettoyeurs de rues, éboueurs, ouvriers agricoles. Si une classe moyenne chrétienne a émergé dans la capitale économique Karachi, avec des emplois de comptables, de soignants, d’enseignants, elle n’est pas représentée dans l’élite politique monopolisée par les musulmans (qui ont pourtant étudié dans les écoles chrétiennes).

Une loi inique

Outre les conversions forcées et les enlèvements de fillettes, les chrétiens sont victimes d’une législation anti-blasphème unique au monde, utilisée et instrumentalisée par les islamistes extrémistes qui en ont fait «un instrument de terreur», comme l’écrit la correspondante de Libération au Pakistan dans Le Livre noir de la persécution des chrétiens dans le monde (Editions XO, 2014). Selon Human Rights Watch, une vingtaine de personnes seraient aujourd’hui dans le «couloir de la mort» pour blasphème et un nombre à peu près égal serait emprisonné à vie.

Les policiers subissent les pressions intenables des extrémistes et expédient les enquêtes et les procédures

Le Livre noir de la persécution des chrétiens dans le monde

Cette loi inique punit de mort toute offense, réelle ou supposée, faite à Mahomet et de la prison à vie toute profanation du Coran. Mais elle est de plus en plus invoquée et utilisée pour régler des conflits de voisinage ou des «vendettas» familiales. La pression est telle que, dans tous les procès fabriqués de blasphème, les chrétiens ne parviennent plus à trouver de juges impartiaux, ni même d’avocats. «Les policiers subissent les pressions intenables des extrémistes et expédient les enquêtes et les procédures, condamnant systématiquement les accusés, de peur d’être eux-mêmes assassinés», lit-on encore dans Le livre noir. Les minoritaires sikhs, hindous et musulmans modérés ne sont pas beaucoup mieux lotis et font aussi les frais de cette législation anti-blasphème.

La tentation de l'exil

Le Pakistan est classé parmi les pires pays au monde concernant la violence religieuse. «De nombreux chrétiens se voient refuser l’achat de nourriture dans les magasins qui appartenient à des musulmans et ces discriminations contribuent à les faire fuir», explique Saleem Khokkar, ancien président de All Pakistan Minorities Alliance, rescapé d’une tentative d’assassinat en 2013 et réfugié aux États-Unis. En nombre croissant, les chrétiens quittent le pays. Selon l’agence des Missions étrangères de Paris, 30.000 non-musulmans auraient demandé l’asile ou le statut de réfugiés en Thaïlande ou des pays voisins. Mais le rêve d’une vie meilleure est inatteignable. Ces réfugiés sont souvent et sans visa de travail et vivent dans des conditions misérables.

La tuerie anti-chrétienne du jour de Pâques à Lahore n’a rien à voir avec Daech, ni avec le conflit sunnites-chiites, ni avec la dérive sanglante de jeunes djihadistes français ou belges. Mais l’importation sur le sol européen, de Paris à Bruxelles, de la terreur islamiste ne peut faire oublier que la barbarie frappe partout, que la gangrène se répand, qu’aucune région du monde n’est désormais épargnée.

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