France / Égalités

Je suis trop longtemps resté fidèle à Renaud Camus, ce traître homosexuel

Temps de lecture : 6 min

Renaud Camus fait partie des penseurs xénophobes issus de la communauté homosexuelle.

Autoportrait de Renaud Camus, le 29 novembre 2012 | Renaud Camus via Wikimedia Commons License by
Autoportrait de Renaud Camus, le 29 novembre 2012 | Renaud Camus via Wikimedia Commons License by

Régulièrement, je suis pris à la gorge quand je vois passer un tweet de Renaud Camus. Car parmi les dizaines de déclarations quotidiennes qui me donnent envie de quitter les réseaux sociaux, les siennes sont la preuve irréfutable que le socle commun de la culture gay se fissure de tous les côtés face à l’immigration et les minorités ethniques.

Comme beaucoup d’homosexuels de ma génération, Renaud Camus était le roi de Tricks, le seul livre de la fin des années 1970 qui tournait la page du mal-vivre homosexuel avant la dépénalisation de l’homosexualité, en 1981. Il décrivait avec sincérité la belle promiscuité sexuelle d’une France qui sortait du passé. Camus y racontait ses rencontres et ses baises de la rive gauche, d’une manière conceptuelle, presque numérotée, débarrassée du fatras dramatique des livres d’Yves Navarre.

Ce n’était pas tant le sexe viril, barbu et poilu qu’on appréciait, même s’il était le prototype de l’amour clone gay, c’était souvent l’amitié et la camaraderie qui nous éblouissaient, cette manière de draguer les hommes avant, pendant et après l’amour, les cartes postales envoyées pendant les voyages, les promenades sur le boulevard Saint-Germain. Tricks, comme Buena Vista Park (1980), présentait le mode d’emploi d’une nouvelle manière d’aimer, égalitaire malgré les différences sociales, sentimentale malgré la multiplication des partenaires. Pour moi, plus jeune d’une dizaine d’années, Renaud Camus était l’exemple à suivre, le rôle modèle à dépasser. Nous étions attirés par les mêmes hommes, il avait la chance et le pouvoir de les aimer à ma place, ces hommes barbus et simples qui sont redevenus à la mode après trente années d’épilation et de métrosexualité.

Racisme culturel

Pendant longtemps, je suis resté fidèle à Renaud Camus uniquement pour Tricks. Ses livres postérieurs nous amusaient, on s’en moquait aussi un peu, cette recherche littéraire maniérée, son journal interminable et finalement très mégalomaniaque, son souci de tout noter lors de ses voyages, ses livres touristiques, ses colères contre l’architecture bâtarde (Comment massacrer efficacement une maison de campagne en dix-huit leçons), sa défense de la langue française. Sa vie, son château, ses chiens. Rien de criminel, c’était juste la progression logique de l’aristocrate gay retranché dans le Gers, un département que j’aime beaucoup puisque j’ai grandi juste à côté.

Le grand scandale de 2000 ne m’a pas fait jeter les livres de Camus comme beaucoup de monde. Je considérerais que cela faisait partie d’une liberté d’expression, qui provoque aujourd’hui des déclarations beaucoup plus violentes sur Facebook et Twitter. J’étais surtout gêné par la perversité avec laquelle Finkielkraut l’avait utilisé dans un procès quasi maoïste tout en développant une amitié finalement logique. Réputation détruite, mis au banc de l’édition, Camus estime qu’il n’a plus rien à perdre et lance le concept du grand remplacement, il crée le parti de l’In-nocence et appelle à voter pour Marine Le Pen en 2012. C’est vraiment à ce moment que Renaud Camus a perdu sa base homosexuelle.

On était passé de la camaraderie homosexuelle à une moquerie sociale

Dans mon livre Pourquoi les gays sont passés à droite (2012), j’ai commis une grave erreur. Je m’en suis pris à Caroline Fourest et à Macé-Scaron mais j’ai oublié Renaud Camus. Par naïveté, mon grand défaut. L’impact des autres sur le discours républicain post 11-Septembre était documenté. J’imaginais encore Camus comme marginalisé, finalement loin de la sphère laïcarde et anticommunautaire. Je le voyais s’enfoncer dans sa croisade pour une langue française purgée de toutes les influences de la banlieue et de la jeunesse. Encore aujourd’hui, nombreux sont ceux qui disent qu’il n’y a rien à dire sur lui, qu’il est perdu dans son trou. Ironiquement, c’est ce que l’on dit sur moi aussi. Je suis un troll de Normandie.

Pourtant, Camus avait déjà son effet. Derrière lui grandissait la grossièreté de ces hommes sur les réseaux de drague, qui insultaient les jeunes qui faisaient des fautes d’orthographe. La supériorité intellectuelle était déjà utilisée pour appuyer davantage un racisme culturel. On était passé de la camaraderie homosexuelle à une moquerie sociale, l’écrit contre la parole orale, le privilège des Have sur les Have Not de la drague.

Le racisme envers tout ce qui n’était pas blanc se développait dans une communauté qui a été créée sur des concepts de dilution, dans le joli sens de mélange. Le fait d’être gay nous rapprochait naturellement, à travers le sexe, des gays qui n’étaient pas comme nous: les arabes, les noirs, les prolos, les hommes différents, sourds ou muets, Parisiens ou provinciaux, Français ou étrangers. À travers eux, on apprenait quelque chose. C’était ça, mon homosexualité. La possibilité de dépasser les barrières créées par la société, précisément parce que nous avions les mêmes désirs. Le sexe n’était pas la fin en soi, c’était un début pour entamer une amitié avec ces hommes différents de moi.

Agenda blanc

Depuis, parce que la France a basculé dans une société d’exclusion, créée au plus haut niveau par les médias et un État de gauche qui mène des guerres dans les déserts éloignés comme dans ses plus proches banlieues, j’ai compris, un peu trop tard, que je m’étais trompé. Le joker de Tricks ne pouvait plus justifier l’acharnement de Renaud Camus. J’avais oublié de mettre son nom sur la liste des traîtres homosexuels à cause d’un amour démodé pour un livre vieux de trente ans, symbole de ma jeunesse.

Si Caroline Fourest a empoisonné la classe politique avec sa peur de l’Eurabia (finalement très proche du grand remplacement), si Macé-Scaron a infecté les médias avec sa hantise de l’esprit communautaire anglo-saxon (La Tentation communautaire, 2001), Renaud Camus est le dernier segment du triangle des penseurs xénophobes issus de la communauté homosexuelle, celle qui a préparé la route de brique jaune de Zemmour, Onfray, Finkielkraut, etc. Des intellectuels qui n’aiment pas les homosexuels d’une manière générale.

Dans les années 1970 et 1980, les relations entre gays français et les nouveaux immigrants étaient souvent équilibrées. On appartenait au même monde du secret

On me dit souvent que les homosexuels sont exactement comme les autres, plus ou moins cons. C’est l’argument massue pour expliquer le racisme grandissant dans cette communauté. Mais ce n’était pas comme ça dans les années 1970 et 1980. Le racisme existait bien sûr mais les relations entre gays français et les nouveaux immigrants étaient souvent équilibrées. On appartenait au même monde du secret. On se rencontrait la nuit dans des parcs, dans la rue, on se retournait sur leur passage et ils se retournaient eux aussi. Il y avait une discussion qui permettait à chacun de raconter ses histoires, apprendre davantage sur la vie de l’un et l’autre. On se revoyait, des amitiés se formaient.

On a cru naïvement à SOS Racisme car le mouvement beur était forcément parallèle au mouvement gay de l’époque. On savait que c’était la marche naturelle de la politique, avant que SOS Racisme ne soit récupéré et détruit par le PS. La déception et la colère des arabes et des noirs face à la focalisation des mouvements LGBT envers leur propre agenda blanc a provoqué le séparatisme actuel, accentué par une société d’apartheid social. Fourest, Macé-Scaron ont gagné: les jeunes beurs ou noirs sortent désormais entre eux. Les gays blancs les regardent comme une menace. Le rêve d’une société métissée est sans cesse attaqué.

Renaud Camus a choisi la race blanche catholique au détriment de la mixité homosexuelle. En fait, Renaud Camus n’est plus homosexuel. Il est redevenu achrien, le terme qu’il a tenté de faire adopter au début des années 1980 pour remplacer le mot gay, c’est à dire un phylactère que personne ne comprend, une envie malsaine d’être au-dessus de la base, exactement comme un FN dirigé par des homos.

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