France

La Défense vaut-elle un Sarkozy?

Temps de lecture : 4 min

La présidence de l'Epad déchaîne les passions au moment où le quartier des affaires de l'Ouest parisien cherche un second souffle.

Derrière la polémique, il n'est pas toujours inutile de regarder les chiffres. Alors que la controverse prospère autour de l'élection envisagée de Jean Sarkozy à la présidence du conseil d'administration de l'Epad, l'établissement public d'aménagement de la Défense, une question mérite d'être posée: celle de l'enjeu économique et financier du débat.

Personne ne contestera au quartier des affaires de l'ouest parisien son statut de pôle économique et financier de premier plan. Fort de ses 160 hectares qui accueillent plus de 2.500 entreprises, dont les sièges sociaux de quelques-uns des principaux groupes du CAC 40, La Défense est aujourd'hui le premier quartier d'affaires en Europe en termes de mètres carré de bureaux. Autant de taxes, de contributions et de droits à construire en tous genres brassés par l'Epad qui en font - c'est devenu un lieu commun de le dire - le coffre fort du plus riche département de France, les Hauts-de-Seine. L'essentiel de l'industrie financière, française et étrangère, y a établi ses quartiers. Sans compter tous les emplois induits par cette activité, des restaurants aux services informatiques et aux agents immobiliers. Au bas mot, cette foule de cols blancs représente près de 200.000 emplois directs et plus de 500.000 en comptant les emplois induits.

Difficile de ne pas voir l'enjeu politique de la présidence d'un tel instrument. D'autant que La Défense va constituer dans les prochaines années l'une des pierres angulaires du Grand Paris grâce à l'élargissement de son périmètre et la récupération de 320 hectares pris sur Nanterre. Un ensemble brassant un argent considérable que l'UMP va directement piloter en ayant la haute main sur le type de populations et d'entreprises qui s'y installeront.

Mais cet enjeu politique est directement suspendu au développement et à la prospérité du site. Patrick Devedjian, le président actuellement en poste, n'hésitait pas, cet été, à prédire un avenir radieux à la Défense grâce à sa capacité, assurait-il dans un entretien au Journal du Dimanche, de contester à la City son rang de première place financière européenne. L'occasion est unique, expliquait alors le ministre de la Relance: en mettant Londres en grande difficulté, la crise ouvre à La Défense un boulevard pour renforcer son attractivité. La Société Générale, après y avoir bâti une troisième tour, ne s'apprête-t-elle pas à y construire la plus grande salle de marchés d'Europe, en profitant du fait que le poste de travail du trader de base est 20% moins cher que le même poste à Londres?

La réalité est loin d'être aussi pimpante. Et l'avenir aussi prometteur. Beaucoup en sont surtout à se demander si ce n'est pas plutôt l'étoile de la place financière française, et de facto celle de la Défense, qui pâlit à vue d'œil comparée à Londres. Dans le classement mondial des centres financiers établi par le World Economic Forum de Davos, la France a été éjecté du peloton des dix premiers. En un an, elle est tombée de la 6e à la 11e place derrière le Danemark.

A l'inverse, la City a pris la première place devant New York. Nyse-Euronext, la société chargée de gérer la bourse de Paris est en train de déménager son informatique dans la capitale britannique pour se rapprocher de ses clients. Les unes après les autres, les grandes banques françaises suivent le mouvement. Loin d'avoir mordu la poussière, la City continue plus que jamais à attirer le Gotha de la finance, laissant à Paris la mode et les produits de luxe.

Le défi du président de l'Epad est donc loin d'être gagné.

Au même titre qu'il va devoir encore réussir à donner un deuxième souffle à l'activité immobilière de la Défense. La crise n'a pas épargnée le quartier. Ce ne sont pas les projets qui manquent. Ni finalement les investisseurs. D'abondantes liquidés attendent de s'investir. Ce sont en fait les utilisateurs, les entreprises, qui sont pour l'instant aux abonnés absents. Ce sont elles que le nouveau président de l'Epad va devoir convaincre de s'installer. Ce qui suppose au préalable d'avoir procédé à un vaste rajeunissement du parc immobilier à leur proposer. Or une bonne partie des tours de la Défense ont vieilli. Certaines ne répondent plus aux normes écologiques et énergétiques. Et il faudra encore trouver les financements, car cela coûte très cher de démolir une tour, pour la remplacer par une autre. L'Etat met la main à la poche pour inciter les propriétaires à moderniser leur parc en leur offrant une partie des droits à construire supplémentaires pour bâtir plus haut.

S'ajoutent enfin à cela le défi des transports incapables de transporter dans des conditions décentes les 250.000 personnes qui viennent chaque jour travailler à la Défense.

Le moins qu'on puisse dire est que la fonction de président de l'Epad requiert un minimum de doigté et d'expérience en matière financière, immobilière et logistique. L'Etat qui continue, certes, de détenir la majorité des sièges au conseil d'administration, conserve les manettes en dépêchant un directeur général opérationnel. Mais abstraction faîte du charivari politico-médiatique déclenché par le projet d'y élire Jean Sarkozy, élu au suffrage universel du canton de Neuilly Sud et président du groupe UMP au conseil général des Hauts de Seine, un peu de bon sens, tout simplement, n'aurait sans doute pas été de trop dans cette histoire.

Philippe Reclus

Lire également: Le succès de la City payé par le contribuable français

Image de une: la Grande Arche. CC Flickr Christian Heindel

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