Thierry Mariani est un adepte des voyages insolites. Député des français de l’étranger, il aime les contrées à risques (politiques). Il vient de faire son deuxième voyage à Damas en moins de cinq mois, pour y rencontrer Bachar el-Assad, le président d’un pays avec laquelle la France a rompu ses relations diplomatiques. En juillet 2015, il était en Crimée, à la tête d’une délégation de parlementaires, pour la deuxième fois depuis l’annexion de la presqu’île par la Russie, un coup de force de Vladimir Poutine que la France n’a pas reconnu.
Outre le fait que ces voyages vont à l’encontre des décisions de la diplomatie française –mais le Quai d’Orsay a reconnu la «liberté» des députés au nom de la séparation des pouvoirs–, ils ont un autre point commun: ils confortent la politique de Moscou. Thierry Mariani, qui a épousé une Russe proche des milieux poutiniens, a un tropisme russe. C’est son droit.
Toutefois, la composition des délégations qu’il conduit et le choix de ses voyages sont hautement politiques. Pour assister à la messe de Pâques à Damas puis deviser avec Bachar el-Assad, il était entouré de collègues appartenant à la droite du parti Les Républicains et de l’association organisatrice de la visite –SOS Chrétiens d’Orient– qui compte en ses rangs des éléments de la droite radicale. Aux côtés des députés Valérie Boyer (Bouches-du-Rhône), Nicolas Dhuicq (Aube), Denis Jacquat (Moselle) et Michel Voisin (Ain), se trouvaient Pierre Gentillet et Alexandre Moustafa, fondateurs du cercle prorusse Pouchkine, ainsi que Julien Rochedy, ancien président de la jeunesse du Front national, qui a fait un selfie avec Assad.
Tiens un selfie de Julien Rochedy, ex-président du FN de la jeunesse, avec Bachar Al-Assad.. https://t.co/bnN07NcEDl pic.twitter.com/7lbr0cLyEU
— Brain Magazine (@brainmagazine) March 29, 2016
Cibler Bachar el-Assad, une erreur?
La droite de la droite, en France comme dans d’autres pays européens, a tendance à regarder Poutine avec les yeux de Chimène et apprécier sa politique au Proche-Orient et ailleurs. Force est de constater cependant qu’elle n’est pas la seule. À gauche aussi, certains succombent. En février 2015, le député socialiste Gérard Bapt faisait partie d’une délégation parlementaire en visite à Damas. Président du groupe d’amitiés France-Syrie à l’Assemblée nationale, il milite pour «le rétablissement des contacts avec l’État syrien», façon élégante de parler sans le nommer de Bachar el-Assad que Manuel Valls qualifiait, il y a peu de temps encore, de «boucher».
Ils soulignent «l’efficacité» des bombardements russes en Syrie, qui ont permis, avec de l’aide au sol, de reprendre le contrôle de Palmyre aux dépens de Daech
Lors du voyage de novembre 2015 à Damas, Nicolas Sarkozy avait qualifié Thierry Mariani et sa suite de «gugusses». On aurait tort pourtant de que voir dans la démarche des parlementaires que l’initiative de quelques individus en délicatesse avec la politique officielle. Quand ils déplorent la rupture des relations avec le régime d’Assad ou quand ils suggèrent, comme la députée Valérie Debord, de «nous poser la question de la recomposition de nos alliances», ils expriment des opinions répandues dans certains milieux politiques et intellectuels.
Ils s’opposent à toute une école de diplomates et de chercheurs qui avaient placé leurs espoirs dans les «printemps arabes» et avaient vu dans les manifestations des opposants en Syrie la promesse de la chute prochaine de la dictature baasiste. Nicolas Sarkozy et son ministre des Affaires étrangères Alain Juppé, puis François Hollande et Laurent Fabius à partir de 2012, ont tous misé sur le départ du pouvoir de Bachar el-Assad. Les relations diplomatiques ont été rompues, l’ambassade de France à Damas a été fermée en signe de protestation contre la répression menée par le régime à l’encontre de manifestants d’abord pacifiques. Les critiques de cette politique estiment que le maintien de contact avec les dirigeants de Damas auraient notamment permis la poursuite d’une collaboration étroite entre les services de renseignements des deux pays et la collecte de renseignements sur les apprentis terroristes qui visaient la France.
L'Europe spectatrice
Ce sont les mêmes qui regrettent les sanctions imposées à la Russie après l’annexion de la Crimée et la guerre en Ukraine. Soutenus à droite par François Fillon, ils voient en Vladimir Poutine un allié contre le terrorisme et contre l’État islamique. Ils soulignent «l’efficacité» des bombardements russes en Syrie, qui ont permis avec l’aide au sol de l’armée syrienne, des pasdarans iraniens et des miliciens chiites du Hezbollah de reprendre le contrôle de Palmyre aux dépens de Daech. Il ne faudra certainement pas attendre longtemps avant qu’ils se présentent comme des visionnaires. Ils diront avoir compris, avant tout le monde, l’impasse de la stratégie occidentale, dictée par les Américains dont ils se méfient dans une tradition bien française, et la nécessité de s’allier avec la Russie et le régime de Damas. Bachar n’est sans doute pas un «agneau», reconnaissent-ils, mais il représente l’État en Syrie.
Moscou et Washington sont à la recherche d’un compromis
«On ne peut pas se plaindre que Palmyre ne soit plus aux mains de Daech», a déclaré Jean-Marc Ayrault. Mais le ministre des Affaires étrangères a ajouté qu’il ne fallait pas pour autant exonérer Bachar el-Assad de ses responsabilités dans la création et le développement de l’État islamique, ainsi que dans la guerre civile en Syrie, les exactions contre la population et la fuite des réfugiés.
C’est tout la difficulté de la négociation qui doit rependre dans quelques semaines à Genève et dans laquelle l’Europe est essentiellement spectatrice: Moscou et Washington sont à la recherche d’un compromis qui tienne compte à la fois des exigences d’une l’opposition affaiblie par les coups portés par les frappes russes et du souci de restaurer un État syrien stable, avec ou sans Assad. En attendant, les Russes et les Américains semblent être tombés d’accord pour frapper l’État islamique, de concert mais séparément.